Entretien / L’art de l’efficience selon Dominique Lestant

Entretien / L’art de l’efficience selon Dominique Lestant

Par Damien Caillard
avec Cindy Pappalardo-Roy

 


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Qu’ils soient labellisés d’excellence ou pôles de compétitivité, les clusters d’entreprises sont nombreux en Auvergne. Et, depuis la fusion avec Rhône-Alpes, leur existence est souvent chamboulée par des projets de fusion au niveau « grande région », parfois avec des homologues distants géographiquement ou thématiquement. Certains le voient néanmoins comme un challenge : c’est le cas de Dominique Lestant, animateur du cluster Auvergne Efficience Industrielle, fervent défenseur du rôle de l’humain dans l’innovation numérique et organisationnelle.

Quelle est ta définition de l’efficience ?

L’efficience, c’est l’efficacité aux moindres coûts. Elle repose d’une part sur des outils, et d’autre part sur l’usage qu’on en fait. Ce sont ses deux piliers. L’outil peut être, une machine, un logiciel, ou une organisation ; par exemple, un ERP* est un outil qui sert chaque collaborateur et, collectivement, l’organisation. Pour moi, c’est indissociable ! Et à l’heure de la révolution numérique, ça l’est plus que jamais, parce que le numérique change notre rapport à toutes choses : on n’apprend, on ne consomme, on ne se déplace plus comme avant le numérique … toutes nos activités sont révolutionnées. Cela va tellement loin qu’il faut naturellement accorder plus d’importance à l’humain. Sinon, l’innovation est un échec.

Comment l’efficience permet-elle d’appréhender l’innovation ?

[L’innovation] doit être voulue et facilitatrice pour être acceptée par les usagers. Tantôt professionnels, parents, citoyens, consommateurs… Elle inonde toutes les sphères de nos vies. J’en suis le facilitateur en accompagnant les projets innovants et collaboratifs des adhérents à [Auvergne Efficience Industrielle, AEI], qui a quatre ans d’existence : à l’époque, les clusters fédéraient une filière sur un territoire. [De son côté,] AEI en se fondant sur ces deux piliers : outils / côté technique et usages / côté humain attaché au numérique apportait quelque chose de nouveau et complètement transversal, à ses adhérents usagers, offreurs d’outils numériques, et consultants. L’apport essentiel de valeur d’AEI est de faire se rencontrer et innover ensemble, des mondes qui ne se croisent habituellement pas ; par exemple, une entreprise du web sémantique avec un media d’information économique, ou encore, une entreprise de développement d’applis avec un laboratoire de chimie. Tous les projets accompagnés présentent cette caractéristique.

Comment est né le cluster Auvergne Efficience Industrielle ?

On est un cluster original à deux titres : premièrement nous n’accompagnons pas une filière mais des projets innovants et collaboratifs en faveur de l’efficience ; deuxièmement AEI n’est pas né d’une volonté politique, d’une collectivité, mais de l’initiative de trois chefs d’entreprises qui ont répondu à l’appel à projets du Conseil Régional Auvergne en 2013. Leur idée de base était : les activités de nos PME numérique/industrie sont complémentaires. Ensemble, nos offres respectives deviendront plus innovantes.

Un pivot a eu lieu en 2016 …

On s’est aperçu que l’innovation dans le numérique était tellement disruptive que [l’absence d’accompagnement] sur le volet humain [entraînait] souvent (…) l’échec. Je me souviens du (…) virage : un dirigeant de PME voulait faire évoluer le fonctionnement de son entreprise en mode projet. Il est venu vers moi exprimant son besoin d’un logiciel pour cela. Après quelques échanges, le projet est devenu “ je constate que cela va complètement bouleverser le fonctionnement de l’entreprise et qu’il sera vain de l’imposer, j’ai besoin d’un accompagnement à la mise en place de l’outil auprès des collaborateurs”. Les utilisateurs devaient s’approprier l’outil pour que cela fonctionne.

Que devient le cluster dans la grande région actuelle ?

Le nouveau périmètre régional appelle à regrouper les pôles de compétitivité et les clusters. L’association AEI a été dissoute en février, ses 39 adhérents ont rejoint une nouvelle entité, AURA industrie 4.0 déclinée en deux marques Mont-Blanc Industries et Auvergne Efficience Industrielle. J’en suis l’animateur pour les quatre départements d’Auvergne.

