Les Journées d’Études Européennes, organisées à Clermont-Ferrand du 10 au 14 décembre 2024, ont posé les bases d’une réflexion innovante pour l’économie sociale et solidaire (ESS). C’était l’occasion d’inaugurer la chaire CASSIS (Communication des Actions de l’Économie Sociale et Solidaire et de l’Innovation Sociale) à l’Université Clermont Auvergne (UCA). Contrairement aux chaires traditionnelles, cette chaire est associative. Elle associe chercheurs et acteurs économiques de la société civile pour repenser des pratiques de communication innovantes et performantes. Elle s’inscrit ainsi dans une dynamique démocratique en phase avec les enjeux de transition écologique et économique.
Une chaire participative et inclusive
Ces journées d’études s’ouvrent exceptionnellement dans l’amphithéâtre de la Maison des Sciences de l’Homme. Le public plus ou moins spécialisé fête l’inauguration de cette chaire. La nouvelle-née est le fruit d’un milieu académique impliqué dans l’économie associative avec pour axe initial la communication. CASSIS se veut un espace d’échange horizontal au sein du monde socio-économique. Cette nouvelle chaire associative, après celles créées à Grenoble et Lyon, travaille à une communication synonyme de partage équitable. Elle encourage des interactions entre praticiens de terrain et universitaires. L’approche scientifique privilégie ainsi la mise en commun de connaissances pour résoudre des problématiques concrètes (sociales, économiques, écologiques, éducatives, etc.), à condition de s’entendre.
La communication comme levier de transformation
L’entente est échange ou communication réussie c’est-à-dire réciproque. Et celle-ci doit être un vecteur d’interactions authentiques. Or, le constat partagé est celui de « l’incommunication ». En effet, soit la communication ne passe pas soit elle passe mal. La communication comme levier d’amélioration du lien social doit donc être inclusive. Elle doit favoriser des échanges égalitaires entre parties prenantes. C’est pourquoi Éric Dacheux, directeur du laboratoire « Communication et Sociétés » à l’UCA, propose le concept d’intermédiation. C’est un concept familier du CISCA (Centre d’Innovations Sociales Clermont Auvergne), association qui le met en application. Ainsi ce chercheur reconnu propose-t-il une approche horizontale, active et interactive de la communication. Il n’y a pas de véritable échange ou de communication efficace sans retour. Ainsi l’interaction est-elle et participative et directe. Il s’agit d’établir une compréhension mutuelle qui renforce à chaque fois le lien social pour une société durable.
Une « économie du lien », faire communauté
Armand Rosenberg, aujourd’hui DG de la Fondation AJD Maurice Gounon et Vice-Président de la CRESS Aura, ouvre un premier espace de discussion. Son modèle économique et associatif est celui de la PME. Car tisser du lien commence à proximité. Aussi ce modèle lui a-t-il inspiré le projet de bâtir une économie du lien. En effet, ce modèle replace la solidarité et la coopération au cœur des échanges économiques. En ce sens, il privilégie la communication à la concurrence. Ce modèle d’économie valorise l’interaction positive et productive entre les acteurs de la société civile. Cet « entrepreneur social » encourage des initiatives citoyennes qui fédérent les énergies et les ressources. Quand un modèle associatif réussit économiquement sur un territoire, il s’agit alors de savoir comment le transposer d’une région à une autre.
Innover tout en respectant le temps humain
La question d’une mise à disposition du temps se pose. Selon A. Rosenberg, « celui qui va vite gaspille des ressources ». Dans un monde où la rapidité est souvent synonyme d’efficacité, cette affirmation invite à canaliser les flux d’énergies pour une réflexion à long terme sur l’activité socio-économique. L’objectif de la chaire CASSIS met ainsi en avant la nécessité de prendre du temps quand on communique. Il entend une communication humaine à l’origine de relations solides et de solutions pérennes. Cette chaire nourrit en effet une réflexion sur un temps d’innovation plutôt que de gestion. Bien échanger c’est bien communiquer, en temps réel et voulu. Ainsi, l’objectif de cette chaire s’inscrit dans une critique du stress généré par les systèmes actuels d’un temps économique. Cet objectif repense donc nos priorités collectives et individuelles dans un monde complexe.
Le commun comme horizon
Un autre concept-clé exploré est celui de commun. Josette Combes en propose une approche historisante. La présidente du Mouvement pour l’Économie Solidaire (MES) et membre du réseau RIPESS Europe invoque un héritage collectif. Ce faisant, elle plaide pour la préservation d’un lien synonyme de bien, que ce dernier soit matériel ou non. Une logique du commun répond ainsi aux dangers d’une société dominée par des logiques individualistes. Elle prend l’exemple d’un commun réalisé hier et menacé aujourd’hui, mais faisable. C’est l’exemple de la Sécurité Sociale, née au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, par le Conseil National de la Résistance. En outre, il s’agit d’un lien qui dure malgré une mise en commun (une caisse) déficitaire. Il s’agit malgré tout d’un modèle économique de participation et de mutualisation. Tel est en effet l’exemple d’un commun recréé dont s’inspirer.
Une économie responsable
Pour construire une économie solidaire, il est possible de réhabiliter des formes d’organisation participative dont on a oublié le sens. Aussi la sociolinguiste Josette Combes aborde-t-elle les obstacles culturels qui freinent toute coopération sous le mode d’une communication entière. Après avoir montré l’équivalence entre communication et transmission, elle rappelle que les mots charrient avec eux de la connotation. C’est le cas du terme de « collaboration », terme connoté négativement. C’est pourquoi il importe de redonner au préfixe « co » tout son sens. Et c’est resignifier sans équivoque un terme qui dit aussi la communication. Le commun est ainsi perçu comme un projet de responsabilité à la fois historique et prospectif. Communiquer tel que l’entend une économie responsable, c’est relier le présent au passé et au futur selon une démarche de réinvention collective. Quand Armand Rosenberg avance l’idée de « bonheur », c’est donc parce qu’il entend et réhabilite l’idée de bien commun.
Une société à réinventer
Après l’inauguration de la chaire CASSIS, les discussions convergeaient vers la question d’une communication authentique. C’est à cette condition que la société se construit et se recontruit sur des bases viables et fiables. Sans elle, il n’existe pas d’espaces dédiés à la réflexion et à l’action collectives. Cette nouvelle chaire se veut un laboratoire de transformation dont fait partie le laboratoire « Communication et Sociétés ». En combinant savoirs académiques et pratiques de terrain, elle ambitionne des réponses face aux crises écologiques, sociales et économiques. Cette nouvelle chaire associative invite à repenser la communication autrement que la com vendue par des agences privées de consultants. La communication est l’objet d’attribution même de cette chaire récompensant un travail de groupes. La condition de son existence est de bâtir des savoirs transversaux pour construire une société juste et plus solidaire.