Par Damien Caillard
Emmanuel Macron a été largement élu le 7 mai dernier en partie sur un programme « numérique » ambitieux, relativement peu détaillé mais porteur d’espoir pour de nombreux acteurs de l’innovation en France. Nous avons sollicité plusieurs acteurs de notre écosystème local, qu’ils soient en lien avec le mouvement En Marche ou de « simples citoyens » investis dans l’économie numérique. Ils nous ont donné leur opinion, enthousiaste, attentiste ou critique, mais toujours de manière constructive.
[Voir directement les réponses aux questions des internautes par Jean-Philippe Delbonnel]
Un Président résolument pro-numérique
Le digital, l’entrepreneuriat, l’innovation sont des marques de fabrique d’Emmanuel Macron. Que ce soit en ouvrant les transports en bus à la concurrence ou en s’affichant aux côtés de la French Tech à Las Vegas, le nouveau Président a cultivé une image et misé sur une politique libérale et numérique.
Quels sont ainsi les éléments de son programme relatifs à Internet, mais aussi à l’innovation et à l’entrepreneuriat ? On trouve ces thèmes regroupés sous l’étiquette « numérique » du site En Marche, qui met d’emblée en avant le caractère structurel de la révolution numérique (« Le numérique n’est pas un secteur : c’est une transformation profonde de nos façons de produire, de consommer, d’apprendre, de travailler, d’échanger »). Si vous ne l’avez pas parcouru, en voici une synthèse:
- Une approche très économique, basée sur un « nouveau modèle de croissance » prenant appui sur l’innovation (notamment). Réorientation de l’investissement et de la fiscalité en faveur de l’économie productive, en particulier l’ISF (fonds « Industrie et Innovation » de 10 milliards, abattement ISF ramené à 30% en cas d’investissement dans une entreprise …);
- Un alignement avec l’Europe pour créer des conditions communes de développement et un marché international sur notre continent facilitant la croissance des entreprises (dont celles du numérique et de l’innovation: fonds européen de capital risque de 5 milliards + recherche d’une fiscalité commune sur le numérique);
- Une reconnaissance du droit à l’erreur et à l’expérimentation pour tous avec l’extension du bénéfice de Pole Emploi pour les démissionnaires, et la possibilité – semble-t-il – de se soustraire au cadre strictement réglementaire (« Pour un temps limité et dans un cadre fixé par la loi, il sera possible de déroger aux dispositions en vigueur afin de tester de nouvelles solutions. « )
- Une facilitation de la vie des entrepreneurs, outre les ASSEDIC, avec la fin programmée du RSI et la possibilité de choisir annuellement le statut de son entreprise;
- Le « numérique pour tous« , que ce soit l’extension du très haut débit (fibre ou 4G) sur tout le territoire national, un réseau de soutien avec des acteurs locaux pour accompagner au numérique, une formation professionnelle réorientée vers cet enjeu, et la numérisation plus poussée de l’administration (open data, justice, compte citoyen en ligne) et de la télé-médecine.
Mais revenons en Auvergne et voyons comment est perçu ce programme chez certains acteurs de notre écosystème d’innovation.
Libéraliser et protéger
On note déjà que deux des candidates auvergnates aux législatives sont en lien direct avec l’économie numérique: Pauline Rivière, investie dans la 1ère circonscription de l’Allier (Moulins), est community manager dans le civil, également très proche d’Auvergne Nouveau Monde et impliquée dans l’association Bouge-toi Moulins ! qui a notamment monté le FabLab de la ville. A Clermont, c’est Valérie Thomas (candidate dans la 1ère circonscription du Puy-de-Dôme, celle de Clermont-Cournon) qui est un des soutiens historiques de l’espace de coworking Epicentre, présidente de l’incubateur Cocoshaker et créatrice de Bancs Publics, une entreprise de conseil pour les collectivités. Enfin, le coordinateur régional de la campagne En Marche, Jean-Philippe Delbonnel, est un ancien salarié de la start-up orléanaise Easyflyer et a publié récemment l’ouvrage La Tournée du Numérique, référençant des dizaines d’expériences digitales en France.
Le numérique, c’est d’abord un état d’esprit. « Emmanuel Macron a utilisé ces méthodes, cette approche participative, entrepreneuriale, les codes de la société moderne [dans sa campagne] » analyse Pauline Rivière, qui a coordonné la campagne En Marche pour l’Allier. « Le back-office (…) était hyper moderne, très automatisé. C’est l’idée que, grâce au numérique, tu peux mieux communiquer, rassembler les forces, construire. » Une campagne, des soutiens, des candidats aux législatives à l’image du nouveau Président, qui voit le numérique à la fois comme un moyen d’action et un objectif de développement.
