Il y a mille manières de choisir un spectacle : le nom de l’artiste, le thème, le bouche-à-oreille.
Nous, nous avons choisi de regarder la nouvelle saison de la Comédie de Clermont avec nos lunettes du Connecteur : qu’est-ce que cela dit du monde d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela nous permet d’explorer sur les transformations en cours ?
Et nous avons repéré six propositions qui, chacune à leur façon, interrogent des sujets brûlants : écologie, colère, justice, ruralité, chaos informationnel… Rien que ça. Et franchement, ça vaut le détour.
Et si une partie de l’humanité partait vivre sur Mars ?
La Distance, de Tiago Rodrigues, imagine une société où une partie de l’humanité vit désormais sur Mars pendant que l’autre tente de survivre sur une Terre abîmée. Le point de départ est simple : un père et sa fille, séparés par des millions de kilomètres, échangent à distance. Mais ce que raconte la pièce, ce sont surtout les conséquences concrètes de l’inaction collective, quand les choix qu’on n’a pas faits finissent par nous éloigner les uns des autres — parfois de manière irréversible.
En prenant appui sur une situation de science-fiction (crédible), La Distance parle d’écologie, d’inégalités, de ruptures générationnelles. Et pose une question qu’on ferait bien de garder en tête : jusqu’où peut-on tenir ensemble quand nos mondes se séparent ?
Comment organiser la colère pour en faire une force démocratique ?
Le Parlement des colères s’inspire de la Pnyx, la colline où les citoyens prenaient la parole dans la Grèce antique. Ici, ce sont des jeunes de 16 à 20 ans qui, pendant dix jours, construisent une prise de parole publique sur scène. Ils y expriment leurs colères, non pas sous forme de rôle ou de performance, mais à partir de ce qu’ils vivent et pensent (vraiment).
Le projet de la compagnie clermontoise les Guêpes Rouges propose une forme hybride entre théâtre et assemblée. Il explore comment la scène peut devenir un espace pour prendre la parole, écouter les autres, et imaginer ensemble des formes d’action possibles.
Peut-on encore faire alliance dans un monde fragmenté ?
Nelvar, le royaume sans peuple, de Logan De Carvalho, reprend les codes de l’héroïc fantasy — elfes, trolls, magiciens — pour raconter une histoire de coopération forcée. Un monde imaginaire menacé, des espèces qui n’ont d’autre choix que de s’entendre malgré leurs différences. Chacune a ses règles, son langage, ses priorités.
Derrière ce décor fantastique, le spectacle aborde des questions très concrètes : comment faire groupe dans un contexte de fragmentation ? Comment composer avec des mémoires, des intérêts et des cultures divergentes ? La pièce dure 3h50 avec entracte, mais il parait que ça passe tout seul.
Et si on repensait notre rapport au monde par le corps et les sens ?
Je suis une montagne est conçu par Éric Arnal Burtschy. Il repose sur un format innovant et radicalement différent d’une pièce de théâtre classique. En effet, les spectateurs, allongés et les yeux fermés, traversent un spectacle uniquement sonore. Aucun visuel, aucun récit : l’ensemble repose sur des sons, des souffles, des vibrations.
cette proposition s’écarte des codes habituels du théâtre. Elle teste une autre manière de capter l’attention et de créer un rapport au public. Elle permet de réfléchir à la place du corps, dans notre rapport à la nature qui nous entoure. 1h10 d’expérience sensorielle !
Que nous dit la justice expéditive sur notre rapport à l’équité ?
Léviathan, de Laurraine de Sagazan, s’appuie sur des semaines d’observation dans des tribunaux pour explorer un pan méconnu de la justice : les comparutions immédiates. Ce type de procédure, rapide et souvent expéditive, pose une série de questions sur l’équilibre entre efficacité, droit à la défense et équité des décisions.
Le spectacle mêle reconstitution de procès, improvisation des comédiens et une scénographie assez perturbante – comme un cirque abandonné, des marionnettes ou des comédiens masqués. Il ne cherche pas à juger (ou peut-être que si) mais à rendre visibles les logiques internes d’un système confronté à ses propres contradictions. Une manière de documenter, par le théâtre, les angles morts d’une institution censée garantir la justice pour tous.
Foncier, héritage, rentabilité : l’impasse agricole en scène avec Zola
La Terre est adapté du roman d’Émile Zola par Anne Barbot. Elle revient sur une histoire de transmission agricole à la fin du XIXᵉ siècle. Un paysan vieillissant tente de partager ses terres entre ses enfants, dans un monde rural déjà traversé par des logiques de productivité et des rapports de force familiaux.
Le choix d’adapter Zola aujourd’hui n’a rien d’anodin. À travers ce texte du XIXᵉ, le spectacle met en lumière des questions toujours actuelles : à qui appartiennent les terres ? Comment se transmettent-elles ? Que devient le travail agricole sous pression économique ? La mise en scène redonne une voix à celles et ceux qu’on entend peu, alors même qu’ils nourrissent la société.
Vous n’aimerez peut-être pas tout. Et ce n’est pas le but. Mais si vous avez envie de sortir des sentiers battus, d’explorer des formes nouvelles, ou simplement de vous laisser surprendre par des récits qui interrogent le monde qui vient, cette saison a beaucoup à offrir.
Ces spectacles donnent matière à penser, à débattre, parfois à déranger. Et c’est aussi pour ça qu’on ira les voir. Parce que dans un contexte de transition, ce type de propositions, ça compte.