À Lapalisse, dans l’Allier, Olivier Fabre, serial entrepreneur, a transformé une frustration de boxeur en projet technologique.
Avec VR Boxing et “Fyyte”, il développe depuis l’Auvergne une nouvelle discipline d’e-sport boxe en réalité virtuelle, déjà tournée vers les Jeux Olympiques virtuels de 2027 à Riyad.
Quel chemin vous a conduit de la fibre à la VR ?
Olivier Fabre. Je suis né à Paris 14ᵉ et j’ai grandi en Essonne, d’abord en cité puis dans une petite ville connue pour son circuit automobile. Après un IUT en techniques de commercialisation, j’entre chez Siemens. Très vite, je bascule côté technique : réseaux, télécoms… J’ai une règle simple : je ne peux pas vendre ce que je ne maîtrise pas. Alors j’apprends, jusqu’à connaître le sujet sur le bout des doigts.
Mais la vie francilienne m’use — la lourdeur du grand groupe, les embouteillages, le rythme. Je décide de partir dans le Var, près des gorges du Verdon, où je rencontre celle qui deviendra ma femme. On adore le cadre, mais on finit par retrouver le même stress, autrement. Des amis installés près de Lapalisse nous parlent d’un autre rythme : du vert, de l’espace, des logements abordables. À force d’allers-retours le week-end, on finit par se dire : et si on y allait ?
En 2007, on saute le pas. On s’installe à Lapalisse, et je déménage le siège de ma société dans l’Allier. C’est là que s’ancre mon parcours d’entrepreneur.
Vous créez une entreprise de réseaux. Comment avez-vous trouvé votre place sur un marché déjà très technique ?
O.F. Au départ, nous installons des réseaux informatiques. Très vite, nous comprenons que la fibre optique va tout changer et nous prenons le virage. Vers 2009-2010, nous testons une technologie capable de faire passer la télévision et la TNT sur la fibre. C’était encore peu connu. En octobre 2010, nous réalisons un déploiement à Flaine, puis dans d’autres stations comme Courchevel, où la demande en très haut débit explose. Là, on comprend que le besoin est immense et que peu d’acteurs savent le couvrir correctement.
Nous créons une structure dédiée pour amener Internet là où les opérateurs ne vont pas. Très vite, nous équipons des sites isolés et des lieux emblématiques pour les Auvergnats, comme Le PAL.
Cette société, devenue Courchevel Télécom / Net and You, s’est révélée très rentable. En la revendant, nous avons pu financer la création de VR Boxing : un tremplin qui nous a permis de réinvestir dans plusieurs entreprises de développement VR et de poser les bases techniques du futur projet.
Comment en êtes-vous venu à mêler réalité virtuelle et boxe ?
O.F. Je pratique la boxe depuis mes 28 ans. Le confinement a entraîné la fermeture de mon club et, forcément, beaucoup de frustration. C’est à Lapalisse que le déclic est venu. Le fablab local organisait alors des journées de découverte VR. J’ai enfilé un casque, et ça a été la révélation.
Dès le lendemain, j’en ai acheté un et j’ai commencé à tester ce qui existait pour boxer. Le constat était simple : il y avait bien un jeu, mais trop peu réaliste. Je voulais une expérience qui oblige à reproduire les vrais gestes, offensifs et défensifs. Pas un simple jeu d’arcade.
C’est pour ça que je me suis entouré d’un référent technique exigeant, Madjid Nassah, l’entraîneur de Jérôme Le Banner et d’Édouard Philippe. Il nous a aidés à cadrer les enchaînements, la précision, la posture — tout ce qui fait la différence entre un jeu et une vraie pratique sportive.
Comment s’est faite la rencontre avec Jérôme Le Banner, et qu’est-ce qu’elle a changé pour le projet ?
O.F. Par Le Havre. Par relations interposées, j’ai eu l’opportunité de présenter une démo le 1ᵉʳ septembre 2021 à Jérôme Le Banner, mon idole depuis toujours. Je lui ai montré ce qui existait déjà, et surtout ce que je voulais ajouter : plus de réalisme, plus d’exigence, plus de ressenti. Il a tout de suite compris l’idée et accepté d’y participer. Son expérience et sa rigueur sont devenues des repères pour nous.
Concrètement, comment ça marche, FYYTE ?
O.F. On enfile un casque Meta Quest — 2, 3, 3S ou Pro — et on monte sur un ring virtuel. C’est Jérôme Le Banner qui accueille l’utilisateur.
Il y a deux usages. D’abord, l’entraînement : quatre minutes coachées. Directs, crochets, uppercuts, esquives… Chaque geste est analysé et noté pour progresser.