Quelle traduction de cette vision dans le programme ? Valérie Thomas le résume ainsi: « La grande idée qui traverse tout le programme – dans l’économie, la société, et tous les autres domaines – tient en deux points complémentaires: d’une part, on libéralise, on laisse la possibilité aux gens de tenter des choses, d’innover, de se lancer; d’autre part, on est à côté pour protéger les plus faibles, et ceux qui ont osé et se sont planté. » La reconnaissance de l’échec comme porteur de valeur et d’expérience semble être un point marquant du programme macronien, notamment via l’ouverture des indemnisations chômage pour les démissionnaires. « C’est le levier principal, qui fera que plein de gens vont pouvoir oser » estime Valérie Thomas.
Mais des points de vigilance émergent néanmoins. D’abord sur le concept de « numérique », intitulé de la section du programme d’Emmanuel Macron qui inclut l’entrepreneuriat et l’innovation. Est-ce à dire que numérique = entrepreneuriat = innovation ? Qu’on n’entreprend pas ou peu, qu’on n’innove guère, dans les secteurs hors numérique ? « Le numérique n’est pas une niche. » insiste Guillaume Vernat, co-fondateur de Coffreo (entreprise basée à la Pardieu) et vice-président du cluster Digital League en charge du territoire auvergnat. « C’est une problématique au niveau de l’ensemble des forces vives (…) Idem pour la possibilité de tester: ce doit être vrai pour tout le monde », et donc pas que pour les entrepreneurs du numérique. Ensuite, les incertitudes se portent sur les écueils à venir, comme pour ce « droit à l’expérimentation »: « Va-t-on être capable de sortir du principe de précaution, qui nous empêche d’aller sur des sujets délicats, là où l’innovation se fera ? » poursuit Guillaume Vernat. On peut également regretter que certaines notions majeures et transversales, comme l’Intelligence Artificielle, ne soient que survolées dans un paragraphe du programme, le temps de mentionner une « stratégie nationale » à mettre en place. A suivre, cependant.
Le changement … dans la continuité ?
Il est aussi intéressant de mettre ce programme dans une perspective temporelle – en lien avec les politiques précédentes – et spatiale – dans un cadre européen. On observe alors une certaine continuité avec les dispositifs existants. C’est l’analyse menée par Olivier de Maison Rouge, avocat clermontois en droit de l’immatériel et vice-président de la Fédération européenne des experts en cyber-sécurité: « [En matière de fiscalité, le programme est] aligné sur l’approche européenne avec une taxe spéciale pour les activités numériques réalisées sur le continent. Ce n’est pas nouveau, mais ça confirme la convergence.« . Même interprétation pour l’administration numérique: « on a des grands portails existants, mais [Emmanuel Macron] veut créer des outils dédiés en matière de justice – c’est très régalien. » poursuit Olivier de Maison Rouge. « Le but est de favoriser un accès direct [à l’administration] via des outils numériques. (…) C’est le prolongement de la loi pour la République numérique, dans l’esprit open law et open access. ». Idem pour l’I.A. ou la transparence des données: même si on les amplifie et on les accélère, les dispositifs existants sont d’abord poursuivis.
Le volet « changement » est sans doute plus prégnant dans la notion de « transition numérique », qu’affrontent plus ou moins douloureusement particuliers, entreprises et collectivités. « Nous aiderons les TPE et les PME à réussir leur transformation numérique » promet le programme En Marche … et d’évoquer le levier de la formation professionnelle. « Il y aura une remise à plat (…) de la formation professionnelle » analyse Valérie Thomas. « Elle est laissée aux partenaires sociaux, mais elle ne fonctionne pas et elle n’est pas adaptée au monde économique. L’Etat doit reprendre à sa charge ce volet pour mettre en place des formations innovantes dans tous les secteurs qui feront l’économie de demain. » Pauline Rivière avait travaillé pour l’accueil de nouveaux arrivants dans l’Allier: « Les artisans, les commerçants, les TPE ne sont pas tous digitalisés. Ceux qui ne le sont pas n’existent pas (…) il faut accompagner tous ces gens pour faire comprendre la nécessité [de faire sa transformation numérique]. »
En contrepoint, Guillaume Vernat se demande s’il ne faut pas « faire mieux plutôt que faire plus« . Ainsi pour la formation professionnelle: « Les gens n’ont pas forcément envie de changer. Il vaut mieux trouver des solutions innovantes pour accompagner au changement. » estime-t-il. « On n’a pas forcément besoin d’être à la pointe du numérique ! Par exemple, pourquoi faut-il impérativement un site web pour chaque artisan, chaque commerçant ? Une fiche « page jaune » améliorée ne peut-elle pas suffire ? ». Prudence, également, concernant la « stratégie d’inclusion » destinée à accompagner l’usage du numérique par un réseau d’associations et de collectivités: « Il y a une offre d’entreprises qui existe [pour cela] (…) attention à ne pas casser un marché » prévient le co-fondateur de Coffreo.
