CASH FLOW OU CHAOS, CE QUE NOTRE TRÉSORERIE DIT DE NOUS

CASH FLOW OU CHAOS, CE QUE NOTRE TRÉSORERIE DIT DE NOUS

Benoît Mouraille est expert-comptable à la tête d’un cabinet dans la métropole de Clermont-Ferrand. Il partage avec nous sa vision du rôle de l’expert-comptable dans le parcours entrepreneurial. De la création d’une entreprise à la gestion des difficultés financières et des problèmes de trésorerie, en passant par des conseils stratégiques, il nous explique ses responsabilités, les limites de son intervention et ses recommandations aux jeunes entrepreneurs.

Dossier spécial réalisé en partenariat avec Fidal Centre.

Comment êtes-vous passé d’un parcours classique à Thiers à la création de votre propre cabinet d’expertise comptable ?

Je suis originaire de Thiers. J’ai suivi un parcours classique avec un bac scientifique avant de découvrir l’expertise comptable lors d’un stage dans un cabinet. Séduit, j’ai eu l’opportunité de réaliser ma formation au sein du cabinet Patrick WOLFF et j’ai obtenu mon diplôme d’expert-comptable en 2006. 

Dès l’année suivante, j’ai monté un cabinet avec un confrère et nous avons été sollicités en 2011 pour rejoindre un cabinet de taille régionale que j’ai quitté en 2016 avec mes équipes, et ainsi fonder le Cabinet Benoit Mouraille, basé à Cournon d’Auvergne. Aujourd’hui, je suis accompagné d’une équipe d’une vingtaine de collaborateurs, avec 750 dossiers en gestion et l’intégration d’une associée en cours.

Comment accompagnez-vous les chefs d’entreprise dans leurs choix stratégiques, notamment en période de difficultés ou face à l’échec ?

L’expert-comptable ne se substitue jamais au chef d’entreprise, qui reste le seul décideur. Notre rôle est notamment d’accompagner, d’informer et d’analyser les conséquences des choix de gestion. Dans la réalisation de nos missions, nous sommes attentif à l’ensemble des signaux qui nous permettent d’anticiper les difficultés financières de nos clients (rejet de paiement, dépassement autorisation de découvert).

Nous pouvons alors l’accompagner en identifiant les causes et les solutions possibles, mais nous ne prenons pas les décisions à sa place.

En pratique, notre intervention dépend de la prestation convenue avec le client. Certains nous sollicitent pour avoir des remontées de données financières régulières. 

Cependant, ces outils comme les tableaux de bord ne sont utiles que si le chef d’entreprise s’en sert. En tout état de cause, ces outils ne sont jamais contemporains. En effet, c’est une photo à un instant donné et passé. C’est pourquoi nous encourageons nos clients à anticiper et à définir des repères clairs et pragmatiques. La clé reste une communication proactive et une co-construction adaptée aux besoins spécifiques de chaque entreprise.

Comment intervenez-vous dans les démarches à l’amiable pour aider les entreprises à surmonter leurs difficultés, notamment les problèmes de trésorerie, sans passer par des procédures judiciaires ?

Mon rôle est avant tout d’accompagner psychologiquement les clients, car pour beaucoup, reconnaître des difficultés est synonyme d’une forme d’échec. Souvent ils n’ont plus le recul nécessaire pour identifier les causes de leurs difficultés. Nous les aidons à identifier tous les ressorts à leur disposition.

Si cela n’est pas suffisant, il s’agit ensuite de structurer les dettes, obtenir des échéanciers sur les dettes échues. En effet, une entité ayant des échéanciers,n’est plus considéré comme en cessation de paiement. Cela lui permettra d’accéder à des procédures confidentielles comme la conciliation. Ces démarches sont encadrées par le tribunal de commerce. Elles permettent de geler des dettes bancaires pendant plusieurs mois et de les étaler ensuite. Ainsi, l’image de l’entreprise est preservée, car ni les salariés, ni les fournisseurs, ni les clients ne sont informés.

L’objectif est d’agir avant que les dettes ne s’accumulent au point de rendre impossible toute négociation. Plus on anticipe, plus il est facile d’utiliser ces solutions moins traumatisantes. C’est ce qui évitent de basculer dans le redressement judiciaire, une procédure lourde où l’entreprise perd une partie de son autonomie de gestion.

Quel est votre rôle au sein de Second Souffle pour accompagner les chefs d’entreprise en difficulté et leur offrir des perspectives de rebond ?

