Par Damien Caillard
et Cindy Pappalardo-Roy
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« On ne fait pas de bons plats sans de bons produits » : Angy Lemaire aime répéter cette phrase pour résumer sa vision, axée sur la collaboration des acteurs de la chaîne agro-alimentaire. En effet, la notion de « confiance numérique » peut revêtir de nombreuses formes. Exemple avec Bovimarket – maintenant Agapai -, la start-up auvergnate co-créée par Angy, qui propose une plateforme digitale collaborative pour les partenaires de la restauration collective. Angy a su mettre à profit une expérience et une formation variées, du monde agricole au marketing en passant par l’électronique, afin d’appréhender toutes les problématiques de son ambitieux projet.
Tu viens du monde agricole. Peux-tu nous en parler ?
Mon père était agriculteur, et j’adore revenir au concret, au travail de la terre. Je vais tous les ans faire les moissons l’été avec un ami céréalier. J’ai passé en auditeur libre le Baccalauréat agricole alors que j’étais déjà ingénieur. Le monde agricole restera mes racines auxquelles je suis attaché.
Comment est perçu le monde agricole en France ?
Je suis convaincu que, malgré les difficultés actuelles de l’agriculture, la montée en gamme avec plus de qualité (bio, chartes …) est une bonne réponse. Sous la même dénomination “agriculteur” on retrouve une diversité incroyable de profils qui peut être une vraie opportunité pour s’adapter aux nombreuses et diverses demandes des consommateurs. J’ai l’impression qu’il reste encore une certaine peur de changer. Toutefois, le monde agricole est capable d’évoluer très vite. Je suis convaincu que malgré les difficultés actuelles de l’agriculture, la montée en gamme avec plus de qualité (bio, chartes…) est une bonne réponse.
Peux tu-nous parler de ton parcours professionnel au départ ?
J’ai une formation initiale en tant qu’ingénieur en mécanique énergétique. Lors d’un stage ingénieur en Allemagne dans l’aéronautique, je me suis rendu compte que l’on faisait beaucoup de modifications “incrémentales”, ce qui était de l’optimisation et non de la création. À cette époque-là (début des années 2000), j’ai senti tous les changements que pouvait apporter l’électronique.
« Je suis convaincu que, malgré les difficultés actuelles de l’agriculture, la montée en gamme avec plus de qualité (bio, chartes …) est une bonne réponse »
Cela m’a amené à rejoindre [l’entreprise] NEC à Londres, où j’ai occupé un poste d’ingénieur en électronique pour la conception des premiers réseaux 3G. Je me rendais compte que cela allait révolutionner les télécoms et notre façon de vivre.
Vers quoi t’ont amenées ces expériences professionnelles ?
Je suis revenu en France en 2007 dans une startup appelée Let It Wave, dans le video processing (algorithmique et applications liées à la vidéo – hardware et software). Je me suis retrouvé avec une équipe, dont la vivacité d’esprit a suscité mon enthousiasme. J’ai alors vécu : la levée de fonds, les due diligence, la crise financière, le rachat par une entreprise, la croissance rapide et les problèmes de structuration qui en découlent… J’ai appris que la question centrale dans une start-up est vraiment l’exécution et la maîtrise du temps. À la fin, j’étais fatigué car cela a demandé un investissement de tous les moments. Maintenant je peux le dire : je l’ai fait, où plutôt “on l’a fait” avec tous mes autres collègues de l’époque !
Tu as ensuite choisi d’approfondir ta formation …
À la faveur d’un rachat de cette start-up, j’ai eu l’opportunité de reprendre mes études pour suivre un MBA à l’EM Lyon – qui était orienté vers l’entrepreneuriat. De toutes mes expériences passées, j’ai compris que faire le meilleur produit du monde, c’est bien, mais si tu ne le vends pas, ça ne sert à rien. Je me suis rendu compte que la clé, c’est le client : savoir lui parler, comprendre ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas, est primordial pour la réussite d’un projet. Ainsi, j’ai choisi ce MBA avec une spécialisation en marketing et management de l’innovation. C’était la continuité de mon parcours personnel. J’avais besoin d’une vision allant au delà du technique, incluant les côtés commercial, marketing et besoin client.
