Par Damien Caillard
Gilles Chetelat est le co-fondateur de la start-up Stickyads.tv en 2009, revendue à l’américain ComCast en 2016 pour 100 millions de $. Aujourd’hui, Stickyads.tv est devenue FreeWheel, et Gilles Chetelat – salarié de Comcast – est notamment en charge du lancement de cette solution en Asie-Pacifique. Ancien élève de l’ESC Clermont qui « se sent profondément auvergnat », il intervient dans le cadre de l’afterwork Squarelab pour parler de son expérience de création/revente et pour susciter des projets de start-ups locales.
Accès rapide aux sections:
La synthèse de la présentation
Les timecodes (minutes:secondes) indiqués dans les titres correspondent à la vidéo intégrale que vous trouverez dans la section suivante.
L’histoire de Stickyads.tv (0:45)
En 2009, l’investiture d’Obama était le premier événement mondial plus diffusé sur le web que sur la télé. C’était l’idée de départ de Stickyads.tv, basée sur une opportunité croissante autour de la vidéo en ligne.
Quand on parle de « success-stories » en France, on fait souvent référence au « club des 100« : les start-up (françaises, notamment) valorisées plus de 100 millions de $ (lors d’une revente ou suite à une levée de fonds), comme Blablacar ou Criteo. Stickyads.tv fait partie de cette liste, parmi les 32 sociétés françaises concernées. Le message de Gilles Chetelat est dédié à l’émergence de projets de start-ups qui, un jour, feront partie de ce club.
La bonne recette: démarrer, alimenter, et céder une start-up. C’est l’objet de cette présentation, incluant les hauts et les bas, les motivations, les clés du succès et les causes d’échec.
Comment bien créer une start-up (05:50)
Première étape: bien s’associer. Car les valeurs sont partagées, mais aussi parce qu’il y a alignement patrimonial (les patrimoines des fondateurs sont similaires). C’est particulièrement important plus tard, lors de la cession. Il est aussi important d’avoir une expérience professionnelle, individuellement mais si possible entre associés avant de monter la start-up (dans le cas de Stickyads.tv, Gilles et ses associés avaient un passé dans les télécoms)
Comment s’est lancée Stickyads.tv ? Dans le métier de la publicité en ligne, ce fut:
- un service de régie publicitaire spécialisée dans la vidéo en ligne. Service pur, pas de techno
- à partir de 2011, mise en place d’une techno propre pour vendre et diffuser (notamment les pre-rolls) – adserver vidéo avec vente aux enchères automatisée d’espaces vidéo (programmatique)
- enfin, suite à un échange avec Dailymotion en 2013, participation à un appel d’offres pour une plateforme supply-side: Stickyads.tv devient une technologie logicielle en mode SaaS, vendue aux médias. Les concurrents sont ainsi devenus les clients.
L’analogie peut être faite avec le palais Brogniart, qui hébergeait la bourse de Paris: de la vente à la criée à un logiciel pour transactions instantanées et à distance. Aujourd’hui, Stickyads.tv fournit sa solution SaaS à environ 300 médias mondiaux.
Le C.A. a commencé à 1,3 millions d’€ en 2010 jusqu’à 80 millions en 2016. La croissance était forte mais s’est nettement accélérée lors du passage en logiciel propre puis en SaaS (scalabilité), en parallèle de l’ouverture de nombreux pays – européens pour commencer puis mondiaux (ouverture en cours de l’Asie Pacifique)
En termes d’incertitudes, le marché de l’AdTech est extrêmement volatile: le cycle d’innovation est de 2 à 3 ans, ce qui est très court (repenser son modèle tous les 2 à 3 ans !). On est donc constamment en phase d’innovation: programmatique, branding, mode SaaS pour les médias … et il faut se positionner par rapport aux géants du Net, parfois clients, parfois concurrents. C’est le cas de Google ou Facebook. En interne, il faut toujours se demander si on dispose de la bonne équipe, selon le niveau auquel on « joue » surtout en hypercroissance. Autre atout capital: avoir les bons fonds pour financer sa croissance: leur choix ne se fait pas au hasard.
Cela amène une définition de la start-up qui est caractérisée par:
- une innovation disruptive
- un modèle économique en hypercroissance potentielle
- l’aisance avec l’incertitude
Ce qui implique des financements et un écosystème spécifiques.
De la start-up à la scale-up (21:00)
Stickyads.tv a bénéficié, au total, de 5 millions d’€ de financement:
- love money
- prêts bancaires (qui ne prennent pas de risque, et demandent généralement des cautions)
- business angels (une fois les premiers « chiffres » réalisés, et permettant de créer des rapports individuels et de confiance forts)
- capital risque (V.C.): en 2011 pour l’investissement technologique, en 2013 pour l’hyper croissance (avec un autre fonds ce qui est plus sain et permet d’optimiser les valorisations ultérieures)
La « capital efficiency » est donc de x20 (de 5 à 100 millions, valorisation pour la cession à Comcast). Stickyads.tv a donc démarré avec des financements peu élevés mais a été très efficace par la suite.
