“Du droit de la participation à l’épreuve des bassines”. C’était le thème de l’une des tables rondes organisées par la direction Innovation et participation (DIP*) de la Ville de Clermont Ferrand, dans le cadre de la première édition du Mois de la participation qui se prolongera jusqu’au 10 juin.
L’idée était de faire le point sur les droits ‘mobilisables’ et leurs limites dans le cadre des grands enjeux environnementaux, avec Christophe Testard, professeur de droit administratif et Grégoire Delanos, militant GreenPeace.
Un casting intéressant.
Greenpeace est connue pour ses interventions médiatiques parfois hors cadre légal. En réalité, dans sa philosophie d’actions, l’intervention-terrain est le dernier des leviers à être activé, en cas d’échec du processus préalable. Peut-être contre-intuitivement, on retrouve, dans la démarche complète, les différentes briques du droit de la participation. L’aller retour entre Christophe Testard, professeur de droit qui a posé le cadre juridique et Grégoire Delanos, militant qui s’inscrit à l’intérieur et à la périphérie du droit était intéressante. Ce sujet de la participation citoyenne soulève dans son sillage de nombreux sujets connexes: politiques, sociaux, sociétaux … propices à alimenter de passionnantes conversations …
[Mémo] Un droit de la participation qui se renforce depuis 1972
Inscrit dans un droit bourgeois à finalité différente au XIXème siècle. Affirmé à un niveau international lors du premier sommet de la Terre en 1972. Formalisé à Rio en 1992, le droit dit “de la participation” s’inscrit désormais dans le préambule de notre Constitution, au travers de la Charte de l’Environnement. La Déclaration de Rio a instauré le principe d’un droit à l’information et à la participation citoyenne en matière environnementale. Son article 10 en indique les intentions. “La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. […] »
Ensuite, (très) sommairement toujours, cette déclaration a conduit à l’adoption de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Signée en 1998, elle établit des normes contraignantes pour garantir le droit du public à l’information et à la participation dans les questions environnementales.
Selon la Convention d’Aarhus, les citoyens ont le droit d’accéder à l’information environnementale détenue par les autorités publiques, de participer aux décisions qui les concernent, et d’avoir accès à des mécanismes judiciaires pour défendre leurs droits environnementaux.
En France, la mise en œuvre de la Convention d’Aarhus s’est traduite par des avancées législatives et réglementaires. En 2005, la loi française a été modifiée pour renforcer le droit à l’information environnementale et faciliter la participation du public aux décisions environnementales. Des dispositifs tels que les enquêtes publiques, les consultations et les débats publics ont été instaurés pour permettre aux citoyens de s’exprimer et de contribuer aux processus décisionnels.
Droits théoriques, limites et applications
La participation citoyenne est donc un exercice qui doit favoriser une expression individuelle et collective. Cette expression doit être informée et argumentée. Elle a pour finalité de nourrir la décision publique. La caractéristique principale de la participation est d’amener chacun à s’exprimer en tant qu’acteur de l’intérêt général. Et ce, pour participer activement aux décisions qui les concernent.
L’accès à l’information
La participation citoyenne nécessite donc un accès à des informations fiables et transparentes sur les questions environnementales. Toutefois, l’accès à ces informations peut être limité par des questions de confidentialité et de complexité technique, voire des pratiques de désinformation.
La question de l’accès à l’information est la première étape d’organisations telles que Greenpeace: l’enquête et l’analyse des différents travaux scientifiques et enquêtes techniques existants ou produits pour nourrir la connaissance. “Nous mettons en évidence les éléments contradictoires qui doivent être portés au débat, pour que soient considérés l’impact environnemental global et les intérêts des générations futures”. C’est un travail de fond d’enquête puis de vulgarisation qui s’engage alors.
Ce droit est aussi limité par d’autres considérations, plus sociologiques telles que le manque de ressources, de temps, d’argent, d’expertises, ou encore de compétences ‘sociales’. Les formes de participation proposées supposent une intégration de codes et d’univers qui peuvent constituer un marqueur social peu ‘inclusif’. C’est LE sujet de tous ceux qui s’engagent dans ces questions de participation citoyenne. Comment dépasser les cercles déjà investis et aller chercher des citoyens divers, plus représentatifs. Et comment les embarquer durablement, les intéresser à la « chose publique » ? Il semble que les initiatives qui fonctionnent le mieux soient celles qui prennent le temps d »aller vers’ et de comprendre au sens littéral du terme.