« J’ai appris que la question centrale dans une start-up est vraiment l’exécution et la maîtrise du temps. »
En 2014, à la sortie de mon MBA je ne savais pas ce que je voulais faire car paradoxalement, j’avais l’impression d’avoir des milliers de portes devant moi, sans savoir laquelle ouvrir. Marketing ? Ventes ? Systèmes d’information ? Numérique ? Quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on ne peut pas trouver.
Comment es-tu sorti de cette situation ?
J’ai commencé à refaire des événements sur l’entrepreneuriat, la base de ce qui m’avait motivé à m’inscrire en MBA. J’ai alors assisté aux “Mardis de l’innovation” à Paris, un rendez-vous très enrichissant. Je me suis même faufilé dans des cours à l’école du barreau de Paris grâce à une amie. Tout cela m’a aéré l’esprit et aider à prendre du recul. À cette époque j’ai rencontré mon futur associé, cofondateur de Bovimarket, qui m’a dit : “Un éleveur ne vend pas une vache à quelqu’un qu’il ne connaît pas.” L’expérience familiale me le prouvait ! Alors pourquoi trouvait-on des vaches sur le Bon Coin, qui est l’archétype de la vente déshumanisée?
« Mon futur associé m’a dit : ‘Un éleveur ne vend pas une vache à quelqu’un qu’il ne connaît pas’ ; l’expérience familiale me le prouvait. »
La vente dans le monde agricole est basée avant tout sur la confiance et les relations humaines récurrentes. Avec mon associé, nous nous sommes dit que monter un projet entrepreneurial pour connecter les éleveurs aux négociants avait du sens. J’ai donc commencé à réfléchir avec lui à la mise en place de ces relations B2B à travers ce projet.
C’est ainsi qu’est né Bovimarket ?
Tout à fait, le projet Bovimarket cherchait à établir des relations B2B entre négociants et éleveurs dans un réseau numérique. Puis, au contact des prospects, ceux-ci nous disaient : “vous me résolvez mon approvisionnement, mais il faut le connecter à ma vente pour les mettre en adéquation”. Au final, nous sommes remontés jusqu’au consommateur. Il y a un problème de valorisation des métiers dans l’agroalimentaire : on y travaille dur, pour un bénéfice qui n’est pas toujours au rendez-vous.
C’est dans l’amélioration des relations entre les acteurs de la chaîne agroalimentaire que se trouve les grandes opportunités de création de valeur ajoutée. C’est donc l’optimisation de la chaîne elle-même, et pas l’amélioration d’un seul élément, qu’il faut envisager. D’ailleurs, c’est bien par la collaboration de tous les acteurs de la chaîne agroalimentaire que l’on obtient de bons plats! C’est pourquoi Bovimaket a été créé au départ comme un réseau social entre professionnels des filières de l’agroalimentaire.
Vous avez pivoté plusieurs fois au sein de la start-up ...
Oui : de la filière viande, nous nous sommes orientés vers la restauration collective en incluant tous les autres produits (fruits, légumes…). Une levée de fonds auprès notamment de Groupama Lyon nous a permis de mieux nous structurer pour trouver des développeurs au début et co-développer nos premiers prototypes notamment avec le lycée Lafayette de Clermont-Ferrand et le lycée Montdory de Thiers. Ils utilisent notre solution au quotidien depuis septembre 2017.
En 2018, mon associé est parti. Nous n’avions plus la même façon de concevoir l’opérationnel. Je me suis retrouvé seul à la direction, ce qui n’est pas évident au début. Heureusement j’avais une équipe solide, un outil prêt, des utilisateurs professionnels motivés. Une recomposition de toute l’équipe commerciale, nous a permis d’aller encore plus au contact des besoins clients et de conforter une stratégie basé sur la gestion des flux de données.
Enfin, nous avons changé le nom de l’entreprise : Agapai, et re-précisé sa mission : donner accès aux convives, des plats savoureux, sains et équilibré, dans la convivialité. Agapai devient ainsi la plateforme digitale collaborative des partenaires de la restauration collective.
Quels sont les objectifs à moyen terme ?
