Cyril Cineux- Faire avancer les droits des uns n’a jamais fait reculer les droits des autres, au contraire.

Cyril Cineux- Faire avancer les droits des uns n’a jamais fait reculer les droits des autres, au contraire.

Cyril Cineux est Vice-Président de Clermont Auvergne Métropole, chargé de la Démocratie participative, des Relations aux usagers, de la Citoyenneté, de l’Égalité et de la Concertation et évaluation des Politiques publiques. Rencontré lors d’une réunion du collectif local du projet européen Femact, Cyril Cineux semble être homme de conviction et parle clair. Le Connecteur a eu envie de lui donner la parole, notamment sur le rôle des hommes pour faire avancer les enjeux d’égalité. (lire aussi l’entretien de Rémi Bonin sur le même sujet).

Cyril Cineux, souvent, les conférences qui abordent le sujet de l’égalité femmes-hommes ne sont écoutées que (ou presque) par des femmes. Est-ce que l’égalité est un sujet de femmes? 

L’égalité concerne tout le monde. Ce n’est pas qu’un sujet de et pour les femmes. De fait, je suis Vice Président chargé notamment des questions d’égalité, je ne peux que dire que ce n’est pas qu’un sujet de femmes ! Et puis non ce n’est pas seulement un sujet de femmes. Faire progresser les droits est utile pour tout le monde. Faire progresser les droits des uns, des unes en l’occurrence, ne fait jamais régresser les droits des autres. C’est même l’inverse, lorsque des droits régressent pour une minorité, cela annonce souvent d’autres régressions à venir. L’histoire de l’humanité nous l’a montré à maintes reprises. Peut-être pourrait-on éviter de refaire les mêmes erreurs.

Le constat est que pour une société qui se voudrait ouverte et progressiste, oublier un pan entier n’est pas possible. Pourtant, on mesure encore toute la difficulté à progresser sur la prise de conscience des unes et des autres.

Personnellement, je me déclare féministe. Oui, les hommes peuvent être féministes. Etre féministe, c’est ‘ juste’ vouloir l’égalité des droits. Ne pas être féministe, ce serait donc vouloir l’inégalité des droits ?

Je pense qu’il faut une vraie prise de conscience, profonde et partagée. On n’est pas obligé d’être immigrés pour se battre contre le racisme, c’est exactement la même démarche. C’est simplement une question de valeurs et de vision du monde à défendre.

On vit une époque un peu brutale. Un retour du virilisme, une forme de backlash y compris chez les jeunes… Est ce que c’est compliqué d’être élu et de se revendiquer féministe? 

Au contraire, c’est plutôt une fierté. Mais je note quand même parfois une difficulté de compréhension et ce, de la part des hommes mais aussi des femmes. Le “backlash”, je le ressens davantage  dans la société que dans les politiques publiques. En fait, ce que je ressens, c’est l’absence de réaction de la part d’acteurs qui pourraient être plus actifs. Il y a un énorme enjeu à partager le diagnostic. Tant que l’on n’est pas aligné sur le constat, il est compliqué de faire prendre conscience et à fortiori, d’agir.

Par exemple sur la question de l’usage de l’espace public. On peut refuser de le voir mais il y a une réalité d’usage différencié selon son genre. Un sentiment d’insécurité perçu différemment, d’adoption, parfois intériorisées, de stratégie d’évitement (trajectoires, habillement, attitude, …). Permettre de se rendre compte que les espaces publics sont genrés, et donc les construire pour toutes et tous, pour que chacune et chacun s’y sente à l’aise, c’est de cette façon qu’on permet vraiment l’universalisme.

Changer de lunettes

Et si l’on refuse de changer de lunettes, en arguant justement de cette universalité qui masque, on passe à côté de la réalité des inégalités.

Pour cela, nous avons besoin d’aller chercher les personnes ressources, de la compétence et de la connaissance. Il faut alimenter et stimuler la réflexion.

Par exemple, sur les sujets de type “genre et espace public” ou “genre et mobilité”, certains pays du nord imposent un budget genré. C’est-à-dire que chaque ligne budgétaire doit être interrogée à l’aune d’une question:  “à quel genre profite-t-elle ?”

A l’occasion de nos rencontres, une anecdote nous a été rapportée. Un élu d’une commune en charge des routes et du déneigement plaisantait en disant que pour lui, il n’y avait pas de questions de genre. Et bien si. Si l’on dispose des chiffres et qu’on les analyse, on s’apercevra que la majorité des voitures sont conduites par des hommes et que l’essentiel des piétons sont des femmes. Le déneigement est donc bien genré selon que l’on décide de déneiger prioritairement les routes ou les trottoirs.  Même chose pour la tarification sociale universelle de la Métropole sur l’eau. Elle s’adresse à tous en fonction des revenus. Mais en réalité, elle bénéficie prioritairement aux femmes, les plus nombreuses dans cette catégorie.

Cyril Cineux, vous êtes en charge de la Démocratie participative, des Relations aux usagers, de la Citoyenneté, de l’Égalité et de la Concertation et évaluation des Politiques publiques. Ça fait un très long titre, quel lien faites-vous entre tous les sujets ? 