Consultation – délibération – décision
“Faire entendre nos demandes par la concertation et le dialogue”, c’est l’étape 2 de la méthode Greenpeace. Dialoguer, contribuer aux débats, exprimer les problématiques et rechercher des solutions. Ce sont là les principes même de la consultation et de la délibération, parties intégrantes du droit de la participation. Les citoyens ont le droit d’être consultés et de participer activement aux discussions, aux délibérations et aux prises de décision. Cela peut se faire à travers des consultations publiques, des réunions, des débats, des forums de discussion et d’autres mécanismes participatifs.
Mais là encore, si les dispositifs existent, ils peuvent souffrir de faiblesses intrinsèques. Les processus décisionnels en matière d’environnement sont souvent complexes, ce qui peut décourager l’investissement des citoyens. De plus, ces mécanismes de participation peuvent être difficiles à comprendre et à utiliser pour le grand public. Enfin, le moment où ils interviennent peut paraître décalé. Comme le soulignait Christophe Testard, le curseur du bon moment n’est pas facile à fixer. Trop tôt et le projet n’est pas suffisamment défini pour que les citoyens puissent s’y projeter. Trop tard, ils ont le sentiment de ne plus pouvoir agir. Grégoire Delanos, lui, imagine – et défend- un processus de co construction. Et ce, dès l’émergence d’un nouveau besoin pour s’assurer de la prise en compte des contributions des citoyens.
Éviter la sur promesse …
Ce sujet de la prise en compte des opinions, des préoccupations et des contributions des citoyens est sans doute le plus complexe. L’intention du droit de la participation en donne la philosophie “ils doivent être pris en compte de manière sérieuse et sincère dans les décisions prises par les autorités. Cela implique une réelle considération des arguments et une réponse explicite aux opinions exprimées.” Pour autant, pour Christophe Testard, il peut y avoir malentendu sur cette approche : l’expression des citoyens apporte un argument à la décision, au même titre que d’autres points de vue. Si elle induit qu’il soit entendu, cela ne signifie pas qu’il soit pris en compte en tant que tel.
Le meilleur contre-exemple demeure celui de la Convention des Citoyens pour le Climat. De l’engagement à transmettre sans filtre au Parlement les propositions des 150 citoyens, il n’est pas resté de quoi conforter l’envie de participer. Promesse intenable pour Christophe Testard, occasion ratée et gâchée de créer un vrai débat pour Grégoire Delanos. Il ressort quand même un élément consensuel, celui de la nécessité de dire ce que l’on fait et de faire ce que l’on dit. Le terreau de motivation pour la ‘chose publique’, le sens du collectif et de l’intérêt général et le niveau de confiance dans la politique étant à un niveau plus que préoccupant, il semble nécessaire que ce genre d’exercice ne vienne pas nourrir le sentiment d’impuissance et de colère des citoyens.
Enfin, l’accès aux recours
Les individus doivent avoir accès à des mécanismes de recours efficaces et équitables pour contester les décisions ou les actions qui affectent leurs droits et intérêts. Cela peut inclure des voies de recours judiciaires, administratives ou autres pour remédier aux préjudices subis.
Dans le champ du militantisme, et pour rester dans la méthode Greenpeace, intervenant lors de cette table ronde, la dernière étape (enfin l’avant dernière) est celle de l’action. Elle peut se traduire de deux manières, qui ne s’excluent pas forcément l’une l’autre: l’action en justice ou l’action terrain. On connait l’action terrain, non violente et visant à attirer l’attention sur un fait préoccupant ou une pratique elle-même illégale. Les recours en justice peuvent être utilisés pour faire appliquer des règlements ou des lois ou contribuer à construire une jurisprudence permettant de faire progresser le droit (cf l’affaire du siècle)
Partout, de la démocratie participative ?
Pour Christophe Testard, l’arsenal juridique autour du droit de la participation est aujourd’hui très complet en France même s’il pourrait être complété par une possibilité de recours d’urgence. Pour autant, c’est dans sa mise en œuvre qu’il présente des lacunes. Avec quand même un enjeu majeur: celui de l’engagement élargi hors des cercles déjà convaincus. C’est tout l’objet des initiatives locales de démocratie participative qui vise à se rapprocher des habitants pour appréhender des sujets plus proches de leurs préoccupations quotidiennes. Ceci étant, les enjeux et écueils demeurent les mêmes.
Finalement, c’est tout l’enjeu de cette nouvelle direction innovation & participation, créée en 2021 au sein de la Ville de Clermont. Dans la délibération du Conseil Municipal qui a voté sa création, on peut lire : […] « pour trouver des solutions concrètes et locales aux problèmes contemporains qui traversent le territoire, il faut stimuler l’imagination collective d’une très grande diversité de parties prenantes« . C’est cette recherche de stimulation qui se traduit par la convention citoyenne de la Ville de Clermont, la nouvelle édition du budget participatif ou cette première édition du Mois de la Participation.