Dans un contexte économique incertain, les entreprises, qu’elles soient en phase de croissance ou bien établies, ne sont jamais à l’abri des turbulences et des difficultés financières. Comment éviter le pire ? En matière de difficultés d’entreprise, la meilleure arme reste la prévention. Rencontre avec Ambre Fageole, Docteure en droit, avocate membre du pôle restructuring au cabinet Fidal.
Dossier spécial réalisé en partenariat avec Fidal Centre.
Pouvez-vous nous partager votre parcours et ce qui vous a conduit à choisir le domaine du restructuring ?
J’ai choisi d’étudier le droit à Bayonne, puis de compléter ce parcours par un master en histoire du droit à Clermont-Ferrand. Après ma thèse en procédures collectives, j’ai travaillé trois ans au tribunal de commerce. Ce fut une expérience formatrice qui m’a permis de saisir les subtilités du droit et de comprendre les rouages concrets des procédures.
Par la suite, j’ai rejoint l’étude d’un mandataire judiciaire, où j’ai découvert l’aspect humain des procédures collectives. À 39 ans, j’ai prêté serment et choisi de me concentrer sur le restructuring. Ce domaine mêle à la fois la technique juridique et les enjeux humains. Le restructuring est un processus de réorganisation destiné à redresser une entreprise en difficulté. L’objectif est clair : renforcer sa performance et assurer sa pérennité financière.
Lorsqu’une entreprise traverse une période de difficulté, quelles solutions s’offrent à elle pour redresser la situation ?
Elle dispose de deux grandes options : les procédures amiables et les procédures collectives.
Les procédures amiables sont souvent privilégiées, car elles permettent d’intervenir en amont et de manière confidentielle. Parmi elles, on trouve le mandat ad hoc et la conciliation.
Après avoir rencontré le Président du Tribunal de commerce en audience privée et de manière confidentielle,
- Le dirigeant confie confie à un mandataire ad hoc la mission d’évaluer la situation de l’entreprise et de négocier avec les créanciers pour trouver des solutions adaptées.
- La conciliation, toujours dans un cadre amiable, permet également d’envisager des solutions concrètes, lorsque l’état de cessation des paiements est intervenu.
Ces démarches à l’amiable présentent un avantage clé : elles préservent l’image de l’entreprise ainsi que ses relations avec ses partenaires financiers. L’objectif est de parvenir à un accord avec les créanciers, par exemple en rééchelonnant les dettes ou en gelant certains paiements. De plus, la discrétion de ces procédures permet à l’entreprise de poursuivre ses activités sans subir l’impact négatif d’une publicité autour de ses difficultés. Ceci est crucial pour continuer à répondre à des appels d’offres ou à des marchés publics.
Si les procédures amiables ne suffisent pas, le dirigeant peut envisager une procédure collective ?
La procédure collective est une option nécessaire lorsque les solutions préventives ont échoué ou qu’il est déjà un peu tard. Elle est généralement envisagée lorsque l’entreprise se trouve en état de cessation de paiement, c’est-à-dire incapable de régler ses dettes. Contrairement aux procédures amiables, elle est plus rigide, publique, et implique l’intervention de plusieurs acteurs, tels que l’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire.
- Dans le cadre d’un redressement judiciaire, l’administrateur judiciaire a pour mission de superviser ou d’assister le dirigeant dans l’élaboration d’un plan de redressement. Ce plan vise à restructurer l’activité pour tenter de restaurer la viabilité financière de l’entreprise.
- En cas de liquidation judiciaire, le rôle du liquidateur est d’arrêter une activité, de licencier les salariés mais aussi d’organiser la vente des actifs de l’entreprise afin de répartir les fonds entre les créanciers. Son objectif principal est de préserver l’intérêt des créanciers afin de leur permettre de recouvrer leurs créances, et non de défendre les intérêts du dirigeant.
Par ailleurs, contrairement aux démarches amiables, elle implique une publicité obligatoire au BODACC (Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales), ce qui peut avoir un impact sur l’image de l’entreprise. Elle implique également un gel de l’ensemble des créances et une audience devant le tribunal de commerce.
Que ce soit dans le cadre d’une procédure amiable ou collective, à quel moment intervenez-vous en tant qu’avocate au pôle restructuring de Fidal ?
Idéalement, mon intervention se fait dès l’apparition des premiers signaux de difficultés dans l’entreprise. Plus tôt je suis sollicitée, plus les chances de trouver une solution amiable avec les créanciers sont élevées. C’est ce qui permet souvent d’éviter une procédure collective.
Certains signaux d’alerte doivent alerter l’entrepreneur et l’inciter à se faire accompagner :
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- Une trésorerie tendue
- des retards de paiement aux fournisseurs ou des cotisations fiscales et/ ou sociales,
- une baisse importante du chiffre d’affaires,
- ou encore des tensions internes, entre associés ou salariés, figurent parmi ces signes précurseurs.
D’autres indicateurs, comme des contrôles fiscaux ou sociaux mettant en lumière des irrégularités, peuvent aussi refléter une gestion sous pression. De plus, il est crucial d’observer l’environnement externe de l’entreprise. Quel est l’état de santé du secteur d’activité ? Comment se portent nos fournisseurs ? Quelles sont les dynamiques du marché du travail ? Ce sont autant de facteurs à prendre en compte.
Un chef d’entreprise doit savoir prendre du recul face à ces signaux et agir rapidement pour éviter une aggravation. Faire appel à un conseil peut être déterminant. Cela permet d’analyser la situation et mettre en place des solutions adaptées pour stabiliser l’activité et d’anticiper les éventuels risques.
Lorsque l’on parle de “restructurer” une entreprise en difficulté, que met-on de manière très concrète derrière ce terme ?