La rencontre avec Mont-Blanc Industries s’est faite très naturellement. Dès l’origine du cluster, on cherchait à construire un outil de mesure de l’efficience industrielle. Mont Blanc Industrie – pôle de compétitivité basé à Cluses animant la filière mécatronique – proposait le label Mont-Blanc Excellence à ses 300 adhérents de Haute-Savoie. Notre relation a permis d’introduire la dimension numérique dans le label avant l’avènement de l’industrie du futur. Le pôle est un vrai poids lourd au niveau régional. Les pôles de compétitivité doivent proposer à l’Etat, en octobre, une nouvelle feuille de route et de nouvelles alliances se noueront dans les temps qui viennent.

Quel est ton ressenti sur la question ?

Ma conviction est que dans le même temps, tandis que les regroupements apportent visibilité et puissance d’action, la proximité retrouve une légitimité. Par exemple, nous travaillons désormais davantage en inter-clusters en Auvergne, sur des thématiques transverses. (…) Il y a quelques temps, on a proposé une matinée d’information sur le prélèvement de l’impôt à la source aux adhérents des pôles et clusters auvergnats. En mai, on avait organisé une réunion sur le RGPD, dans le même esprit.

Quels sont les avantages de cette pluralité ?

Le dénominateur commun des chefs d’entreprises de diverses filières, c’est le numérique. C’est un apport puissant, qui décloisonne l’industrie et les services. Chez Michelin, pour prendre un exemple connu, la création de valeur se déplace aujourd’hui clairement du pneu vers des solutions de mobilité. Ainsi, Michelin Solutions prend en charge toute l’intendance roulage des véhicules, en vendant des nombres de kilomètres aux transporteurs. Lorsque les pneus deviennent des objets connectés, les données recueillies permettent d’optimiser les usages et d’améliorer les produits en retour. Le numérique efface les frontières entre industrie, services, et autres secteurs d’activité.

Tu as une expérience professionnelle plutôt dans l’industrie traditionnelle. Que t’a apportée l’expérience du cluster sur le plan numérique ?

Ce fut une découverte. Il y a quatre ans, quand je suis arrivé [au cluster], j’étais loin de soupçonner la richesse du tissu économique numérique d’Auvergne. Je venais du développement économique en faveur de l’industrie traditionnelle : bois, mécanique, alimentaire. J’ai un DUT d’automatisme informatique industrielle et un diplôme du CNAM en économie gestion, puis j’ai travaillé en bureau d’études dans les Alpes. J’ai aussi développé un centre de formation.

(…) Au regard de ma vie antérieure, je ne suis pas “digital native”. Grâce au cluster j’ai découvert plein de choses. Dans les projets que j’ai pu accompagner, je me demandais souvent : comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? D’où un vrai attrait pour ces nouvelles idées, les nouveaux usages de la technologie…

Y a-t-il d’autres événements auxquels tu t’intéresses dans l’écosystème clermontois ?

Je suis présent dans plusieurs initiatives. Par exemple, l’Open Lab Exploration Innovation, créé de la rencontre entre Pascal Lièvre de l’Ecole Universitaire de Management et Frédéric Denisot de CCI Puy-de-Dôme : je m’y suis associé dès le début. L’Open Lab, c’est une fenêtre entre le monde académique et le monde économique, sur le thème exploration et innovation dans une économie de la connaissance.

[De même,] après deux premières éditions très enrichissantes, je me suis, cette année, impliqué davantage dans la troisième édition de Living Orgs, la journée de l’innovation managériale en Auvergne qui cherchait un nouveau souffle. Je contribue également régulièrement à l’organisation des Journées Techniques Innovergne. Et en 2017, nous avons mené un cycle de rencontres pour rapprocher les maths et l’entreprise, avec le soutien de la plateforme grenobloise MaiMoSiNE. Cela s’est fait de façon informelle avec le labo de maths de l’UCA et la participation d’entreprises du numérique, sur des sujets tels que la data science. J’ai également contribué à l’émergence d’un Mastère spécialisé intitulé Data science pour l’ingénierie à l’école Sigma Clermont, une formation pour l’instant unique en France.

Tu es un des pionniers régionaux et même nationaux du parapente. Comment vis-tu cette passion ?

Je ne suis pas Auvergnat de naissance mais j’ai adopté la région ! Aussi assidument que possible, j’y pratique le vol libre, aile delta puis parapente depuis 1977 et 1986. Le vol libre, plus que d’autres aéronefs, réclame des aptitudes kinesthésiques : ressentir les sensations de l’aérologie transmises par la machine pour, en retour, avoir les bons gestes de pilotage. Ce principe fait qu’on est en permanence dans l’instant présent.