Je viens d’être sollicité par Second Souffle, et ma première réunion avec eux est prévue en janvier. Leur mission est d’accompagner des chefs d’entreprise en difficulté, car ceux qui vont bien ne cherchent pas forcément d’aide. Mon rôle sera de leur donner des pistes pour traiter leurs problèmes et, parfois, de les aider à accepter qu’arrêter peut être la meilleure solution. Arrêter, ce n’est pas un échec définitif : on peut repartir sur d’autres projets, même si cela peut être compliqué, notamment si l’on est fiché Banque de France.

J’ai l’exemple d’un chef d’entreprise qui n’était pas fait pour la gestion, mais qui était un technicien hors pair. Après avoir mis fin à son aventure entrepreneuriale, il est devenu salarié dans une entreprise, avec des responsabilités et un salaire bien supérieur. Tout le monde n’est pas fait pour être chef d’entreprise, et c’est parfaitement acceptable. Le but de Second Souffle est aussi d’aider les gens à se repositionner et à rebondir.

D’après votre expérience, qu’est-ce qui caractérise une posture efficace pour réussir en entrepreneuriat ?

L’entrepreneuriat, c’est avant tout un état d’esprit. Prendre des décisions sans certitude sur les résultats fait partie du jeu. Si on ne fait rien, il ne se passe rien. Une entreprise qui entreprend est une entreprise qui vit, alors qu’une entreprise qui n’entreprend plus court le risque de stagner ou de disparaître. Mon conseil aux entrepreneurs est donc d’oser entreprendre, mais avec discernement : calibrer les risques, anticiper les conséquences et prévoir un plan B en cas d’imprévus.
Par exemple, si un produit met plus de temps à se lancer, êtes-vous prêt à ne pas vous rémunérer pendant deux mois ? Le risque est inhérent à l’entrepreneuriat, mais il doit être mesuré pour protéger ce qui a déjà été construit tout en continuant à investir et à se développer. Ne jamais entreprendre, c’est condamner son entreprise à l’immobilisme.

Comment accompagnez-vous les porteurs de projets pour évaluer la viabilité de leur idée et choisir la meilleure manière de se lancer ?

En amont, il existe des dispositifs pour accompagner les porteurs de projets. En tant qu’expert-comptable, mon rôle est d’aider ces personnes à poser les bonnes questions. Par exemple, pour quelqu’un qui veut louer des voitures sans permis, je vais lui demander : « Combien coûte un véhicule ? Combien faut-il le louer, pendant combien de jours, pour atteindre la rentabilité ? » Nous collectons les données ensemble, mais ce sont les informations du client qui guident cette analyse. Chacun a des contraintes personnelles : certains n’arrivent pas à vivre avec 5 000 € par mois, alors que d’autres épargnent avec 1 500 €.

Pour tester une idée, le statut d’auto-entrepreneur est une option intéressante. Il permet de lancer une activité pendant six mois et d’observer s’il y a un retour, sans engagement lourd. Si le projet fonctionne, il est toujours possible de créer une société par la suite. À l’inverse, pour quelqu’un qui reprend une entreprise existante, c’est différent. Il a des données et des bilans pour évaluer la viabilité, et le banquier devient le juge de paix. Chaque situation est unique, mais des outils comme la micro-entreprise permettent de minimiser les risques tout en testant une idée sur le terrain.

Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur en création, en développement ou en difficulté ?

À chaque étape, l’accompagnement de l’expert-comptable est essentiel pour prendre des décisions éclairées et anticiper les risques. Pour un entrepreneur en création, il est crucial de bien définir le cadre juridique et fiscal dès le départ. Il faut choisir le statut adapté à son projet et en tenant compte des dispositifs d’aide disponibles, comme les exonérations fiscales en Zones de Revitalisation Rurale (ZRR) ou les aides de France Travail. Négliger ces étapes peut entraîner des échecs coûteux, comme la dissolution prématurée d’une société mal structurée.

En phase de développement, la trésorerie devient le nerf de la guerre. Un chef d’entreprise doit surveiller ses fluctuations mensuelles et se fixer des repères clairs. Si des écarts apparaissent, comme une baisse des pics de trésorerie habituels, cela peut signaler des problème de trésorerie à venir. Il est alors essentiel d’identifier rapidement les causes – par exemple, des créances clients non réglées – et de relancer les paiements pour rétablir l’équilibre financier. L’expert-comptable peut ici détecter les anomalies, mais l’anticipation reste la responsabilité de l’entrepreneur.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.