Un point sur le fonctionnement des V.C.: des investisseurs privés ou corporate mettent de l’argent dans des véhicules monétaires pour investir dans des start-ups pour prendre une partie de leur capital. L’objectif est, quand il y a un acquéreur ou une entrée en bourse, la valorisation permette de payer les fondateurs mais aussi les V.C. qui ont misé sur le projet.
Les fonds V.C. sont très nombreux. C’est très important d’avoir le bon fonds au bon moment, car ils donnent une identité et une grille de lecture aux acteurs extérieurs. Stickyads.tv a été accompagnée par Isaï (dont Pierre Kosciusko-Morizet, qui avait misé sur Blablacar) puis Ventech (investisseur sur Withings notamment).
Comment approcher un fonds de V.C. ? Ils aiment apprendre et comprendre le monde des start-ups, par exemple en prenant part aux Boards, en participant aux décisions … c’est important de les impliquer dans la vie de la société. Ne pas hésiter à solliciter le fonds lors des décisions stratégiques, ou à recruter les cadres clé avec eux. Enfin, ils espèrent faire x2 en retour sur investissement, le plus vite possible. A l’inverse, les V.C. n’aiment pas les surprises: par exemple, il faut prendre des décisions avant le Board (qui n’est là que pour officialiser), et en parler aux fonds en amont. Ils n’aiment pas non plus le risque, de manière paradoxale. Ne pas hésiter à équilibrer ses assets, à ne pas tout mettre dans un même panier ! Et se montrer organisé et structuré dans sa méthode et sa communication: les fonds n’aiment pas le désordre.
L’apport des fonds V.C., au-delà des investissements, est plus que significatif: ils peuvent amener des collaborateurs clé (ici, le CTO de Stickyads.tv); des administrateurs avec une importante expérience et un réseau très utile (ici Jean-Claude Boulet de BDDP et Cyril Vermeulen de Auféminin.com); l’accès à d’autres fonds, sans leveur – c’est pourquoi la première levée est souvent la plus difficile; un accompagnement lors de la vente (avec de nombreuses questions difficiles mais constructives) et bien sûr un accès à des experts, financiers, juridiques, média …
Vendre ou ne pas vendre ? (37:30)
Pourquoi vendre ?
- à cause de la concurrence mondiale et des mouvements de consolidation, qui sont à la fois une menace (innovation quasi-constante) et une opportunité (intérêt de gros acteurs pour racheter des start-ups à succès)
- à cause des incertitudes sur le découplage chiffre d’affaires/valorisation: il faut vendre quand la boîte va très bien, que les chiffres le prouvent et que la dynamique de croissance est très bonne. La croissance du C.A. est aussi importante que le C.A. lui-même !
- à cause de l’arrivée d’une offre concrète: ne pas ignorer le facteur psychologique
Il y a pourtant différents types de vente:
- cession totale ou partielle des actions
- paiement en cash ou en actions
- rétention des fondateurs ou pas
L’idéal est une cession totale, en cash et sans rétention des fondateurs … mais le vendeur n’a pas toujours le choix ! Aujourd’hui, Gilles Chetelat est toujours salarié de Freewheel (Comcast)
Aujourd’hui, avec le recul, quels étaient les hauts et les bas ?
- parmi les plus belles fiertés: le devoir accompli (produit/service mais aussi satisfaction des investisseurs), les prix donnés par les pairs (Startup de l’année 2015 par EY), la réalisation des talents embauchés par la start-up
- parmi les souvenirs difficiles: l’année de démarrage (premiers clients, premiers investisseurs …), les crises de croissance (changement de locaux, multiplication du nombre de salariés, gros investissement …), et le temps passé à la négociation de la vente
Pour résumer, la start-up, c’est le rythme d’un 100m sur la distance d’un marathon, sans savoir où est la ligne d’arrivée. Quel est alors le profil idéal du start-uppeur ? Il n’est pas intéressé par l’argent, (mauvaise idée au départ, même si cela peut être une conséquence positive); il n’a pas peur de « mettre les mains dans le cambouis« , et de passer par tous les « petits boulots » de la start-up avant de recruter; il aime apprendre en accéléré et rester jeune et actuel.
Les causes de fail d’une start-up:
- quand les fondateurs sont seuls et isolés d’un écosystème qui pourrait les aider
- quand les fondateurs sont en désaccord (au début ou plus tard)
- quand le marché est trop petit – il doit correspondre à une « case » dans la logique des fonds d’investissement. Stickyads.tv traite plus de 10 milliards de requêtes publicitaires vidéo par jour !
- quand les fondateurs ne savent pas vendre. En start-up, il faut savoir vendre aux investisseurs, aux clients, aux recrues. C’est plus important que de gagner des prix dans l’absolu.
- quand il y a des problèmes d’exécution (développement logiciel, gestion des RH, du marketing …). Il faut être à la fois visionnaire du marché et réalisateur de la vision.
La start-up n’est pas faite pour tout le monde … et ce n’est pas grave.
Le replay de l’événement
La vidéo complète de la captation sur YouTube (55 minutes):
Tournage et montage Damien Caillard / Le Connecteur
Le podcast audio sur Soundcloud:
Les interviews bonus
Gilles Chetelat donne un dernier conseil sur la rapidité d’exécution: