Clermont-Grenoble-Chambéry, l’IA se met en réseau

Clermont-Grenoble-Chambéry, l’IA se met en réseau

Le cluster régional MIAI dédié à l’intelligence artificielle en AURA est porté par l’Université Grenoble Alpes, en partenariat avec l’Université Savoie Mont Blanc et l’Université Clermont Auvergne. Il a été désigné lauréat du plan France 2030 pour accélérer le développement de projets en matière d’intelligence artificielle. L’inauguration officielle aura lieu le 11 février prochain à Grenoble et le cluster sera doté de 70 M€ sur 5 ans.

Pourriez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a conduit à faire de la recherche en intelligence artificielle ?

Je suis originaire de Picardie et j’y ai passé toute ma jeunesse. Par la suite, je me suis installé en Auvergne pour poursuivre mes études. J’ai intégré une école d’ingénieur, puis j’ai réalisé une thèse dans le domaine de l’imagerie médicale.
Après ma thèse, j’ai eu l’opportunité d’être recruté à l’université en 2001J comme enseignant-chercheur. Depuis 15 ans, je développe des travaux de recherche autour de l’intelligence artificielle au sein du laboratoire LIMOS. Le dernier projet en date, c’est précisément ce cluster dédié à l’IA, les « MIAI Cluster », qui associe plusieurs sites universitaires. Je suis membre du conseil scientifique et du comité exécutif de ce cluster.

Comment décririez-vous le paysage de l’IA il y a quinze ans ?

À l’époque, les réseaux de neurones existaient déjà, mais ils étaient très limités et pas autant « à la mode » qu’aujourd’hui. En effet, nous ne disposions ni de la puissance de calcul nécessaire, ni de grandes masses de données. Aujourd’hui, de nouveaux algorithmes et de nouvelles applications apparaissent presque quotidiennement : c’est un rythme effréné. Quand je me suis lancé dans l’IA, on pouvait suivre tranquillement l’évolution des travaux de recherche, mais désormais, il est impossible de lire toutes les publications. 

Avant de parler plus en détail du cluster, comment décririez-vous l’écosystème de l’IA au niveau local ?

Sur le plan national, je ne dirais pas que Clermont-Ferrand fait partie des plus grands pôles français, en termes de volume, car nous n’avons pas la même masse critique que Paris, Grenoble ou Toulouse. En revanche, nous avons des expertises reconnues dans plusieurs domaines ciblés de l’IA.

Le tissu local se compose d’abord de laboratoires universitaires : on trouve par exemple le LIMoS, l’Institut Pascal, le laboratoire de mathématiques, le laboratoire de physique, et d’autres structures. Autour de ces entités plus centrées sur les méthodes et les bases théoriques de l’IA gravitent des laboratoires thématiques : biologie, chimie, psychologie, voire sciences humaines et sociales

Côté entreprises, il existe un vrai dynamisme. Des grandes sociétés, comme Michelin ou Limagrain, ont leurs propres services dédiés à l’IA. On voit aussi des ESN (Entreprises de Services du Numérique) – Sopra Steria, CGI, Capgemini, pour n’en citer que quelques-unes. Elles proposent des prestations en lien avec l’IA. Enfin, nombre de PME locales commencent à s’y intéresser de plus près. En effet, l’IA s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable pour gagner en compétitivité, pour analyser des données massives ou pour développer de nouveaux services.

Parlez nous du nouveau cluster IA, baptisé « MIAI », qui implique Grenoble, Clermont-Ferrand et l’Université Savoie Mont-Blanc. 

Tout est parti d’un premier appel à projets, lancé par l’État, visant à créer des « instituts » ou « clusters » d’IA dans toute la France. En 2019, Grenoble a répondu seule à l’appel et a été labellisée « MIAI » (pour « Multidisciplinary Institute in Artificial Intelligence »). À l’époque, seuls quatre pôles avaient été sélectionnés : Toulouse, Grenoble, Sophia Antipolis et Paris.

Ensuite, un deuxième appel à projets a été lancé il y a environ un an et demi. Entre-temps, j’avais eu l’occasion de rencontrer des collègues de Grenoble lors d’une réunion à Paris, et nous avons discuté de la possibilité d’élargir le MIAI de Grenoble pour en faire un projet interrégional. L’idée était d’y inclure Clermont-Ferrand et l’Université Savoie Mont-Blanc.

Nous avons monté ce dossier et avons décroché en 2024 la labellisation parmi neuf nouveaux sites sélectionnés en France. Ce cluster, qui garde le nom « MIAI », est basé sur un triptyque : formation, recherche et innovation.