Pour une économie plus dynamique
Critiques ou élogieux, tous nos interlocuteurs reconnaissent le volontarisme économique du programme macronien. Beaucoup d’espoirs se portent ainsi sur les incitations fiscales à l’investissement en entreprise. Eric Borias, associé chez Axyne Finance à la Pardieu et président des Business Angels d’Auvergne, le résume ainsi: « L’objectif [d’Emmanuel Macron] est que le patrimoine aille plutôt vers les entreprises que vers l’immobilier. Avant, quand on investissait sont impôt sur le revenu dans les entreprises, on avait une réduction de 18%. Le programme parle de la monter à 30% ». L’impact sur l’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) est également très commenté. « L’immobilier serait plus fortement assujetti. » poursuit Eric Borias. « Tout ce qui est investissement dans l’entreprise viendrait en déduction, alors qu’on n’est qu’à 50% aujourd’hui. » mais ces différents points restent à préciser. [voir précision apportée en annexe]
Au-delà de la fiscalité, l’investissement direct sera mis en avant au niveau national et surtout européen. « Il faut réorienter l’Europe comme acteur majeur de l’investissement dans l’économie » pour Valérie Thomas, « en commençant avec l’Allemagne. » Résolument pro-européen, Emmanuel Macron est persuadé qu’on ne peut pas faire grand-chose seul, mais qu’on peut faire beaucoup à plusieurs à condition d’avoir vision et ambition. « On a un outil formidable qui est l’Europe; il faut aller plus loin que le monétaire et se diriger vers l’innovation. » poursuit la candidate aux législatives à Clermont. « Mais ce sera du donnant-donnant: on peut respecter les seuils budgétaires comme le déficit à partir du moment où l’Europe devient une vraie machine pour l’innovation et l’investissement. »
Et les start-ups dans tout cela ? Vous avez sans doute entendu le Président annoncer que la France sera la nation des start-ups d’ici 5 ans. Pauline Rivière l’interprète ainsi: « On peut [y] arriver, car [Emmanuel Macron] dégage cette idée de modernité, en continuant sur la démarche French Tech et innovation, pour donner envie à des entrepreneurs de venir s’installer. » Olivier de Maison Rouge le confirme: « On a un accent manifeste en faveur de l’économie numérique. (…) On peut retrouver à Bercy une vraie dimension industrie numérique, mutation économique, technologies de l’information » Parmi les mesures plus concrètes du programme se trouve ainsi la promesse d’un Etat plateforme, source de création de nouveaux services. « Ça peut être très intéressant » s’enthousiasme Guillaume Vernat. « On redonne la main au privé pour [créer ces services], et, avec la force de notre tissu de start-ups, avoir de vraies innovations. »
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Pour poursuivre le débat, quelques derniers points de vigilance relevés par nos interlocuteurs dans le programme En Marche:
- droits d’auteur, créativité et grands comptes: « Aujourd’hui, on est de plus en plus dans les usages numériques de droits ouverts, partagés, de propriété et même de définition des algorithmes » selon Olivier de Maison Rouge. « On sent que, dans toutes les créations numériques innovantes, Emmanuel Macron est pour un effacement du droit d’auteur, afin de favoriser la créativité numérique. Mais le risque est sans doute de renforcer le rôle des grandes structures. »
- aménagement du territoire, collectivités locales et acteurs privés: « la couverture [en très haut débit] du territoire dépend beaucoup d’acteurs économiques privés. » insiste Olivier de Maison Rouge. « La lutte contre les inégalités d’accès au numérique n’est-elle pas une compétence de la Région ? » se demande Guillaume Vernat. Et de poursuivre la logique: « On parle de 4G pour couvrir les zones blanches, alors que la 5G est déjà sortie … c’est une course à la technologie. Là encore, pourquoi ne pas plutôt faire mieux que faire plus ? »
- données privées, cadre normatif, start-ups: le RGPD [Réglement européen de Protection des Données] existe depuis avril 2016 et devrait être transposé dans notre droit national en mai 2018. Plutôt protecteur pour les individus, il crée de nouvelles obligations pour les entreprises du numérique comme celles du big data. Guillaume Vernat pose la question: « Quel coût pour les sociétés de s’adapter au RGPD ? Attention aux cadres très normatifs, ça a déjà tué plusieurs secteurs comme la petite hôtellerie de famille. Il ne faut surtout pas étouffer le marché du numérique en disant qu’on favorise les start-ups mais en imposant le RGPD sans concertation. Même si, dans l’esprit, les start-ups sont très impliquées sur le sujet. »
[Note postérieure à la tenue des interviews: dans le premier gouvernement de l’ère Macron, le secrétariat d’Etat au numérique a été confié à Mounir Mahjoubi, ex-président du Conseil National du Numérique et notamment co-fondateur de La ruche qui dit oui]
Précision apportée par Eric Borias: Flécher l’épargne vers les PME par des mécanismes d’incitation fiscale.
