Les balades rétro-futuristes et l’éco-fiction comme outils de transformation des organisations

Les balades rétro-futuristes et l’éco-fiction comme outils de transformation des organisations

J’ai rencontré Catherine Redelsperger lors d’une d’une balade retro-futuriste dans le quartier de Montferrand. A travers ses récits, elle nous transporte dans un futur probable et souhaitable. Comment les récits imaginaires collectifs peuvent-ils nous aider à relever les défis environnementaux et sociétaux à venir ? En accompagnant des entreprises, des collectivités et des citoyens, Catherine Redelsperger propose une aventure collective où l’écriture et l’imaginaire sont au centre de la démarche.

Vous avez un parcours assez atypique…parlez-nous un peu de vous…

Je suis née à Strasbourg, dans une famille à deux branches, une rationnelle et l’autre artistique. J’ai grandi à la croisée de milieux différents. D’un côté, une scolarité dans une école de la haute bourgeoisie protestante, et, de l’autre, des parents très investis dans les quartiers populaires. Ils étaient tous les deux engagés dans des associations d’alphabétisation ou d’arts plastiques.

J’ai toujours été une grande lectrice. Enfant, j’ai développé une passion pour les légendes, les mythes et plus tard pour la science-fiction. Après le bac, j’ai fait des études pour devenir pasteur dans la seule Université de théologie d’Etat en France à Strasbourg. Pendant ce parcours, je me suis spécialisée en philosophie sur les questions d’interprétations du texte. C’est-à-dire comment un lecteur est actif dans l’acte de réception, comment le lecteur contribue à créer l’œuvre en l’interprétant à sa manière, à partir de son monde à lui.

Finalement, vous n’êtes pas devenue pasteur. A quel moment avez-vous “bifurqué” ?

Je suis devenue agnostique pendant mes études. A la fin de ma formation, je me suis « auto-fabriquée » une reconversion professionnelle.

Tout en analysant  mes motivations profondes, et en rencontrant des professionnels j’ai fait un troisième cycle en science de l’éducation. J’ai compris que mon lieu d’ancrage serait le monde de l’entreprise. Je suis rentrée à l’IAE pour apprendre à gérer et à diriger une entreprise. J’ai créé très rapidement mon entreprise de formation et conseil en management. C’est grâce à la jointventure  entre Mercedes et La Swatch qui créait la Smart, que j’ai commencé à faire du coaching il y a 30 ans.

Aujourd’hui, comment définissez-vous ce que vous faites ? Vous avez un métier avec de multiples dimensions…

Je suis coach, consultante et écrivaine de science-fiction. Mon premier roman d’anticipation est paru en 2007 chez Hachette Littératures. Les Filles Normales ont publié Myxomatoses qui comprend des micro-essais et des  éco-fictions qui se déroulent à Clermont Ferrand et dans les environs. Ex Aequo a publié les deux tomes de « Monasphère » en 2021 et 2022, qui traitent de la société du spectacle, de l’écologie, de la prédation des matières premières et de la colonisation des corps et des esprits.

Parallèlement à cela, j’ai développé l’atelier des dialogues, où je propose entre autres des ateliers collectifs d’écriture d’écologie-fiction. Ce sont des formats qui permettent à chacun de se projeter dans un futur souhaitable, désirable et probable en intégrant les réalités du changement climatique.

Qu’est-ce qu’une éco-fiction et en quoi peut-elle être un outil pour développer de nouveaux imaginaires collectifs ?

Une éco-fiction, aussi appelée fiction écologique, nous projette dans un avenir proche, à 30 ou 40 ans. Elle permet ainsi d’intégrer des informations actuelles : les données scientifiques du GIEC par exemple, les orientations des décisions des gouvernements, les nouvelles expérimentations citoyennes etc… Finalement, je pars de ce qui existe à petite échelle et j’imagine qu’un certain nombre de ces aspects se généralise. C’est le point de départ d’une éco-fiction.

Attention, une éco-fiction, n’est pas une dystopie. je ne vais pas poser comme “monde ordinaire” une société ou des libertés individuelles et collectives ont disparu, ou l’IA règne en maître, où le monde s’est entièrement effondré, comme dans Mad Max. Une éco-fiction n’est pas non plus une utopie. Je n’invite pas à se projeter  dans un imaginaire où tout est rétabli, grâce à une solution miracle basée sur la science ou la technologie.

Finalement, une éco-fiction est une prototypie. Un prototype d’un monde possible. Dans mon travail, j’explore  la voie des sciences humaines. La solidarité entre les êtres humains, la gouvernance au niveau local, la créativité,  tous les aspects de la vie quotidienne d’un être humain sont interrogés.

Vous avez développé un format (auquel j’ai participé) Montferrand, 2063 et Beaumont 2063. Expliquez-nous un peu le concept.

Au départ, j’écrivais des éco-fictions et j’animais des ateliers plutôt destinés aux entreprises, notamment autour du champ de l’évolution des métiers. C’est au cours d’un échange avec Pierre Gérard, que l’idée d’une éco-fiction liée au territoire est venue. Disons qu’il m’a challengé pour que je teste ce concept. Ce que j’ai accepté. Nous l’avons ensuite présenté à un collectif de coach lyonnais et ils ont été séduits par l’idée.