  1. Formation : proposer ou renforcer des cursus dédiés à l’IA, que ce soit des formations « cœur » en informatique ou en mathématiques (avec des modules IA poussés), ou des formations plus « appliquées » – droit, biologie, médecine, etc. – où on intègre des enseignements sur la data science ou l’IA.
  2. Recherche : financer des chaires de recherche d’une durée de quatre ans, offrant des moyens humains et matériels pour explorer de nouvelles pistes scientifiques, avec un volet formation et innovation. D’autres types de financements (post docs, workshops, écoles d’été,…) sont également prévus.
  3. Innovation : soutenir la valorisation et le transfert de technologies vers l’industrie, qu’il s’agisse de grands groupes ou de PME, voire susciter la création de start-up spécialisées.

Vous avez mentionné le financement de chaires de recherche. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le financement de chaires constitue un axe majeur du cluster. Nous avons lancé un premier appel à projets fin 2022, afin de soutenir une trentaine de chaires. Chaque chaire s’étale sur quatre ans, avec un budget avoisinant 450 000 euros. Cet argent sert à financer des postes de doctorants, de post-doctorants, à acquérir du matériel ou à organiser des événements scientifiques (workshops, écoles d’été, etc.).

Nous insistons sur le fait qu’une chaire de recherche doit aussi comporter un volet formation. Les titulaires de ces chaires sont encouragés à adosser au volet recherche une composante formation. Proposer de nouveaux modules ou séminaires destinés aux étudiants de master ou de doctorat, pour qu’il y ait une diffusion des connaissances en parallèle des travaux de recherche.

Par ailleurs, nous privilégions la transversalité : si un projet peut associer plusieurs sites (par exemple Clermont et Grenoble, ou Grenoble et Savoie Mont-Blanc, ou même les trois), c’est idéal. Cela permet de renforcer la collaboration inter-laboratoires et d’éviter une trop grande dispersion des efforts.

Parlons un peu de l’avenir de l’IA en général. Selon vous, quels sont les grands défis à relever dans les prochaines années ?

Il y a plusieurs enjeux majeurs. D’abord, la vitesse à laquelle les choses avancent : le rythme des publications et des nouveautés technologiques est impressionnant. Suivre ces avancées exige beaucoup de temps et de curiosité. Cela nécessite d’avoir un esprit critique, car tout ce qui sort n’est pas forcément fiable, sécurisé ni éthiquement acceptable.

Ensuite, il y a la question de l’éthique et de la régulation. Les grands modèles de langage, par exemple, peuvent générer du code ou du contenu textuel très convaincant. Néanmoins, mais on sait qu’ils peuvent se tromper, halluciner des informations ou véhiculer des biais. Les juristes, les experts en sciences humaines et sociales, les philosophes, doivent être associés pour encadrer ces nouvelles pratiques.

Enfin, je dirais qu’il ne faut pas perdre de vue l’aspect environnemental. Les IA nécessitent souvent des ressources considérables pour être entraînées : serveurs puissants, consommation énergétique, etc. Nous devons veiller à optimiser tout cela et à réfléchir à l’impact écologique.

Une dernière question sur l’intégration de l’IA dans l’économie locale. Qu’en est-il des PME et autres structures plus modestes qui ne maîtrisent pas forcément le sujet ? Comment peuvent-elles bénéficier de ces avancées ?

C’est un point crucial. Beaucoup de PME ou de TPE s’intéressent à l’IA, mais ne savent pas par où commencer. Je reçois régulièrement des demandes du type : « Pouvez-vous venir faire une présentation sur l’IA, ses cas d’usage, ses limites, etc… ? » J’ai aussi des contacts avec des laboratoires de l’université (hors IA) qui se disent : « Nous avons un gros jeu de données, comment pourrions-nous l’exploiter grâce à l’IA ? »

Heureusement, il existe des dispositifs pour faciliter les mises en relation entre académiques et entreprises. Par exemple, Clermont Auvergne Innovation joue un rôle de guichet unique pour accompagner des projets, faire du conseil, orienter vers les bonnes expertises. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Je dirais que vous m’offrez l’occasion de répéter l’idée qui me paraît la plus importante : éduquer et sensibiliser un large public à l’IA. Nous devons tout faire pour qu’il n’y ait pas une minorité d’initiés d’un côté, et, de l’autre, un grand nombre de gens pour qui ce serait une « boîte noire ». L’IA fait désormais partie de notre quotidien. Il faut donc que chacun sache, au moins dans les grandes lignes, à quoi s’attendre.

Je trouve aussi essentiel de maintenir le dialogue entre les sciences fondamentales et les sciences humaines et sociales. C’est là que des débats sur l’éthique, la responsabilité, la propriété des données, prennent tout leur sens. L’IA n’est pas simplement un outil technique, c’est un phénomène de société.

 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.