Par Damien Caillard
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Dans la galaxie des « ex-start-ups » qui sont devenues des PME en croissance, Coffreo est un bel exemple. Spécialisée dans la dématérialisation RH, l’entreprise a été co-fondée et est aujourd’hui co-dirigée par Guillaume Vernat depuis la Pardieu. Retour sur l’évolution d’un projet innovant « importé » en Auvergne depuis Paris, et sur l’engagement croissant de Guillaume dans l’écosystème local, que ce soit à travers le cluster numérique Digital League ou via son accompagnement de l’évolution du Bivouac.
Ton grand projet de vie a été de revenir en Auvergne depuis Paris. Pourquoi avoir fait ce choix ?
J’ai vécu 15 ans à Paris, après avoir fait ma thèse à l’INRA de Clermont. Avec ma famille, nous voulions revenir et pour cela nous avons créé les conditions financières mais aussi de vie idéales pour notre retour : en déplaçant la R&D de Coffreo, mais aussi Verenate, une start-up que j’avais créée en 2004 autour de la pérennisation des savoir-faire techniques et manuels. En ce qui concerne mon épouse, nous avons créé une nouvelle société pour gérer une maison d’hôtes de charme, le Manoir de la Manantie. Nous voulions offrir un cadre de vie plus authentique à nos enfants que la banlieue parisienne. Donc, en juillet 2011, nous étions de retour sur Clermont.
Peux-tu nous présenter Coffreo ?
Coffreo est le leader français de la dématérialisation de documents sur les marchés de l’intérim et des entreprises employant des contrats courts (intermittence, sécurité, retail, etc). Nous accompagnons et facilitons la relation entre l’employeur et le salarié. Notre ambition est que ces modes de travail dits flex-working soient moins subis, moins pénibles, et même choisis. Pour cela, on doit pouvoir accélérer et faciliter l’accès au travail – en simplifiant, par exemple, les étapes de signature des contrats.
L’entreprise a été créée par Emmanuel Cudry en 2007 à Orsay, où son siège est toujours basé. Elle a donc eu dix ans en 2017. Les premières années ont été un long chemin difficile relevant plus de la mission, jusqu’en 2009, où le contexte juridique a évolué en autorisant la dématérialisation des bulletins de paye … à condition que le salarié accepte a priori. En janvier 2017, nouvelle évolution : le salarié peut refuser a posteriori, ce qui change la donne.
Qu’as-tu apporté à l’entreprise ?
Je l’ai rejointe en 2010, quelques semaines avant que nous ne signons notre premier client. Il a alors fallu mettre en place ce premier client. On avait beaucoup de Powerpoint et peu de code… Ensuite je suis revenu à Clermont en y installant la R&D. Depuis Paris, en deux semaines, et grâce à Nathalie Guichard, j’avais un bureau à Pascalis ! L’accueil y a été encore plus rapide que mon déménagement. Ce n’était même pas concevable en Ile-de-France. Ici, les gens sont très accessibles. En à peine quelques mois, j’ai pu accéder au bureau de René Souchon [président de la Région Auvergne].
En novembre 2011, j’embauchais notre premier collaborateur en Auvergne suivi 4 mois après d’un deuxième collaborateur, Cyril, qui est toujours avec nous. En 2012 nous traitions nos premiers contrats de travail, ce fut le vrai début de notre accélération. Je me rappelle d’un mois de décembre 2013 où j’ai du travailler 72h sans dormir pour tenir des échéances impossibles sur un projet… Fin 2014 j’ai pris le risque de lancer une thèse. C’était osé étant donné notre développement, nous avions 6 collaborateurs. C’est aussi l’époque de tous les doutes. On se perdait un peu sur plusieurs pistes quant à notre identité. On craignait que notre marché soit trop petit, qu’on ne soit pas là au bon moment, ou que notre activité n’ait pas de sens … Pour assumer ce que l’on était, il a fallu se réunir avec Emmanuel, prendre du recul, et trancher.
On a fait un choix : au lieu d’avoir une vision à 360 degrés par rapport à des briques techniques, on a opté pour une vision à 20 degrés mais avec beaucoup de perspective sur notre métier. Certains appellent ça un pivot, pour nous c’était juste de la stratégie… Cela a totalement révolutionné notre travail, et on a multiplié les contrats et les recrutements. Résultat : aujourd’hui, nous avons plus de 40 salariés sur deux sites, une filiale en Allemagne depuis mi-octobre, une levée de fond … et nous doublons notre C.A. depuis 5 ans.
Tu t’es rendu compte que tu étais très attaché à l’Auvergne
J’en suis un fervent défenseur, avec l’énergie de ceux qui ont vécu autre chose et savent ce qu’on peut développer ici. Notre maison d’hôte, le Manoir de la Manantie, fait la promotion des artisans et des produits locaux. Très vite après l’ouverture nous nous sommes rendus compte que nos hôtes savaient à peine ou ils étaient… Nous avons très vite pris le parti de cultiver « l’Auvergnitude ». Par exemple, on explique comment on fait les spécialités culinaires locales, le vin, on raconte la région, on créée des parcours de découverte, nous avons même une petite boutique… Plusieurs fois, nous avons eu des entreprises qui, pour tenter d’attirer des cadres dirigeants, les ont amenés chez nous le temps d’un week-end avec mission de les convaincre de rester. Nous sommes assez fiers d’être à 100% de réussite.