Les entreprises ont un besoin de financement important. Or, l’épargne des ménages est excessive : elle représente autour de 15% du revenu disponible brut et le patrimoine financier brut des ménages s’élève à plus de 4 700 Mds €. Cette épargne est tournée principalement vers l’immobilier et l’assurance-vie. Des choix favorisés par la fiscalité.
D’où le programme d’Emmanuel Macron:
- « Les entreprises manquent des financements nécessaires à leur croissance notamment parce que notre système financier ne parvient pas à orienter l’épargne vers l’investissement productif. »
- « Nous favoriserons l’orientation de l’épargne des Français vers l’investissement productif. Cela reposera notamment sur une refondation de la fiscalité sur le capital pour favoriser l’investissement dans les entreprises : elle sera réduite et simplifiée.
– L’Impôt de Solidarité sur la Fortune ne concernera plus l’investissement qui sert l’économie (actions, parts, titres d’entreprises). Il sera remplacé par un Impôt sur la Fortune Immobilière, qui reposera uniquement sur les biens immobiliers, dans les mêmes conditions que l’ISF aujourd’hui.
– Un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de l’ordre de 30% sera appliqué à l’ensemble des revenus tirés du capital mobilier (intérêts, dividendes, plus-values mobilières etc.). »
Avis : Dans l’hypothèse où l’ISF serait supprimé, il sera nécessaire notamment de relever le taux de réduction de l’impôt sur le revenu (18% actuellement) dans le cadre des investissements dans les entreprises et d’augmenter le plafonnement de cet avantage, aujourd’hui limité à 10.000 euros
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Les réponses aux questions des internautes par Jean-Philippe Delbonnel
Quelles structures pour accompagner des porteurs de projets dans le numérique : je vois beaucoup de belles idées mal portées par manque de compétences dans le domaine digital. Comment l’Etat peut il mettre en place des structures d’accompagnement dédiées ?
Dans un premier temps, je pense que c’est à nous (citoyens) de porter nos projets, en témoigne notamment la #TournéeDuNumérique. Je crois en l’économie collaborative et aux partages des synergies humaines.
Un projet accompagné a d’autant plus de chances de réussir qu’il est entouré de professionnels qui apportent compétences techniques, connaissance de l’activité, retours sur expérience, et opportunités de coopération avec d’autres projets. Les structures d’accompagnement travaillant elles-mêmes en réseau, le fait d’être accompagné est souvent vu comme un gage de sérieux auprès de partenaires financiers par exemple. Enfin cet entourage permet aussi de garder l’enthousiasme et surmonter les passages difficiles.
Des agences d’accompagnements et des relais seront développés rapidement notamment envers nos TPE-PME pour aider à prendre le virage du numérique.
Comment assouplir la possibilité de création d’entreprise pour les salariés. Sortir du mode « je dois prendre un congés entrepreneur » qui est forcement plein temps et sans revenus ou démissionner pour toucher une « rémunération » ASSEDIC ? Pourquoi ne pas ouvrir du temps partiel ou d’autres choses ? Assurer au créateur qu’au moment de la perte de son entreprise (4 chance sur 5) il n’aura pas aussi perdu ses droits à l’assurance chômage ?
Le président l’a martelé pendant sa campagne : relancer l’économie passe par une simplification de la vie des entreprises, un allégement de leur fiscalité, une modification du code du travail aussi, dès cet été et à coups d’ordonnances.
Permettre également une durée de chômage pendant 5 années pour projet de création d’entreprise.
Comment permettre aux start-ups la réalisation de POC dans les administrations (au sens très large – collectivités locales,….) puisque tout est soumis à la procédure des marchés publics ?
Entièrement d’accord avec vous ! la donne change et les marchés publics doivent s’adapter a la nouvelle économie qui est la nôtre. Le plan d’une république numérique et de simplification des normes et des usages sera annoncé prochainement.
À quand la fibre et la 4G au Mont-Dore ?
18 mois seront laissés aux opérateurs de téléphonie pour déployer partout la fibre ou la 3G et la 4G. Ensuite, l’Etat prendra ses responsabilités et déploiera lui-même par le plan d’investissements que nous avons décidé.
C’est l’une des priorités de ce nouveau gouvernement : “ le Très Haut Débit pour Tous “
Plus de développements dans l’article de Jean-Philippe Delbonnel sur Medium