L’autre option, c’est le combat en ligne 1 contre 1. On affronte un adversaire de niveau proche, grâce au classement ELO. Ce score positionne chaque joueur et permet d’organiser des duels équitables. On peut défier ses amis ou des inconnus du même niveau.
Qu’est-ce qui rend la boxe en VR aussi exigeante ?
O.F. La distance poing-visage est très courte. La moindre approximation se voit tout de suite. Si on veut autre chose qu’un simple jeu d’arcade, il faut contraindre aux bons gestes. C’est justement le rôle du référent technique : veiller à la posture, à la précision, à la coordination. Et oui, on transpire vraiment. Ce n’est pas un e-sport à la manette, c’est une vraie pratique physique.
Où en est le lancement, et sur quel modèle économique vous appuyez-vous ?
O.F. Depuis le 19 septembre, FYYTE est disponible en Early Access sur le Meta Store, à 8,99 € TTC. Le jeu est jouable, mais pas encore finalisé. La version complète devrait se situer autour de 19 à 20 €.
Pour les clubs, nous allons proposer un abonnement. L’entreprise fournira les casques, une mallette qui recharge et met à jour les appareils, ainsi qu’un kit de nettoyage. Nous préparons aussi des vestes haptiques : quand on reçoit un coup virtuel au corps, la veste vibre au bon endroit.
Notre objectif est d’ouvrir de vraies sections e-sport dans les clubs. Nous avons déjà des rendez-vous avec plusieurs fédérations pour officialiser le dispositif, et le kit clubs est prévu d’ici la fin de l’année.
Et après la boxe, quel sera le prochain combat ?
O.F. L’objectif, c’est d’étendre l’approche à neuf sports d’ici 2027 : tennis, tennis de table, escrime et d’autres disciplines à venir. Nous avons commencé par le plus difficile. Si nous savons concevoir un entraînement et des combats crédibles avec la boxe, alors nous saurons dérouler le reste.
Nous avons aussi un rêve assumé : remettre des légendes sur le ring, sans risque. Scanner en trois dimensions Mike Tyson, par exemple, et reproduire son style grâce à nos technologies et à l’IA. Ce n’est pas encore une réalité, mais c’est clairement notre cap.
Pourquoi viser l’international, avec en ligne de mire Riyad 2027 ?
O.F. En France, la pratique sportive en VR reste encore marginale. Ailleurs, elle est déjà bien installée, avec des centres dédiés et des investissements importants. Les Jeux Olympiques virtuels auront lieu à Riyad en 2027, et cela ouvre une fenêtre unique. Nous voulons être prêts : structurer des sections dans les clubs, préparer des équipes et faire reconnaître cette nouvelle discipline.
Vous avez besoin d’accélérer. Où en est la levée de fonds ?
O.F. Nous devons accélérer pour pouvoir développer plusieurs sports en parallèle. En France, la notion de risque est souvent mal vécue. La VR sportive est jugée trop nouvelle, trop expérimentale. C’est pour ça que nous regardons surtout à l’international, là où la culture de l’innovation est plus ouverte.
Nous échangeons déjà avec des acteurs de l’immersif qui nous connaissent bien, comme EVA, qui pourrait devenir un partenaire stratégique. Mais le vrai sujet, c’est le temps. L’horizon, c’est 2027. Et chaque mois compte.
Vous restez fidèle à l’Auvergne ?
O.F. Oui, complètement. Lapalisse est notre point d’appui depuis 2007. Le déclic VR est né ici. C’est aussi ici que s’est construite notre approche de “maître d’ouvrage” : investir dans les bons studios, piloter le développement, puis internaliser quand le moment est venu.
Un projet peut naître à Lapalisse et viser loin. L’important, c’est de rester solide techniquement, fidèle à ce qu’on sait faire, et d’avancer pas à pas.
C’est l’instant carte blanche. Un message à faire passer ?
O.F. Oui. Innover en France, c’est encore un combat. Je l’ai vécu avec la fibre en montagne : au début, personne n’y croyait. Et puis, une fois que ça marche, tout le monde arrive en disant “bravo, comment on peut t’aider ?” — mais c’est trop tard.
La vraie difficulté, c’est le moment du risque, celui où il faut croire à une idée avant qu’elle fasse ses preuves. En France, on parle beaucoup de capital-risque, mais la plupart du temps, c’est du capital sans risque.
Malgré tout, on avance. Parce que ce qu’on construit tient la route : une expérience sportive exigeante, une feuille de route claire et une vision internationale.