Le projet d’exploitation de la diatomite à la Narse de Nouvialle dans le Cantal voit le jour en 1995. Il est entouré de controverses depuis maintenant trois décennies. En effet, il est un cas d’école sur l’apparente impossibilité de concilier, d’un côté, la préservation des zones humides et de leur biodiversité, et de l’autre, les enjeux économiques et environnementaux du secteur des matériaux de construction. Ce dernier voit ses activités bouleversées par les nouvelles normes et la remise en cause de leur existence sur les territoires depuis maintenant plusieurs années.
Nouvialle, l’eau et la roche
La Narse de Nouvialle est une zone humide de 400 hectares située sur la Planèze de Saint-Flour, dans le département du Cantal. Elle est classée en ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique), intégrée au réseau Natura 2000 et abrite plus de 80 espèces animales et végétales protégées.
Pour ses défenseurs, elle joue un rôle essentiel dans la gestion des eaux. Elle stocke l’eau lors des pluies abondantes et la restituer durant les périodes sèches.
Le projet d’Imerys prévoit la mise en place d’une activité d’extraction de la diatomite. Cette roche sédimentaire est utilisée comme agent filtrant dans diverses industries (agroalimentaire, cosmétiques, santé).
Face à la complexité des enjeux et des acteurs aux intérêts divergents, quelle place pour le débat et le compromis ? Existe-t-il une autre voie que celle de la confrontation ?
La carrière de la discorde
Dès sa présentation en 1995, le projet a suscité une vive contestation. Le Collectif pour la Narse de Nouvialle est né à cette époque. Cependant, quelques années plus tard, il se met en pause suite à la mise en sommeil du projet. Relancé en 2021, il compte aujourd’hui plus de 3 200 adhérents, dont une majorité d’habitants du territoire. Ce collectif rassemble riverains, élus locaux, agriculteurs et associations environnementales.
Par ailleurs, la multinationale Imerys est spécialisée dans l’extraction et la transformation de minéraux industriels. Elle est un acteur majeur du secteur, avec des opérations dans plus de 50 pays et un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros.
Aujourd’hui, les opposants au projet de carrière craignent que l’exploitation minière ne détruise la riche biodiversité de la narse. « C’est en contradiction avec les engagements de l’État pour la préservation des zones humides inscrits dans le Code de l’environnement », souligne Manon Jozroland du collectif.
Une source proche d’Imerys rétorque que l’entreprise « se conforme à un cadre légal strict régissant les activités industrielles en France. Il est considéré comme l’un des plus exigeants au monde en matière de protection de l’environnement». Quant au Schéma Régional des Carrières (SRC), élaboré par les préfets de région, il classe la diatomite comme un gisement d’intérêt national.
Le Massif Central, cet eldorado des minerais
La France figure parmi les trois premiers producteurs mondiaux de diatomite. Aujourd’hui, quatre gisements sont identifiés ou en activité sur le territoire national. Parmi eux, le site de Saint-Bauzile en Ardèche, qui est l’un des plus importants au monde, et celui de Virargues-Fouilloux, à proximité de Murat, qui extrait et transforme 20 000 tonnes par an. En effet, ce dernier représente 22 % de la production française et 15 % de la production européenne.
Selon plusieurs études, si aucun nouveau gisement n’est découvert ou exploité d’ici 2040, la France pourrait se retrouver sans production de diatomite. Par conséquent, ce constat explique les convoitises autour du site de la Narse de Nouvialle, dont les ressources sont estimées à environ 10 millions de tonnes. Néanmoins, le projet ne concernerait que 10 hectares sur les 400. L’entreprise s’engagerait à extraire seulement 20 000 tonnes par an pour une durée de 20 ans.
La diatomite du Cantal est particulièrement convoitée en raison de sa pureté, l’une des plus élevées en Europe. Elle est principalement utilisée dans des procédés de filtration pour des secteurs exigeants comme l’industrie agroalimentaire (notamment pour la production de bière) et pharmaceutique (filtration du plasma sanguin).
L’intérêt national de la diatomite, vraiment indiscutable ?
En 2021, le Schéma Régional des Carrières a classé la diatomite comme gisement d’intérêt national. Le SRC est un document de planification qui définit les conditions générales d’implantation des carrières. Pour qu’un gisement soit considéré d’intérêt national, il doit remplir trois critères : une faible disponibilité du minerai, une forte dépendance à des besoins peu substituables et une difficulté de substitution.
Pour le collectif, néanmoins, ces critères sont contestables. « Aujourd’hui, des groupes comme Heineken utilisent des systèmes de filtration alternatifs à la diatomite. Cela prouve que son usage n’est pas indispensable. Concernant la filtration du plasma sanguin, cela ne représente que 5 % de l’utilisation de la diatomite. Les carrières existantes peuvent répondre à ce besoin spécifique », affirme Manon Jozroland. Il s’interroge également sur l’usage non essentiel de ce matériau, citant sa présence dans des tapis de bain et de la litière pour chat.