Mais j’ai aussi pris un risque en 2011 quand j’ai « vendu » à mon associé que j’aurai des ressources compétentes, moins chères et plus fidèles en Auvergne qu’à Paris. Et je l’ai démontré ! Mon attachement avec ce territoire est liée à ce besoin-là. J’avais besoin d’un écosystème dense, dynamique et formé. Même si le rythme de vie est beaucoup plus sain et raisonnable ici, la rapidité des contacts est bien plus élevée. Parce que tout est à taille humaine, avec une vraie cohérence.
Comment as-tu transformé ce constat sur l’écosystème en mode d’action ?
Je veux mettre énormément d’énergie pour que l’Auvergne soit la « place to be ». Quand je suis arrivé au tout début, je n’avais pas de réseau, et je me suis rapproché du cluster numérique Auvergne TIC. Il m’a permis de rencontrer des gens extraordinaires, et m’a mis en relation avec de nombreux décideurs proches de la sphère IT. Côté business, ça n’a pas aidé directement Coffreo, mais ça lui a apporté de la visibilité et des ressources de qualité.
En 2014, j’ai vécu avec une grande colère la fin des subventions régionales sur Auvergne TIC, ce qui a signé son arrêt de mort. On a pris alors le parti de se rapprocher du cluster Numélink à Saint-Etienne, car l’agglo stéphanoise était assez proche de notre taille, et qu’à l’époque notre position de capitale régionale était un plus. C’était Franck Raynaud [président de Auvergne TIC] qui était en charge de la fusion.
Il n’y plus qu’un seul cluster numérique aujourd’hui. Dans quelle mesure est-il favorable à l’Auvergne ?
Avec la fusion des régions, il est apparu évident que c’était la survie numérique du territoire auvergnat qui se jouait. Il fallait qu’on défende une approche spécifique, tout en jouant collectif et en bénéficiant de la structure globale [avec la fusion Numélink et le Clust’r lyonnais et grenoblois]. La rationalisation des clusters était une volonté normale de la Région … Le Clust’r avait principalement des sociétés à plus de 300 personnes, et nous principalement à moins de 30 … pourtant, on avait envie de travailler ensemble.
Tout s’est concrétisé au Puy-en-Velay, quand 12 personnes dont je faisais partie ont créé et structuré ce qui est aujourd’hui Digital League : une structure fédérale avec des comités et des délégués territoriaux, pour déployer une offre centrale bien consolidée et permettant d’expérimenter et de mettre en opération sur le territoire. Vania de Oliveira est déléguée territoriale, basée à Pascalis. Je suis Vice-Président en charge du territoire auvergnat.
Comment as-tu participé à l’aventure du Bivouac ?
Tout cela part de la French Tech : qui dit French Tech, dit bâtiment totem, dit thématisation, dit structure d’accompagnement. On a commencé par la structure d’accompagnement qui répondait à un besoin, ensuite la French Tech que je suis allé défendre au ministère avec une délégation motivée ! Et on a voulu avoir un phare à l’image du territoire clermontois, qui pour moi peut prétendre être le territoire d’expérimentation de toutes les innovations.
La légende veut que le Bivouac soit le fruit d’échanges entre la Région Auvergne et Michelin lors d’une rencontre en Chine. A notre modeste niveau, vu du côté d’Auvergne TIC, Franck, Guillaume et d’autres avaient pris leur bâton de pèlerin depuis un moment pour aller voir tout le monde et dire « il faut une structure dédiée au territoire ». Nous avons tenté de semer des graines à peu près sur toute la place clermontoise. Nous nous plaisons à croire que cela a aidé à rassembler tout le monde autour du projet « Quartier Numérique » (qui est maintenant quartier d’innovation, plus cohérent). Par contre, une chose est sûre : sans l’ambition de Michelin, de la Région Auvergne, de l’agglo de Clermont-Ferrand et des neuf partenaires qui ont participé à la fondation du Bivouac, on pouvait continuer un moment.
Le Bivouac est à une croisée des chemins. Comment envisages-tu son rôle ?
Le Bivouac a une place très particulière. A Clermont, on a des incubateurs de très grande qualité, mais pas d’assise suffisante pour avoir un accélérateur comme ceux de Lyon ou de Paris. Néanmoins, on a des atouts à faire valoir : le Bivouac a été créé comme un maillon dans la chaîne, qui doit être un accélérateur, pas un booster ! Il faut assumer ce rôle. Notre ambition est d’ancrer sur le territoire des sociétés en décollage, en leur offrant un écosystème qui leur permettra d’embaucher et de se développer. Le double impact sur l’entreprise et sur le territoire est capital.