Nous nous focalisons sur l’industrialisation de notre déploiement commercial auprès de la restauration collective scolaire d’abord et leurs fournisseurs ensuite. Plusieurs lycées sont déjà clients de notre plateforme et certains de leurs fournisseurs y sont entrés en test. Concrètement nous proposons un outil de gestion de la restauration pour les établissements scolaires, afin d’améliorer : la qualité de leurs plats, la planification, leur politique d’achats locaux/régionaux/qualités (BIO-charte), et la connexion à leurs fournisseurs. La restauration collective, c’est un moyen plus simple pour toucher le client final dans un cadre réglementaire avec des objectifs de santé publique.
Pourquoi être venu vous installer en Auvergne ?
Ce que j’ai beaucoup apprécié à Clermont-Ferrand, ce sont les dispositifs BUSI et le Comité Innovergne. Précédemment, à Paris, la connexion des filières viandes n’intéressait pas vraiment les interlocuteurs que nous rencontrions. Nous avons présenté notre projet en Auvergne, région au coeur du bassin de production des plus importantes filières de viande de qualité AOP et IGP. Deux semaines après être arrivé, et une présentation au comité Innovergne, le projet fut validé et l’incubateur BUSI nous ouvrait ses portes, avec une bourse French Tech !
Plus globalement, comment analyses-tu l’interaction des acteurs de l’innovation ?
La taille de l’écosystème des entreprises présentes permet rapidement de connaître tous les autres acteurs environnants. C’est une vraie force. Il faudrait aller encore plus loin. Le Connecteur peut être l’embryon d’un micro réseau social de l’écosystème innovant de la métropole de Clermont.
« La taille de l’écosystème des entreprises présentes permet rapidement de connaître tous les autres acteurs environnants. »
Au Bivouac, alors que j’étais membre du jury Agritech, j’ai rencontré Estelle Tournier, et en parallèle, Justine Lhoste, et de fil en aiguille – grâce à elle – à Epicentre, Marie-Pierre Demarty, Fanny Reynaud, Sébastien Godot pour les contenus, etc. Il y a des éléments facilitant la connexion : BUSI m’a permis de rencontrer Xavier Faure [Piloter sa Ferme], qui m’a lui-même mis en relation avec Nicolas Roux d’Agaetis. J’ai rencontré aussi Filipe Pereira d’Overscan. Ces deux dernières entreprises ont beaucoup contribué au développement de l’entreprise.
Quel est le rôle de l’incubateur BUSI dans l’écosystème local, selon toi ?
BUSI a été le principal élément de soutien de notre progression dans l’écosystème local. Ils sont très discrets mais très efficaces. Ils gagneraient à être plus connus. De nombreuses start-ups en sortent et réussissent. Initialement, j’étais suivi par Stéphanie Cailloux puis par Isabelle Mounier ; elles ont su structurer notre action – surtout la communication.
« BUSI a été le principal élément de soutien de notre progression dans l’écosystème local »
BUSI nous a introduit dans l’écosystème local auprès des financeurs, banques, BPI, entreprises, les institutions comme l’agglomération de Clermont et le conseil régional. BUSI nous a particulièrement aidé sur notre présentation. Par exemple, notre pitch initial était trop conceptuel et technique : il nous desservait. Il a fallu se remettre en cause, BUSI a été d’un grand soutien et nous a bien épaulé pour rebondir et améliorer notre discours et notre projet.
Pour en savoir plus :
le site officiel de Agapai (anciennement Bovimarket)
le site officiel de BUSI
Entretien réalisé le 20 novembre 2018 à Pascalis par Damien Caillard. Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy, puis relus et corrigés par Angy.
Visuels fournis par Angy sauf la photo de Une, par Damien Caillard pour le Connecteur, et la photo de l’équipe Agapai, par Fanny Reynaud.
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #MondeAgricole – Le père d’Angy Lemaire était agriculteur, et celui-ci continue de faire les moissons tous les étés. Il a passé en auditeur libre le Baccalauréat agricole alors qu’il était déjà ingénieur. En France, le monde agricole est plutôt perçu avec des stéréotypes et comme un monde plutôt fermé ; toutefois, il est capable d’évoluer très vite. Angy est convaincu que malgré les difficultés actuelles de l’agriculture, la montée en gamme avec plus de qualité (bio, chartes…) est une bonne réponse.
