Le 14 janvier dernier, le Damier organisait une grosse journée de restitution de deux initiatives menées en 2024. Un retour sur la Promo Climat (voir notre vidéo) et sur Déjà Demain, la démarche prospective sur les mutations des métiers de la culture .
Le Damier est le cluster des industries culturelles et créatives. Il s’engage sur plusieurs volets au bénéfice de ses adhérents. L’un d’entre eux a été nouvellement inscrit dans sa feuille de route : “Transformer”. A force d’accompagner les acteurs dans leur démarche RSE, et de s’y engager lui-même, le Damier a pris conscience de l’impact de ces transformations sur les métiers demain. Cette transition n’est pas seulement une question de décarbonation, mais aussi un défi qui impacte les métiers, les modes de gouvernance, les organisations et les compétences. La réflexion avait d’ailleurs été amorcée lors d’un atelier durant LUX (lire notre article).
Matty, responsable innovation et transformation au Damier, le disait: « ça a tellement pris corps au sein de de l’équipe que c’est venu totalement transformer notre projet d’activité. Tous ces enjeux de transformation, de transition écologique, mais pas que, finalement se sont incarnés aujourd’hui dans cette nouvelle démarche »
Une méthode prospective
Au départ, l’objectif était d’anticiper l’évolution des métiers et des compétences culturelles en s’appuyant sur une démarche collaborative d’exploration du futur. Pour entrer dans le sujet, étaient assemblés une vingtaine de professionnels de profils variés et une designer, Marie Cécile Godwin. Elle soulignait le fait que « dans une démarche design, quoi qu’il arrive, on ne sait pas ce qu’on livrera à la fin.” . Il s’agit de prendre en main des outils de prospective, de projeter des scénarios de futurs possibles, d’accepter des moments de confrontations, des « frictions » pour faire émerger les idées.
La méthode a été décrite comme une forme d’exploration, en acceptant l’échec comme une étape nécessaire pour avancer. L’image du Roomba, l’aspirateur robot, est utilisée comme métaphore. Son exploration a l’air erratique, elle est en fait méthodique. « Il recule, il change un petit peu d’angle et puis il repart. Il explore, s’adapte, recommence, … ». C’est malléabilité dans la façon de penser que l’on recherche. »
La mission : questionner et projeter les métiers de demain
Leur mission: identifier problématiques et enjeux rencontrés, questionner les impacts actuels et futurs sur le secteur culturel et bien sûr, recueillir des éléments pour accompagner au mieux et partager. Avec un objectif affiché, celui de délivrer des outils réplicables et concrets, applicables à court terme.
Le rappel des impacts et chocs, d’ordre économiques et financiers, réglementaire et politique, d’accessibilité des ressources, de capital image et réputation… amène à identifier des problématiques majeures
- un enjeu de gouvernance, de partage du pouvoir, de collaborations, … A repenser en intégrant les parties prenantes de manière élargie et systématique
- des modèles économiques anciens à revoir et des financements à flécher sur les enjeux transformatifs
- une relation à la technologie à assainir, centrée sur l’utile et le nécessaire
- une approche systémique et circulaire à adopter vraiment et des expérimentations à multiplier
- et enfin, une relation aux ressources humaines à apaiser et conforter. Pour réduire les injonctions contradictoires et la dissonance cognitive en développant la formation et l’échange,
Mutations : de nouveaux savoirs-être
La transition écologique implique une transformation profonde de tous les métiers du secteur culturel. Ce ne sont pas forcément de nouveaux métiers qui vont apparaître mais plutôt se transformer en intégrant de nouvelles compétences.
Le travail initié par le Damier dans le cadre de la démarche Déjà Demain s’est incarné sur des personae métiers. Quel avenir pour les DRH, régisseur, technicien, programmateur, artiste, chargé de com …
Ces nouvelles compétences sont de tous ordres, à la fois technique, culturelle et comportementale. Elles devront être acquises par la formation mais aussi par le partage d’expériences.
On y trouve par exemple les capacités à expliquer la complexité, à faciliter la coopération, à décrypter les mutations. Ou bien l’intégration d’un référentiel de pensée écologique orienté éco conception, réemploi, réduction des impacts… suffisant pour redéfinir les manières de faire. “Que la sobriété devienne la norme plutôt que l’objectif.”
Enfin, il y est aussi question de nouveaux métriques – qualitatifs et quantitatifs – pour mesurer ses impacts, environnementaux mais aussi sociaux
Métiers : de grands principes pour structurer les transformations
- décloisonner les métiers, mutualiser les compétences et tisser des alliances avec des acteurs variés. « Il va falloir mutualiser, discuter, prendre du temps aussi. »
- apprendre à naviguer dans l’incertitude et à développer des capacités d’adaptation. « La seule constante, c’est le changement et y résister ne sert à rien. »
- prendre soin des humains et de tenir compte de leur bien-être dans les transformations. Un des « points aveugles » soulevé est celui de l’écologie de l’attention, et du bien-être des travailleurs. « sur le secteur culturel comme laboratoire de l’écologie de l’attention qui ouvre plein de pistes vraiment intéressantes ». (Lire à ce sujet le rapport de Philippe Vellozzo et Sophie Lanoot “Pour une écologie de l’attention”)
- faire évoluer la fonction managériale vers un rôle d’accompagnateur des équipes à développer leurs compétences et à s’adapter aux changements constants.
- réduire la dissonance entre les discours et les actions sur le développement durable en créant des espaces pour échanger collectivement. « C’était un bon endroit je trouve pour parler de ce que la dissonance cognitive peut nous faire au quotidien »
- mutualiser les ressources, expérimenter de nouvelles formes d’organisation, et travailler avec des structures partenaires comme les ressourceries.
Des propositions pour demain
Ces axes se traduisent par des dispositifs imaginés à partir des projections de contenus des missions par type de postes.
On y voit par exemple imaginée la création d’une plateforme de co programmation à l’échelle d’un territoire destinée aux programmateurs. Ou encore, la création d’une école régionale des métiers techniques pour former des régisseurs et techniciens aux bonnes pratiques écologiques et pas mal de nouvelles formations, mêlant socle de connaissances et partages d’expériences pratiques … L’idée aussi d’installer une gouvernance locale chargée de définir les priorités, de faire des choix en matière de financements et de programmation (voir aussi les sujets de redirection écologique et le concept de renoncements)
Embarquer plus largement
Les intervenants l’affirment, la démarche du Damier « Déjà Demain » est une initiative intéressante – et stimulante- pour accompagner les mutations. Mais ils s’interrogent aussi sur les limites d’un engagement encore discret., faisant le constat que ce type d’exercice mobilise essentiellement les ‘déjà convaincus’. Comment alors embarquer plus largement ?
Raphaël Poughon, qui animait la rencontre, affiche la courbe de l’adoption du changement, rappelant qu’elle fonctionne toujours par cercles successifs et progressifs avant d’atteindre une masse critique suffisante.
Il rappelle aussi le concept du triangle de l’inaction qu’il faut avoir en tête pour éviter de sombrer dans l’apathie dépressive. Le principe du cercle décrit le fait que l’on n’agit plus parce que l’on renvoie la responsabilité vers les pouvoirs publics quand on est une entreprise ou un citoyen, vers les entreprises quand on est un citoyen etc … pour finir par ne rien faire.
Pour conclure, c’est peut-être ça aussi la fonction de ce genre de démarches : donner corps à un groupe, créer de la stimulation, de l’envie d’agir avec l’espoir de contaminer progressivement plus largement !
Toutes les infos sur Déjà Demain sur le site du Damier