Face aux défis du changement climatique, l’agriculture se réinvente. D’un côté, certains misent sur l’atténuation, en défendant une production en pleine terre, de saison, sans pesticides. De l’autre, l’adaptation pousse à imaginer des solutions résilientes pour produire malgré des conditions de plus en plus contraignantes.
C’est dans cette dynamique que s’inscrit VIF Group, qui développe une alternative innovante : la culture de micropousses en conteneurs. Un modèle qui permet de sécuriser la production face aux aléas climatiques, tout en offrant un revenu complémentaire aux agriculteurs. Une approche qui questionne, ouvre de nouvelles perspectives pour l’agriculture de demain.
VIF Group développe une filière française de micropousses en s’appuyant sur un modèle innovant. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de l’entreprise et sa vision ?
VIF Group est né à Lyon et s’est aussi implanté en Haute-Loire, à Vorey-sur-Arzon. L’idée de départ était assez simple : en gastronomie, les micropousses aromatiques étaient très demandées, mais elles venaient presque toutes d’autres pays européens comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Angleterre. En France, la production était encore très peu développée.
L’objectif a donc été de créer une filière française. Pour concrétiser ce projet, le groupe s’est rapproché de la Ferme Urbaine Lyonnaise et a démarré une première phase de développement. Cela a pris du temps, puis, ils ont finalement commencé à produire en Haute-Loire, à Vorey-sur-Arzon, dans des fermes intérieures situées en milieu industriel.
En 2023, Limagrain est entré au capital. Ils ont alors décidé de remettre l’agriculteur au centre du modèle. Plutôt que de cultiver dans des containers situés en usine, l’objectif était d’installer et de produire directement ces containers chez les agriculteurs, en plaine de Limagne, en Auvergne. C’est ainsi que le projet a pris une nouvelle dimension et que nous avons travaillé sur le déploiement de ces conteneurs sur le terrain.
Vous avez fait le choix d’un modèle basé sur des containers agricoles. Pourquoi ce parti pris et quels sont les avantages de cette approche ?
Aujourd’hui, notre activité repose sur deux grands métiers. Tout d’abord, nous fabriquons des containers de culture végétale avec un procédé innovant. Il permet de recycler 90 % de l’eau utilisée, et nous avons développé un éclairage à LED spécifique, qui a fait l’objet de brevets mondiaux. Il permet d’optimiser le rayonnement lumineux pour des cultures sans pesticides. De plus, nos conteneurs sont dotés d’un système de suivi en temps réel des paramètres essentiels, comme la qualité de l’eau ou l’hydrométrie.
Nos conteneurs fonctionnent à l’électricité, mais nous sommes dans une démarche d’amélioration continue. Par exemple, nous venons de supprimer les groupes froids et de les remplacer par un système plus performant, ce qui nous a permis de réduire la consommation électrique de 45 %. Nous travaillons également sur une solution pour alimenter nos containers à l’énergie solaire. Le principal défi reste la taille des containers disponibles en France, qui ne dépasse pas 20 pieds, limitant la surface disponible pour les panneaux solaires.
L’autre innovation, est sociale. Nous avons choisi de mettre l’agriculteur au centre de la démarche. Actuellement, nous avons 14 containers en exploitation en Limagne, ce qui représente une production d’environ 15 000 barquettes de micropousses par semaine. L’objectif est de proposer aux jeunes agriculteurs, qui cultivent sur moins de 80 hectares, une diversification et un complément de revenu.
Pourquoi avoir choisi la production de micro-pousses ? En quoi est-ce une opportunité pour l’Auvergne ?
Nos conteneurs permettent de cultiver différents types de végétaux. Cependant, les micropousses présentent plusieurs avantages. Elles sont très prisées en gastronomie, avec une demande croissante, et valeur économique intéressante. Cependant, leur culture est particulièrement sensible aux variations climatiques.
La culture en conteneurs permet de contrôler la qualité et d’avoir une régularité dans la production, indépendamment des saisons et des conditions météorologiques.
Votre modèle repose sur une collaboration avec des agriculteurs. Pourquoi avoir fait ce choix et comment ça fonctionne concrètement pour eux ?
Aujourd’hui, nous savons que le modèle économique des agriculteurs est souvent fragile. Ils perçoivent des revenus annuels ou semestriels, mais très rarement mensuels. Le salaire moyen dans l’agriculture reste bas et les exploitants doivent souvent chercher des compléments de revenus pour stabiliser leur activité.
L’objectif de VIF est de leur proposer une diversification rentable, comme d’autres entreprises telles qu’Invers le font déjà. Nous fabriquons et vendons les containers aux agriculteurs en Limagne. Un container coûte environ 75 000 euros, et l’agriculteur qui l’acquiert signe une convention avec nous. Ensuite, il reçoit une contribution financière de 1 000 euros par mois.
Nous fournissons le matériel nécessaire : les barquettes, semences, terreaux et équipement adaptés à notre mode de culture. L’agriculteur gère le semis, la germination et la surveillance du produit. Au final, après avoir payé ses charges électriques, fonctionnelles et son emprunt, il lui reste un peu plus de 700 € par mois en revenu pour 10 à 12 heures de travail par semaine.