- #ParcoursProfessionnel – Angy a une formation initiale en tant qu’ingénieur en mécanique énergétique. Au début des années 2000, il a senti tout ce que pouvait apporter l’électronique ; cela l’a amené à rejoindre [l’entreprise] NEC à Londres, où il a occupé un poste d’ingénieur en électronique pour la conception des premiers réseaux 3G.
- #ExpériencesProfessionnelles – Angy Lemaire est revenu en France en 2007 dans une startup appelée Let It Wave, dans le video processing et s’est retrouvé avec une équipe dont la vivacité d’esprit a suscité son enthousiasme. Il a alors alors vécu la levée de fonds, les due diligence, la crise financière, le rachat par une entreprise, etc. À la faveur d’un rachat de cette StartUp, il a eu l’opportunité de reprendre ses études pour suivre un MBA à l’EM-Lyon – qui était orienté vers l’entrepreneuriat. De toutes ses expériences passées, il a compris que faire le meilleur produit du monde c’est bien, mais si on ne le vend pas ça ne sert à rien. La clé, c’est le client : savoir lui parler, comprendre ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas, est primordial pour la réussite d’un projet.
- #Bovimarket – Le projet Bovimarket cherchait à établir des relations B2B entre négociants et éleveurs dans un réseau numérique. Puis, au contact des prospects, ceux-ci disaient : “Vous me résolvez mon approvisionnement, mais il faut le connecter à ma vente pour les mettre en adéquation”. Au final, Angy et son équipe sont remontés jusqu’au consommateur. C’est dans l’amélioration des relations de la chaîne agroalimentaire que se trouve les grandes opportunités de création de valeur ajoutée. C’est donc l’optimisation de la chaîne elle-même, et pas l’amélioration d’un seul élément, qu’il faut envisager.
- #Pivot – De la filière viande, Angy et son équipe se sont orientés vers la restauration collective en incluant tous les autres produits (fruits, légumes…). Une levée de fonds auprès notamment de Groupama-Lyon leur ont permis de mieux se structurer pour trouver des développeurs au début et co-développer leurs premiers prototypes avec deux lycées auvergnats qui utilisent leur solution au quotidien depuis septembre 2017. En 2018, Angy et son associé se séparent, leur vision de l’opérationnel étant devenue divergente ; il s’est donc retrouvé seul à la direction. Une recomposition de toute l’équipe commerciale leur a permis d’aller encore plus au contact des besoins clients et de conforter une stratégie basé sur la gestion des flux de données. Enfin, ils ont changé le nom de l’entreprise : Agapai et re-précisé sa mission : donner accès aux convives, des plats savoureux, sains et équilibré, dans la convivialité.
- #Objectifs – Agapaï se focalise sur l’industrialisation du déploiement commercial auprès de la restauration collective scolaire et leurs fournisseurs. Plusieurs lycées sont déjà clients de la plateforme et certains de leurs fournisseurs y sont entrés en test. Concrètement, celle-ci propose un outil de gestion de la restauration pour les établissements scolaires, afin d’améliorer la qualité de leurs plats, la planification, la politique d’achats locale/régionale/qualité (BIO-charte), et de mieux se connecter à leurs fournisseurs.
- #Interaction – La taille de l’écosystème des entreprises présentes permet rapidement de connaître tous les autres acteurs environnants. C’est une vraie force. Le Connecteur peut être l’embryon d’un micro réseau social de l’écosystème innovant de la métropole de Clermont. Angy a fait de multiples rencontres au Bivouac et Épicentre. BUSI lui a permis de rencontrer Xavier Faure [Piloter sa Ferme], qui l’a lui-même mis en relation avec Nicolas Roux d’Agaetis. Il a aussi rencontré aussi Philippe Pereira d’Overscan. Ces deux dernières entreprises ont beaucoup contribué au développement de Bovimarket.
- #Incubateur – BUSI a été le principal élément de soutien de la progression de Bovimarket dans l’écosystème local en les introduisant dans l’écosystème local auprès des financeurs, banques, BPIFrance, entreprises, les collectivités comme l’agglomération de Clermont et le conseil régional. Ils gagneraient à être plus connus. De nombreuses start-ups en sortent et réussissent.