[CONF] Désengagement scolaire: se tromper c’est déjà apprendre

[CONF] Désengagement scolaire: se tromper c’est déjà apprendre

Vous vous demandez peut-être pourquoi Le Connecteur participait à une conférence sur le désengagement scolaire ? Et bien, principalement parce que nous aimons beaucoup sortir de notre zone de confort. Un peu parce que nous sommes également des êtres humains avec des centres d’intérêt perso, et aussi parce que cette histoire de désengagement, appliqué à l’univers scolaire, nous semble transposable à d’autres réalités… Et comme c’est toujours le cas, on trouve ce que l’on n’est pas venu chercher. Là, c’est cette question d’état d’esprit fixe ou de développement, théorisé par Carole Dweck ainsi que la question centrale du rapport à l’erreur et l’échec. Et ça, c’est vraiment au cœur de ce qui nous passionne !

Cette conférence de Delphine Martinot, docteure en psychologie, membre du Laspco, et professeure à l’Université Clermont Auvergne, s’inscrivait dans le cadre du  contrat de ville, volet éducatif, du programme  Réussite Éducative de la Ville de Clermont-Ferrand. Cécile Audet Conseillère métropolitaine déléguée à la Jeunesse et à la Prévention spécialisée, le rappelait, ce dispositif se traduit par un travail collectif dans les établissements, un suivi individuel d’élèves (900 actuellement), des projets collectifs mais aussi par des rencontres du réseau des acteurs mobilisés pour nourrir et faire évoluer les pratiques professionnelles.   

Le sujet du jour : “engagement et désengagement scolaire, le rôle de l’estime de soi et de la représentation de l’intelligence”. En s’appuyant sur ses propres travaux et ceux d’autres chercheurs, Delphine Martinot décortique la question de l’estime de soi et les mécanismes psychologiques qui se mettent en mouvement pour la protéger quand elle se sent menacée. Puis elle propose une lecture de la représentation de l’intelligence, perçue soit comme un stock de départ, fixe donc, soit comme un flux, malléable, et donc évolutif. Le but, in fine, étant bien sûr de bien comprendre les biais, d’identifier quelques idées reçues contre productives et de trouver des leviers. 

Une perception de soi optimiste 

L’introduction est drôle. Il est démontré que statistiquement, une grande majorité de la population se perçoit supérieure aux autres (par exemple, 70% estiment avoir plus de capacités de leadership, 70%, plus athlétiques, 86% se voient dotés de meilleures compétences …). En bref, un brin de sur confiance. Se valoriser pour alimenter son estime de soi est un mécanisme salvateur… dans une certaine mesure.  

Défendre son estime de soi : le grand combat

Pour préserver cette estime de soi, quatre mécanismes se mettent en position de bataille. Tous ont des conséquences négatives sur la performance -scolaire en l’occurrence- et engage un cercle vicieux vers l’échec qui peut aller jusqu’au désengagement total. Le but ultime : préserver l’image que l’on se fait de ses capacités intellectuelles. On y revient plus tard.

Le biais de comparaison sociale

On le comprend aisément – et tout le monde l’a sans doute pratiqué au moins une fois dans sa vie- il s’agit de se comparer à une personne qui réussit moins bien que soi. Quand cela devient récurrent, cela revient à s’autoriser à faire moins bien et donc à réduire ses efforts. Et donc par conséquent, à dégrader sa performance.  

Le biais d’auto complaisance 

Ce mécanisme se caractérise par le fait de trouver une cause externe à l’échec, de ne pas s’estimer responsable de ses échecs, mais seulement de ses succès. C’est une forme d’externalisation de la responsabilité qui ne laisse pas de place à l’analyse de ses erreurs.

Le biais d’auto-handicap 

Plus subtil, il s’agit là de se trouver de bonnes raisons d’échouer, d’identifier un obstacle qui sera responsable de l’échec… ou magnifiera l’exploit en cas de succès. Le but : être à l’abri du jugement sur ses capacités intellectuelles. 

Le retrait psychologique

Enfin, dernier stade de protection, le retrait psychologique. Il revient à afficher et affirmer que l’école et son jugement sur soi n’a plus d’importance, qu’elle ne contribue plus à se définir.