Ils sont tous liés. Construire un nouvel espace public c’est une très belle opportunité d’engager la participation citoyenne.  On l’a fait d’ailleurs, avec des panels mixtes, et d’autres  exclusivement féminins pour libérer la parole. C’est très pertinent ce qui en ressort. Ensuite, les politiques publiques sont les leviers de ces orientations. Aujourd’hui, nous avons – à la Métropole- inclus la question de la végétalisation dans nos critères de lecture. Pas encore celui du genre mais ça viendra.

Pour y parvenir, il faut plusieurs ingrédients. De la volonté d’abord et avant tout. Tant qu’on ne veut pas vraiment y réfléchir, on ne voit pas le problème. Mais ensuite, il faut de la méthode et des données.

FEMACT: Un projet Européen pour des villes plus égalitaires 

“Pourtant inscrite dans la loi, l’égalité entre les femmes et les hommes peine à se concrétiser dans les faits, de l’école au bureau, en passant par les transports en commun, et sur les terrains de sports… Partout, des inégalités de genre persistent. Le projet FEMACT-Cities vise à améliorer la qualité de vie des femmes et assurer leur liberté individuelle.”

Il s’agit d’un projet européen, piloté par Clermont Auvergne Métropole et qui rassemble l’Association des municipalités “Szabolcs 05”  pour le développement régional en Hongrie, la Ville de Postojna en Slovénie,  de Cracovie en Pologne, de Turin en Italie, la Métropole de Cluj en Roumanie, la Communauté intercommunale de la Région de Coimbra au Portugal et la Comté de Skäne en Suède. Son ambition est de “permettre aux villes du réseau d’approfondir leurs réflexions pour in fine contribuer à changer les pratiques, les mentalités, les représentations selon 4 axes principaux”. Le projet et les échanges sont structurés autour du thème transversal de la lutte contre les stéréotypes pour lever les freins et les (auto)censures- et de 3 axes :

  • des villes qui s’adaptent et qui protègent,
  • des villes qui permettent d’apprendre et de grandir,
  • des villes qui favorisent l’émancipation et l’autonomie,

Cyril Cineux, quel intérêt voyez vous dans ce programme ?

Femact est issu d’Urbact, un premier programme européen d’échanges pour un développement urbain durable porté par Clermont Auvergne Métropole. Ce projet affichait l’objectif de la métropole un territoire à énergie positive d’ici 2050. Comme tout programme de coopération européen, le principe est celui de l’échange d’expériences. Il est toujours intéressant et inspirant de sortir de sa bulle pour aller se rendre compte de la façon dont les questions se posent ailleurs, les manières d’y répondre, les angles traités…

Nous avons constitué un groupe local à Clermont pour travailler sur ses sujets et construire notre plan d’action collectif. Chacun ne part pas du même point mais l’idée est bien de progresser ensemble. L’un des constats qui a pu être fait est qu’il y a énormément d’initiatives sur le territoire. Elles gagneraient à être mieux mises en lumière, peut-être plus coordonnées. Il y a un réel besoin de former un réseau, de mieux se connaître pour mieux travailler en cohérence. Ce sera vraisemblablement l’une des actions à mettre en œuvre rapidement. 

Partager l’inspiration

Par exemple, sur le sujet des femmes dans l’espace public. Vienne a été la première ville au monde à avoir travaillé ces questions. Les visites et rencontres nous ont permis de voir mises en place des choses simples et pragmatiques. Vienne a un parc de logements sociaux important. Ils sont pensés pour favoriser le sentiment de sécurité et le bien être : des passerelles entre immeubles, de la couleur, des chemins sans recoins à travers le quartier… Des cages d’escaliers ou des balcons transparents, c’est tout simple, mais cela permet de voir et d’être vu, c’est plus rassurant. C’est positif, efficace et utile pour tous. 

A Cracovie, nous avons vécu une balade urbaine autour des femmes célèbres. Il y est notamment question de l’histoire de Marie Curie qui a obtenu son prix Nobel en France parce qu’elle n’était pas considérée dans son pays d’origine ! C’est une initiative que nous pourrions reproduire à Clermont Ferrand.

Le mot de la fin 

On vit effectivement une ambiance de backlash avec un retour de propos complètement désinhibés. Le débat est passionnant. Ce qu’il faut « déconstruire » ou dépasser ou encore ne pas donner de crédit, c’est l’idée que ce serait une guerre des sexes, que les féministes seraient des harpies, parce que la lutte pour l’égalité, ce n’est pas ça. La lutte pour l’égalité, c’est la lutte pour les droits. Je ne veux pas opposer les genres mais pas non plus parler de complémentarité. La complémentarité, ce n’est pas l’égalité. Cela voudrait dire qu’on peut accepter de rester en inégalité, à condition que l’un ou l’autre complète ou compense. Cela renvoie à la nature, les hommes chassent et les femmes cueillent… chacun son rôle. Non, ça peut peut-être fonctionner dans un couple mais ça ne marche pas au niveau des droits.

Nous vivons dans une société à héritage patriarcal, c’est indéniable. Il faut le voir et le comprendre dans toute sa complexité et sa pesanteur. Une pesanteur qui s’exerce sur les femmes mais également sur les hommes. Il s’agit de faire comprendre que c’est “seulement” un rééquilibrage des droits. Et que ce rééquilibrage ne nuit à personne. Bien au contraire, il cherche à construire une société apaisée, accueillante, tolérante, dans une société où l’égalité progresse. Pour toutes et tous.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.