C’est comme cela, qu’en binôme, avec Pierre Gérard, nous avons commencé en 2021 à développer des balades rétro futuristes.

En prenant l’exemple de la balade rétro futuriste de Montferrand, pouvez-vous présenter plus précisément le concept ?

Ce sont des visites guidées dans un monde réel. En effet, nous en avons réalisé à Montferrand, à Beaumont et le 30 septembre prochain, nous en proposerons une nouvelle du côté de la rue du port et de la place Delille. Ce sera en partenariat avec La Doume et Solidoume, une première pour nous !

Le principe est le suivant. Nous nous appuyons  toujours sur l’histoire du territoire, de la ville, du quartier. Pendant 2h00, nous guidons pour une  balade les participants. Pierre raconte le passé et   je propose un prolongement de l’histoire jusqu’en 2063 ancré dans l’identité du lieu, des bâtiments.. L’organisation de la vie a été modifiée par les conséquences du changement climatique. Mon rôle est de raconter la vie quotidienne des habitants de ce territoire qui ont dû s’adapter.

Ca c’est la première phase d’immersion, ensuite vient la deuxième partie.. l’atelier d’écriture collective en tant que tel

Oui, mais avant cela, je mets toujours un point d’honneur à ce que chacun partage ses émotions face à ce récit d’éco-fiction. Il est important de ne pas oublier qu’aujourd’hui, de plus en plus de personnes souffrent d’éco-anxiété et de solastalgie.

L’auteur d’une  histoire de science-fiction se donne un moteur qui sont des  “et si…”.  Cela permet une projection dans un monde qui se trouverait entièrement modifié, à cause de ces variables. Par exemple : “Et si, on devait se nourrir à moins de 20 km de chez soi”, “Et si, la notion de propriété n’existait plus”.

Ensuite, on essaye d’imaginer à quoi ce monde pourrait ressembler et ce qu’il faudrait mettre en place pour qu’il fonctionne avec cette nouvelle variable. Enfin, le groupe construit une histoire d’un futur souhaitable en s’appuyant sur des personnages principaux et secondaires  de son choix.

Vous avez décidé de monter ce type d’ateliers pour répondre à quels besoins ?

Aujourd’hui, la plupart des professionnels qui travaillent sur les questions écologiques doivent sensibiliser et informer pour pouvoir embarquer vers des transitions. La situation réelle étant ce qu’elle est, ces informations peuvent générer des troubles chez les individus. Certains peuvent être dans le déni, d’autres, développer de l’éco-anxiété, ou encore se dire “foutus pour foutus” autant y aller à fond avec la société de consommation. Ce qui est finalement contre-productif. En 2023, les notions de décroissance, de sobriété et de frugalité sont encore perçues comme punitives, impliquant un renoncement sans mettre en valeur ce qui peut être gagné.

À travers ces rétro balades futuristes par exemple, on peut se projeter dans un avenir, certes contraint par de nouvelles réalités, mais tout de même souhaitable. Par ailleurs, il permet également de se relier au présent. A l’issue de ces ateliers, chacun est amené à se laisser inspirer par les fictions partagées, à s’interroger sur sa responsabilité par rapport à ses descendants. Qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui à mon échelle, pour rendre demain le plus souhaitable possible pour celles et ceux qui me succéderont dans ce monde ? J’affectionne particulièrement une phrase du philosophe Gunther Anders qui décrit bien cela : “Elargis les limites de ton imaginaire, pour savoir ce que tu fais”

Est-ce que le récit collectif est une approche reconnue dans le monde économique et peut-être politique ?

Le Shift Project organise des concours sur les imaginaires. Un premier à travers des textes, et un second avec des vidéos, mais cela reste tout de même très marginal. On nous dit souvent “votre approche est très intéressante”, pourtant, on ne la considère pas aujourd’hui comme partie intégrante d’une démarche de transformation des organisations ou des territoires.

Heureusement, certaines entreprises ou territoires sont avant-gardistes dans leur approche. Le service attractivité du département de la Seine-et-Marne nous a commandé un travail d’éco-fiction dans le cadre de sa candidature au programme leader européen. L’Observatoire de la Post-Croissance et de la Décroissance (OPCD) à Clermont-Ferrand a également fait appel à nous et nous intervenons à l’Université Clermont Auvergne. L’année dernière j’ai animé une journée avec les éco délégués d’un collège en Lorraine. Prochainement je vais animer des ateliers pour le Big Vert en Alsace, qui rassemble un certain nombre d’églises évangéliques et protestantes qui s’intéressent au sujet de la transition écologique. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

J’ai juste envie de terminer avec quelques verbatims des participants des balades. “je me rends compte que je peux vivre différemment” “j’envisage les choses autrement” “je ne pensais pas que les imaginaires des autres soient aussi différents du mien” “cela me donne envie de tester” “De nombreuses  personnes devraient avoir accès à ce type d’atelier” “c’était au départ angoissant, mais grâce au travail collectif, j’ai trouvé des personnes qui ont déjà changé des choses dans leur vie”.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.