Pour la 10ème édition du MIMA, Matthieu Poinot, co-fondateur de l’IDEY Studio, animait une table ronde sur le sujet de l’IA dans la filière musicale aux côtés de professionnels du droit (Aurélie Garret Dalmais), d’artistes ou ingénieurs sons (Rémi Blanc) et formateurs de musique (Pierre Blaise Dionet).
Pour un peu de contexte, le MIMA est le rendez-vous pro de la filière musicale en Auvergne-Rhône-Alpes porté par le Damier. C’est l’occasion de rencontres entre professionnels de la musique et de débats.
Dans le secteur musical, l’IA questionne les processus de création et la notion même d’originalité. Elle inquiète aussi sur l’utilisation des œuvres sans accord explicite de leur auteur (allant à l’encontre des droits d’auteurs).
Pour reprendre les bases, l’IA est un ensemble de systèmes, d’outils et de méthodes. Il existe en réalité une pluralité de systèmes qui utilisent de l’IA. Leur avantage relève de leur capacité à simuler des processus de l’intelligence humaine et à traiter des données en masse.
Question de droits d’auteur – IA et Musique
L’IA, comme le remix par le passé, pose la question du créateur.
Concrètement, qui souhaite-t-on valoriser dans la création d’une œuvre assistée par IA ?
Actuellement, la législation européenne reconnaît trois entités : les créateurs des œuvres utilisées (données d’entrée), les personnes ou la structure qui créent le programme (fournisseurs) et les utilisateurs (déployeurs). Prenons l’exemple de suno, générateur de musique basé sur IA. Le mérite revient-il aux musiciens et artistes, créateurs des musiques fournies au programme ? Aux développeurs qui permettent d’exploiter ces données et de générer des musiques ? Ou aux utilisateurs qui utilisent l’outil et créent un prompt détaillé afin d’obtenir un résultat ?
L’Europe valorise actuellement les droits des artistes, premier élément de la chaîne sans qui rien ne serait possible. Selon Aurélie Garret Dalmais, avocate spécialisée dans les domaines de propriété intellectuelle et des technologies, cette volonté s’inscrit dans la mise en application de l’AI Act. Cette loi, entrée en vigueur en août 2024, encadre les utilisations d’intelligence artificielle. Elle décrit les obligations de transparence quant à l’utilisation d’IA dans la création. Elle promeut par ailleurs la rémunération des auteurs dont les œuvres ont été utilisées pour entraîner le modèle. Sa mise en application courant 2025-2026 vise à créditer et à rémunérer les auteurs des données d’entrée.
Pour l’instant, c’est le droit de propriété intellectuelle qui continue de primer. Ce titre complètement immatériel reconnaît le créateur d’une œuvre comme propriétaire des droits de son œuvre. Il décide de l’utilisation, l’exploitation et la production de son œuvre. Il est ainsi interdit d’utiliser une création (photo, musique, vidéo, etc.) sans l’accord préalable de son auteur.
Pour profiter de ce droit, il faut tout de même répondre à quelques critères. L’œuvre doit être originale, à l’inverse des copies, posséder une forme tangible, perceptible matériellement et surtout être une œuvre de l’esprit. C’est cette dernière condition qui exclut l’IA, dépourvue de personnalité juridique. Pour le moment, seul l’esprit humain est reconnu et accepté par la loi française.
L’IA dans la filière musicale en pratique
Maintenant que les enjeux juridiques sont clairs, il est intéressant de comprendre quel est l’intérêt de l’IA pour des professionnels de la filière musicale. Pour Pierre Blaise Dionet, l’IA permet d’accélérer le processus créatif. Elle peut hybrider les styles artistiques ou concevoir des ébauches de mood boards et storyboards. Rémi Blanc, quant à lui, utilise l’IA pour résoudre des tâches techniques comme le mastering ou le sound design.
Elfdeck permet par exemple à Pierre Blaise Dionet de mêler la voix d’un chanteur à une composition musicale d’un tout autre style. Cet outil, basé sur de l’IA, permet d’expérimenter des hybridations musicales et d’y puiser de l’inspiration. En bonus, Elfdeck redistribue les revenus générés à l’artiste originale à hauteur de 50%.
Izotope, outil de mixage et de mastering connu des producteurs, intègre aujourd’hui des fonctionnalités d’IA. C’est une base idéale pour apprendre le mixage par exemple. Rémi Blanc reste toutefois critique sur la nécessité de chercher à comprendre comment fonctionne l’outil pour pouvoir s’en détacher. En effet, Izotope reste basé sur un top 50 prédéfini qui donne des couleurs à la musique proposée en sortie. Finalement, Rémi préfère le plug-in Oeksound basé sur un algorithme plus fin.
Limites et questionnements
Avant de rêver de délégation de tâches, Rémi Blanc rappelle de garder un esprit critique sur les possibilités ouvertes par l’IA. Il est important de se poser quelques questions de base. La tâche est-elle suffisamment chronophage et rébarbative pour aller chercher une solution dans l’intelligence artificielle et prendre le temps de la mettre en place ? Est-il possible de découper la tâche en plusieurs petites actions simples et précises ? L’IA est-elle à l’aise avec la mission qu’on souhaite lui demander ?
En effet, l’IA a des particularités et des besoins. Elle sera plus performante dans des domaines sur lesquels elle a été entraînée et aura besoin d’instructions précises pour éviter de dériver (hallucinations, abandon de tâche au milieu d’une action, etc.).
On comprend que se servir d’outils d’IA est une compétence comme une autre qu’il faut exercer.
Rémi Blanc conseille aussi de comprendre ce que fait l’outil. Acquérir et conserver le savoir-faire des tâches remplacées par l’outil permet de garder une indépendance. Si l’outil pose problème, il est toujours possible de prendre la relève.
Cette connaissance du processus permet aussi de garder un esprit critique. Rémi Blanc prend l’exemple du maximiseur L2 de Wawes utilisé pour le mastering. L’utilisation de l’outil par toute la filière musicale a fini par donner une coloration similaire à l’ensemble des musiques. L’uniformisation est à surveiller avec l’arrivée de l’IA même si l’IA générative fait des progrès !
En apprendre plus sur les intervenants :
Pierre Blaise Dionet – Artiste digital et fondateur de CityShake et créateur de Synegram, une solution d’apprentissage musical qui s’appuie sur la synesthésie et l’IA sémantique.
Aurélie Garret Dalmais – FIDAL / Avocat associé (département Distribution – Concurrence – Propriété Intellectuelle – Numérique, Tech & Données Barreau de Clermont-Ferrand)
Rémi Blanc – DZRDR – Producteur / Compositeur / Ingénieur du son – Spécialisé dans les musiques électroniques. Créateur du Paradis à Royat.