Imerys réplique que les usages de la diatomite dans le domaine de la santé en font une question de santé publique essentielle. L’UNICEM (Union Nationale des Industries de Carrières et Matériaux de Construction) soutient, pour sa part, que la diatomite est un gisement stratégique garantissant le maintien d’une industrie et des emplois sur un territoire.
20 ans d’extraction, et après ?
Selon le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), une trentaine d’emplois directs et 75 emplois indirects sont actuellement liés à l’exploitation de la diatomite sur le site de Murat. Si le projet de Nouvialle ne voit pas le jour, ces emplois pourraient disparaître d’ici 2040.
Pour le collectif, c’est une vision court-termiste du développement économique. « On sait que ce gisement pourrait être exploité pendant 20 ans. Que se passera-t-il ensuite ? Que deviendront ces emplois ? Ce n’est que repousser le problème. L’extraction de la diatomite n’est pas une activité durable », explique le collectif. Ce dernier travaille sur un projet alternatif basé sur une stratégie de développement touristique autour de la narse.
Limiter l’impact, mais reconstruire l’irremplaçable ?
Imerys souligne que les projets de carrières intègrent désormais des exigences environnementales strictes pour limiter l’impact sur la biodiversité. D’ailleurs, le SCR impose désormais une remise en état après l’arrêt de l’activité. L’entreprise cite en exemple la réhabilitation d’une ancienne carrière en zone humide à Virargues comme un modèle de réussite.
Cependant, pour Manon, cette démarche reste insuffisante. « Je vis sur la commune de Virargues. Lorsque Imerys nous a proposé de visiter le site, j’y suis allée. J’avais sûrement un a priori négatif, mais le projet de réhabilitation ne m’a pas convaincue. Une fois un milieu détruit, il est impossible de le reproduire à l’identique, même avec des efforts de réhabilitation. »
Chez Imerys, on admet qu’il n’existe pas de « mine 100 % écoresponsable ». Toutefois, l’entreprise insiste sur son engagement à agir en conformité avec le droit français, l’un des plus stricts en matière environnementale.
Un horizon incertain pour un projet qui divise
Aujourd’hui, il n’existe pas de cadre formel pour les échanges entre les différentes parties prenantes. « Nous découvrons le calendrier au gré des articles dans la presse. Dernièrement, nous avons appris qu’Imerys prévoit de déposer sa demande d’autorisation d’exploitation au premier semestre 2025. D’une manière générale, nous avons quelques échanges fortuits avec certaines personnes de chez Imerys, mais ça ne va pas plus loin. »
Imerys précise qu’il n’a encore déposé aucun projet sur la Narse de Nouvialle et qu’aucun calendrier n’est fixé. « Nous avons des échanges avec les élus des différentes communes. Lorsque la décision sera prise, nous informerons les différentes parties prenantes. Une enquête publique sera organisée, permettant aux citoyens d’exprimer leurs observations. »
Et si on changeait les règles du débat ?
Aujourd’hui, les projets à forts enjeux, tels que les aéroports, les « méga-bassines » ou les carrières, suscitent de vives oppositions et voient émerger de nombreux collectifs.
« Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est de pouvoir exposer nos objections, présenter les conclusions des scientifiques. Le problème avec les enquêtes publiques et les débats publics, c’est que cela reste très technique. Cela rend parfois les prises de paroles incompréhensible pour un habitant du territoire. De mon point de vue, il faut revoir tout le processus. Ce que nous demandons, ce n’est pas un débat sur pour ou contre la carrière de diatomite. Ce que nous voulons, c’est un débat national autour de la production de diatomite et de ses utilisations. »
Du côté d’Imerys, on affirme que « l’on s’efforcera de bien faire les choses. Nous sommes conscients que de tels projets font de plus en plus face à des contestations. Nous serons à l’écoute des parties prenantes et intégrerons leurs objections et arguments. » L’entreprise réfute l’idée de « gagnant ou de perdant ». Elle insiste sur le fait qu’Imerys n’est pas dans une logique de confrontation.
Vers une démocratie plus vivante
Les tensions autour de la Narse de Nouvialle illustrent la complexité des enjeux territoriaux, économiques et environnementaux ainsi que la difficulté de parvenir à un compromis acceptable pour toutes les parties prenantes.
Le projet met également en lumière l’urgence de repenser la place et le rôle des citoyens dans les processus décisionnels. Alors que la société française semble aspirer à un renouveau démocratique plus inclusif et participatif, une question majeure demeure : comment réinventer le débat public autour de projets à forts enjeux sans succomber à la logique du « tout ou rien » et à la confrontation systématique, comme semble le souhaiter Imerys ?
Dans un contexte où les modèles actuels de débat public se résument trop souvent à des rapports de force entre des visions du monde irréconciliables, cette controverse interroge sur notre capacité à dépasser ces clivages. La démocratie de demain se construira-t-elle depuis Paris, ou se révélera-t-elle dans les territoires ? Peut-être que 2025 nous apportera une partie de la réponse en marquant un tournant : celui où les territoires cessent d’être de simples champs de bataille pour devenir les laboratoires d’une démocratie plus vivante et partagée.