Pour cela, le Bivouac doit être un lieu de convivialité en harmonie avec ce territoire. Mais quand tu lances une opération comme ça, tu es forcément opportuniste au début. Ensuite, tu tends vers le modèle-cible. Actuellement, on est à une période charnière, pas forcément évidente pour les équipes mais très enthousiasmante. Et, en 2018, le Bivouac va conjuguer la capacité à accompagner les start-ups et la démarche d’innovation des grands groupes du territoire et des porteurs de projets en phase d’accélération. Avec l’ambition d’accompagner la mutation numérique des PME.
Tu parlais de territoire d’expérimentation, concernant l’Auvergne.
C’est un de mes combats : nous avons une carte à jouer pour être LE territoire d’expérimentation de la mobilité en France. Car toute la variété urbaine est représentée dans un espace très étroit, et on peut très facilement monter un POC entre le centre urbain dense de Clermont et les zones rurales aussi variées que la Limagne, le Forez, la Chaîne des Puys …
On est labellisés French Tech Mobilité parce qu’on a des champions ici, mais il faudrait que cette mobilité soit mise en œuvre sur tout le territoire ! Cela peut inclure le numérique, les nouvelles pratiques de travail … On a aussi des acteurs forts : deux réseaux bancaires régionaux très à l’écoute, une grande université par rapport au territoire … Au final, on est en capacité d’innover sur de très nombreux sujets, parce qu’on peut facilement réunir dans une même pièce tous les décideurs pour avancer.
Basé sur les entretiens du 8 et 21 novembre, réorganisés et synthétisés pour des raisons de lisibilité, relus et corrigés par Guillaume.
Pour en savoir plus :
le site de Coffreo
le site de Digital League
Crédits visuels: Damien Caillard, Guillaume Vernat
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #RetourEnAuvergne / Guillaume et sa famille sont rentrés en 2011 en Auvergne, après avoir vécu 15 ans sur Paris et notamment développé une start-up sur le savoir-faire manuel, Verenate. Ils voulaient retrouver un cadre de vie plus harmonieux pour leurs enfants;
- #Coffreo / Coffreo est une PME d’environ 40 personnes, basée à Orsay près de Paris, et dont la R&D est à Clermont (la Pardieu). Son activité : la dématérialisation de documents sur les marchés de l’intérim et des entreprises employant des contrats courts. L’ambition de Coffreo est de faciliter l’accès au travail pour que le « flex-working » ne soit pas subi mais choisi;
- #ApportACoffreo / Guillaume a rejoint Coffreo en 2010, alors que le premier contrat allait être signé (Coffreo ayant émergé en tant que start-up sur Orsay). Puis il a déménagé la R&D sur Clermont, y a étoffé l’équipe et le réseau, avant de réaliser avec son associé Emmanuel Cudry un recentrage stratégique majeur ;
- #AttachementAuvergne/ professionnellement, Guillaume est convaincu qu’il dispose de collaborateurs tout aussi compétents en Auvergne qu’à Paris, mais aussi plus abordables et plus fidèles. De plus, il est très attaché à sa région d’origine qu’il met fortement en avant dans une maison d’hôtes montée avec son épouse, le Manoir de la Manantie ;
- #Ecosystème/ l’action de Guillaume est devenue structurante sur le territoire quand il s’est concentré sur le cluster numérique, d’abord Auvergne TIC puis Numélink, auxquels il a participé activement (aux côtés de Franck Raynaud) et qui lui ont apporté de très nombreux contacts de qualité ;
- #DigitalLeague/ aujourd’hui, Numélink a fusionné avec son homologue lyonnais. Cela a donné naissance à Digital League, et Guillaume en était notamment à l’origine puisqu’il représente aujourd’hui le cluster sur l’Auvergne en tant que Vice-Président (aidé de Vania de Oliveira, qui assure l’opérationnel depuis Pascalis) ;
- #AventureBivouac/ Guillaume et Franck (Raynaud, ancien président du cluster Auvergne TIC), notamment, avaient milité et sensibilisé l’écosystème en faveur du projet dit de « quartier numérique », qui est devenu à la fois le Bivouac et le Quartier d’Innovation en gestation place du 1er mai. ;
- #FuturBivouac/ pour Guillaume, le Bivouac doit clairement se positionner comme accélérateur et non booster, afin d’ancrer sur le territoire des start-ups en décollage, et de leur offrir des ressources pour embaucher et se développer. Il doit aussi accompagner les PME dans leur transition numérique. C’est l’objet de la période charnière que traverse le Bivouac, qui se recentre après deux années d’existence et de lancement ;
- #TerritoireExpérimentation/ l’Auvergne peut être le principal territoire d’expérimentation sur la mobilité. Il combine une forte variété de configurations de terrain et d’urbanisme/ruralité, avec la présence de grands acteurs – bancaire notamment – qui pourraient accompagner cette dynamique. À souligner, la proximité des acteurs qui permet d’avancer rapidement.