Nous passons chez lui deux fois par semaine. Une fois la récolte prête, nous la récupérons et nous nous chargeons de la traçabilité, la conformité, l’étiquetage et le conditionnement. C’est aussi nous qui négocions avec les grossistes pour la commercialisation des pousses.
Un de vos projets s’appelle Moon Farmer, qui, en français signifie Agriculteur Lunaire. Est-ce que c’est aussi ça l’ambition ? Imaginez-vous un système agricole qui fonctionnerait même dans des conditions extrêmes ?
Moon Farmer représente notre activité d’équipementier. Nous commercialisons nos conteneurs à l’export, notamment vers des territoires insulaires, en France et en Europe. Par exemple, en 2023 nous avons été contacté par un agriculteur installé à Saint-Martin. Il faut savoir que l’île compte environ 400 restaurants, et que tout y est importé.
Nous lui avons vendu un container, ainsi que tous les consommables (semences, barquettes, plateaux, etc.). Aujourd’hui, il produit et vend en direct sur l’île. De plus, nous travaillons sur plusieurs projets en Guyane, à La Réunion, à Madagascar, et à l’île Maurice.
Nous recevons mêmes des demandes en provenance du Moyen-Orient. Là-bas, les besoins sont différents. La micropousse n’est pas forcément adaptée à toutes les régions ou toutes les demandes. Sur certaines îles ou dans certaines zones arides, nous allons plutôt travailler sur du mesclun, des salades, des microlégumes, voire des champignons et d’autres cultures spécifiques à leurs besoins.
Vos micropousses ont participé à la victoire de Paul Marcon au Bocuse d’Or. Pourquoi cibler les restaurateurs plutôt que la grande distribution ?
La micropousse n’est plus une simple tendance. Aujourd’hui, c’est devenu un ingrédient à part entière de la gastronomie française, au même titre que les légumes. La plupart des grands chefs les utilisent pour confectionner leurs recettes.
Si nous avons commencé en livrant directement les restaurateurs, l’augmentation de nos volumes de production nous pousse à passer par des grossistes spécialisés en fruits et légumes.
Quelles sont les prochaines étapes pour VIF Group ?
La prochaine grande étape, c’est le lancement et la commercialisation des perles aromatiques. En effet, avec le surplus de productions, nous avons développé un nouveau produit : les perles aromatiques givrées ou pour parler plus simplement du jus en capsule.
Nous réalisons une extraction à froid du jus de nos micropousses fraiches. Ensuite, nous cryogénisons ce jus avec de l’azote liquide à -196°C. Contrairement aux produits classiques, nous n’utilisons aucun agent d’encapsulation : pas d’agar-agar, pas de colorant, rien d’artificiel. Nous avons présenté ce produit lors du SIHRA, et il a reçu un “Coup de cœur innovation”.
Aujourd’hui, nous sommes encore une jeune entreprise. Nous avons trois ans et nous poursuivons le développement de notre filière micropousse tout en explorant d’autres possibilités. Nous savons que nos containers peuvent cultiver d’autres plantes qui sont actuellement massivement importées dans des secteurs comme : la cosmétique, la pharmacie, du phytosanitaires et des arômes naturels.
C’est pourquoi nous nous rapprochons des industriels pour leur proposer des solutions locales.
Que répondez-vous aux détracteurs qui pourraient dire que l’agriculture, ce devrait être une plante en pleine terre, sous le soleil, et non une plante enfermée dans un conteneur, sous une lumière artificielle ?
C’est un vrai débat, et nous comprenons ces interrogations. L’agriculture traditionnelle est essentielle, mais elle est aussi de plus en plus exposée aux aléas climatiques. Nos agriculteurs l’ont encore vécu cet été cet été : grêle, pluies excessives… Résultat, des récoltes divisées par trois et des pertes de revenus atteignant parfois 70 %.
Notre modèle ne vise pas à remplacer les maraîchers traditionnels. Notre objectif, c’est d’apporter une alternative en travaillant sur une production locale de cultures encore peu développées en France.
Et soyons réalistes, dans un monde idéal, tout le monde consommerait local et de saison. Mais dans les faits, la demande évolue, et les consommateurs veulent des produits variés toute l’année (avocats, bananes, etc..), d’où la volonté de définir des modes de production en local.
A quoi devrait ressembler l’agriculture française de demain ?
Selon moi, l’avenir de l’agriculture repose sur la capacité à imaginer des modèles comme le nôtre. Ils offrent des solutions pour consolider et pérenniser l’activité agricole en misant sur la diversification dans un cadre plus vertueux.
Issue d’une famille d’agriculteurs par mes parents, j’ai souvent constaté qu’on tendait à opposer les modèles agricoles : grandes cultures, maraîchage, élevage… alors que tous rencontrent les mêmes difficultés économiques et de pérennité ou de rentabilité.
Pourtant, au regard des enjeux économiques et environnementaux, il est essentiel d’encourager des projets qui misent sur la mixité, aussi bien en termes de production que de taille d’exploitation.
Aujourd’hui, nous avons une liste d’attente et nous savons que nous pourrions aller jusqu’à 30 ou 50 agriculteurs. L’objectif est d’embarquer ces producteurs dans l’aventure et de construire une vraie communauté autour de ce modèle.