Tout commence par une analyse approfondie des difficultés rencontrées : financières, opérationnelles et/ou humaines. Sur cette base, des solutions sur mesure sont élaborées, comme la renégociation des dettes bancaires, l’obtention de délais de paiement auprès des fournisseurs, de créanciers fiscaux et sociaux ou encore la réorganisation des charges.
Parfois, il est nécessaire de céder certaines activités pour recentrer l’entreprise sur son cœur de métier ou de rechercher des financements complémentaires. L’objectif final est de rétablir la pérennité et la rentabilité de l’entreprise sur le long terme.
Pour vous donner un exemple concret, dernièrement, j’ai accompagné un artisan boulanger. Bien qu’ayant un chiffre d’affaires conséquent, il rencontrait des difficultés financières. Son problème ? Une marge trop faible pour son activité de boulangerie. Sa marge, fixée à 60% ne lui permettait pas de couvrir tous les coûts liés à son activité (matières premières, salaires, énergie, loyer…) et de dégager un bénéfice suffisant pour assurer la pérennité de son commerce.
Nous avons étudié la situation et je lui ai conseillé d’augmenter progressivement ses prix afin d’atteindre une marge de 68%. C’est une marge qui est considérée comme correcte pour ce type d’activité. Le boulanger a hésité. En effet, il craignait que cette augmentation de prix ne soit pas acceptée par sa clientèle.
Finalement, cette augmentation a été bien accueillie par ses clients, qui étaient avant tout attachés à la qualité des produits proposés. L’entreprise a ainsi pu améliorer sa rentabilité et pérenniser son activité.
Que faut-il retenir de cette histoire ?
L’histoire de cet artisan boulanger met en lumière plusieurs enseignements importants :
- La gestion des marges est un élément crucial pour la santé financière d’une entreprise. Il ne suffit pas de réaliser un chiffre d’affaires élevé. Il faut que la marge réalisée sur les ventes permette de couvrir tous les coûts et de dégager un bénéfice.
- Il est important de ne pas avoir peur de fixer ses prix de vente à un niveau permettant d’assurer la rentabilité de l’activité, même si cela implique une augmentation des prix.
- Les clients sont souvent prêts à accepter une augmentation de prix si la qualité est au rendez-vous.
Vous accompagnez toutes sortes d’entreprises. Retrouve-t-on les mêmes problématiques chez les startups et les entreprises dites « classiques » ?
Les problématiques diffèrent sensiblement entre les startups et les entreprises classiques, notamment en ce qui concerne les signaux d’alerte.
Pour les startups, l’évaluation de la rentabilité est souvent plus complexe. Contrairement aux entreprises traditionnelles, qui mettent l’accent sur la génération de profits, les startups se concentrent généralement sur la croissance rapide et l’acquisition de parts de marché. Cela peut rendre plus difficile l’identification précoce de déséquilibres financiers.
De plus, dans leurs phases de développement, de nombreuses startups réalisent des levées de fonds alors qu’elles ne génèrent pas encore de revenus significatifs. Si ces levées permettent de financer leur croissance, elles génèrent également un passif important lié aux engagements financiers contractés. Bien que ces dettes ne soient pas immédiatement exigibles, elles représentent une charge qui peut peser lourdement sur la santé financière de l’entreprise.
D’autres signaux d’alerte spécifiques aux startups incluent des difficultés à boucler une nouvelle levée de fonds, un épuisement rapide de la trésorerie, ou encore des retards significatifs dans le développement du produit ou des services. Ces éléments peuvent indiquer des fragilités structurelles qu’il est essentiel d’identifier et d’anticiper.
Parfois, il n’est pas possible de “sauver” l’entreprise ou il est trop tard. En cas de liquidation judiciaire, comment accompagner au mieux le dirigeant ?
La liquidation est une étape difficile, tant sur le plan professionnel que personnel. Il est essentiel d’accompagner le dirigeant en lui expliquant clairement les conséquences juridiques et financières, tout en offrant un soutien émotionnel. Des associations comme 60 000 Rebonds aident les dirigeants à rebondir en leur proposant un soutien psychologique et des outils concrets pour construire un nouveau projet professionnel.
Il est également important de changer le regard sur l’échec. Aux Etats-Unis, un entrepreneur qui n’a pas encore planté une boîte est considéré comme un “débutant”. Un chef d’entreprise qui a dû liquider une première affaire, ne refera pas les mêmes erreurs avec son nouveau projet entrepreneurial. Outre-Atlantique, l’échec est perçu comme une expérience enrichissante.
En France, la perception de la faillite évolue progressivement. Si une faillite était autrefois synonyme d’exclusion par les banques et investisseurs, on note aujourd’hui davantage d’ouverture. Il faut rappeler aux dirigeants qu’une liquidation ne signifie pas la fin de leur capacité à entreprendre. Bien au contraire, elle peut être le point de départ d’un nouveau projet, avec un bagage d’expériences précieuses
Quel message souhaitez-vous adresser aux entrepreneurs ?
Ne restez pas isolés face aux difficultés. Demander de l’aide dès les premiers signaux est essentiel. Faites appel à un professionnel du conseil comme un avocat pour identifier rapidement des solutions adaptées aux difficultés rencontrées.
Un entrepreneur qui fait face à des difficultés sera peut-être réticent à régler des honoraires qui représentent des frais supplémentaires. Pour autant, je tiens à rappeler que la plupart des avocats travaillant en restructuring adaptent leurs honoraires à la situation de l’entreprise. Cette démarche proactive permet souvent d’éviter des conséquences bien plus graves. Et surtout, n’oubliez pas : l’échec n’est jamais une fin.