Le cercle vicieux

Les mécanismes s’ancrent dans un cercle vicieux . L’échec entraîne des mécanismes défensifs, ce qui entraîne une baisse des efforts, détériorant ainsi l’apprentissage. 

Pour Delphine Martinot, les dispositifs de soutien centrés sur la connaissance de soi et le renforcement de l’estime de soi sont contre productifs. Ils contribuent à maintenir et valider  ce cercle vicieux. S’ils préservent ce capital nécessaire, ils n’agissent pas sur la cause de l’échec.  Et en réalité, la cause de l’échec est plutôt le rapport que l’on entretient à l’échec. L’échec ne s’évite pas, il fait au contraire partie intégrante du processus de construction et d’apprentissage. Il faut donc parvenir à dissocier la valeur perçue de soi-même et de son intelligence de sa performance.

Et pour cela, il faut faire changer la représentation de l’intelligence. Ce qui impacte le plus notre performance, c’est notre représentation de notre intelligence plus que notre intelligence elle-même. 

Distancer l’échec

C’est notamment les travaux de Carole Dweck sur lesquels prend appui Delphine Martinot. Pour faire simple, C.Dweck distingue ceux qui perçoivent l’intelligence comme quelque chose de stable, fixé, prédéterminée (le stock) ou bien comme une entité malléable (un flux).

Ainsi, si l’on se représente notre intelligence de façon stable, un échec est vécu comme un diagnostic de ses capacités intellectuelles – et pas de ses efforts. S’enclenchent alors les mécanismes de défenses. Alors que, lorsque la représentation de son intelligence est plutôt malléable, il n’y a pas de vécu de remise en question. L’analyse de l’échec se met en place et de nouvelles stratégies se dessinent.  C’est le début d’une démarche d’adaptation, de gestion de l’échec.

Coopérons !

C’est là qu’à l’écoute de Delphine Martinot, qui travaille sur les publics jeunes, on peut, me semble -t-il, établir des ponts (peut être pas scientifiquement prouvés). On peut se dire qu’en ayant un état d’esprit fixe ou de développement jeune, il est probable qu’on le conserve à l’âge adulte. Ces mécanismes de préservation aussi se prolongent. 

Le message principal de Delphine Martinot est de démontrer – aux jeunes- que la performance est dé corrélée de l’intelligence et de la valeur. Et ce, en valorisant l’apprentissage et le rôle de l’échec comme vecteur d’apprentissage. On va à l’école pour apprendre, et apprendre c’est ne pas forcément réussir, c’est aussi se tromper et c’est difficile. Il faut donc avoir un discours qui normalise les difficultés rencontrées lors des apprentissages. 

A l’école, comme en entreprise

Et c’est aussi un principe de management des organisations, libérées ou responsabilisantes. De celles qui encouragent l’innovation, l’expérimentation et savent accepter les échecs. En entreprise, on parlera plutôt de qualités managériales. Dans le milieu scolaire, on parlera du soutien social, en identifiant trois sources d’engagement : la famille, l’institution scolaire ou les pairs. Ce soutien social conduit à se sentir soutenus, autonomes, et efficaces dans la réalisation de tâches. Ce sentiment favorise le bien être mental et in fine, l’engagement. D’après les études menées, le soutien le plus efficient est celui apporté par l’institution et par les pairs.

J’y vois aussi un écho avec le monde professionnel. Se sentir à sa place, et donc engagé, repose pour beaucoup sur ce que renvoient l’entreprise et les collègues. Ce qui amène Delphine Martinot à suggérer de favoriser la coopération. Elle alimente le sentiment d’appartenance qui lui-même alimente l’engagement. Le tutorat entre pairs par exemple est un excellent moyen à condition que chacun se voit attribuer un rôle spécifique, et une responsabilité individuelle. En prenant bien soin de bannir la compétition entre pairs. 

Il y a toujours beaucoup à apprendre à sortir de sa zone de confort, non ?

Lire aussi l’entretien accordé au Connecteur par Delphine Martinot sur son autre sujet de recherche : les stéréotypes de genre;

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.