En plein vol au-dessus de l’étonnant Puy de Saint-Sandoux (teaser 😉

Contrairement aux apparences, il s’agit plus d’une activité cérébrale que physique. Pour prendre du plaisir à voler, il faut être bien dans sa tête, avoir le sens de l’engagement, analyser la météo, le terrain, l’évolution de l’aérologie, être au bon endroit au bon moment, c’est stratégique. Tu joues avec les éléments naturels, tu peux avoir l’impression de les maîtriser alors qu’ils sont toujours les plus forts, tu es dans un environnement changeant, incertain, et invisible. Le plaisir naît de l’équilibre entre ton matériel, tes compétences et les caractéristiques de l’environnement. Il y a tellement de facettes, c’est passionnant.

Au-delà, l’Auvergne a joué un grand rôle dans l’histoire de l’aéronautique. Dans l’Antiquité, au sommet du Puy de Dôme, le dieu Mercure était représenté portant des sandales ailées. Plus tard, Eugène Renaux, en provenance de région parisienne, posait son avion Farman au sommet du Puy-de-Dôme. En août 1922, le premier congrès français de l’aviation sans moteur avait lieu au puy de Combegrasse. Et enfin le premier vol en aile delta y a pris place le 31 octobre 1973. Aujourd’hui, l’Auvergne est un pôle majeur de l’industrie aéronautique et un haut lieu du vol libre en France : le Puy de Dôme est le seul site « décollable » à 360° et il s’y réalise plus de 10 000 vols chaque année !

 

*ERP : Enterprise Resource Planning, par exemple SAP, Oracle pour les exemples les plus corporate


Pour en savoir plus :
le site du cluster Auvergne Efficience Industrielle


Entretien réalisé le 26 septembre 2018 à Epicentre. Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité, puis relus et corrigés par Dominique.
Photo de une par Damien Caillard pour le Connecteur ; autres visuels fournis par Dominique.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #DéfinitionEfficience – « l’efficacité au moindre coût », l’efficience prend en compte les outils et leur usage par rapport à un but recherché. Les outils doivent servir le collaborateur comme l’organisation, ce qui implique pour Dominique un rôle capital de l’humain.
  • #AuvergneEfficienceIndustrielleLe Cluster Auvergne Efficience Industrielle [AEI] est né en 2014 pour promouvoir cette approche efficiente, et non pas pour développer une filière. Il est issu de la volonté de trois chefs d’entreprise, en lien avec un appel à projet du Conseil Régional. Sa valeur ajoutée est de rapprocher des acteurs de mondes économiques différents. Dominique en est l’animateur, basé à Pascalis. Il a accompagné depuis 2016 une évolution vers l’accompagnement de la mise en place des outils pour les collaborateurs.
  • #FusionGrandeRégionLa région Auvergne-Rhône-Alpes a entamé un vaste mouvement de fusion des clusters. AEI (39 adhérents) a ainsi fusionné avec Mont-Blanc Industries, basé à Cluses en Haute-Savoie (300 adhérents), mais les deux marques commerciales persistent sur des territoires éloignés. L’ensemble est désormais baptisé AURA Industries 4.0
  • #AvantagesFusion – Outre la puissance d’action liée à la fusion, Dominique apprécie le fait que la proximité a retrouvé une vraie valeur, avec un travail inter-clusters renforcé sur l’Auvergne. Selon lui, le numérique permet de décloisonner de nombreuses entreprises, il « efface les frontières » par exemple entre industrie et services.
  • #ApprocheDuNumérique – Dominique a découvert la richesse du tissu numérique auvergnat en arrivant au cluster AEI, en 2014. Auparavant, il a suivi plusieurs métiers dans l’industrie traditionnelle, en bureau d’études, et en centre de formation. Il ne se définit pas « digital native »  mais admet avoir un vrai attrait pour l’impact transversal du numérique dans les activités économiques.
  • #ActivitéEcosystèmeClermontois – Dominique participe à l’Open Lab Exploration Innovation depuis sa création, apportant de nombreux éclairages sur les sujets d’innovation managériale. Sur le même thème, il s’implique activement dans l’organisation de la journée Living Orgs à Epicentre, et a participé à créé un master Data Science à Sigma.
  • #PassionParapente – Mais Dominique est également très connu dans le monde du parapente auvergnat et même national : pionnier de la discipline en 1977, il pratique le « vol libre » très régulièrement. Cette activité autant cérébrale que physique le passionne vraiment, notamment par la nécessité de s’adapter constamment à un environnement changeant et à prendre en compte les signaux extérieurs.

 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.