Rémi Bonin est le fondateur d’Airbeone, une agence de conseil en événementiel, centrée sur le développement durable et la solidarité. Auparavant, il a évolué dans le monde de la « prod ». Il partage avec nous son regard sur l’évolution de la culture au fil des décennies et des grands enjeux que le secteur devra relever dans les prochaines années.
Nous allons aborder l’avenir de la culture et de l’événementiel, mais avant, on aimerait bien en savoir un peu plus sur toi.
Je suis né à Clermont-Ferrand et j’ai passé 20 ans dans la campagne environnante. Après le bac, j’ai suivi une formation universitaire en gestion des entreprises et management, mais ce n’était pas du tout ce à quoi j’aspirais. J’avais toujours été fasciné par la culture et la musique. Pendant mes études, j’ai navigué dans le tissu associatif local, surtout autour de la scène rock et j’ai eu la chance de croiser la route du Centre Info Rock Auvergne. Un jour, j’ai réalisé que je ne voulais pas être que spectateur, mais acteur dans ce milieu. Au début des années 2000, à la fin de mon parcours universitaire, j’ai créé mon association « Cler monte le son » pour promouvoir les musiques actuelles.
Une fois diplômé, faute d’opportunités professionnelles, j’ai décidé d’aller à Paris. J’ai commencé à faire des stages, surtout autour de la musique électro. C’est suite à ma première participation à la Techno Parade que je me suis dit que je voulais bosser dans ce monde-là. J’ai été embauché à Technopol, l’association qui avait fondé la Techno Parade en 1998. Une des missions de l’association était de professionnaliser la scène techno pour une meilleure reconnaissance de la musique électro, car beaucoup d’artistes venaient de la culture underground, de la rave. J’ai notamment accompagné les acteurs de la filière pour qu’ils conçoivent et organisent des événements dans le cadre de la loi. Le second objectif était de faire reconnaître les musiques électroniques au titre de musique actuelle.
A quel moment est-ce que tu as basculé dans la production événementielle ?
Plus je côtoyais le monde de la scène, plus j’avais envie de faire de la prod. J’ai fini par pousser la porte à côté de Technopol et j’ai postulé chez Solidarité Sida pour le poste de responsable production pour le Festival Solidays.
L’objectif de ce festival était, et est toujours de financer des programmes d’aide aux malades en organisant des événements et dont les bénéfices sont ensuite redistribués pour financer des projets portés par des associations de lutte contre le VIH Sida. Là, j’ai découvert l’univers des très gros festivals et j’y suis resté pendant plusieurs années.
En 2018, j’ai eu envie de quitter Paris après y avoir passé 15 années. Je voulais ralentir, revenir aux sources et pouvoir rééquilibrer ma vie pro et perso. Nous sommes donc retournés à Clermont avec ma femme et mes enfants.
Ce n’est pas dur de se refaire une place au niveau professionnel quand on a quitté sa région natale pendant 10 ans ?
Pendant mon absence, Clermont avait bougé et beaucoup de projets se sont montés. Il y avait une bonne dynamique. De mon côté, j’avais envie de créer quelque chose d’un peu différent. Je voulais organiser et produire des événements en intégrant des valeurs fortes : le partage, l’entraide, l’engagement, la solidarité, la citoyenneté. J’ai monté Airbeone, avec un fort engagement éco-responsable.
Au départ, je ne suis pas un expert de la transition écologique, mais organisateur d’événements. Pour parvenir à mon objectif, je me suis formé, notamment grâce au Réseau “Eco-événement” à Nantes, le REEVE.
Tu travailles depuis longtemps dans le secteur culturel, est-ce que tu as vu une évolution dans la prise de conscience des enjeux environnementaux et sociétaux de ces acteurs ?
Il y a eu des précurseurs de ce mouvement d’événements éco-responsables. Depuis 15 ans, des professionnels travaillent sur les enjeux de solidarité et de développement durable. Je prends souvent l’exemple de la Bretagne et de son tissu associatif développé. Ils étaient pionniers à cette époque et un peu considérés comme des extra-terrestres.
Au fil des années, ils ont impulsé des formations, des outils méthodologiques, qui sont aujourd’hui des ressources disponibles et éprouvées. Aujourd’hui d’autres structures font figure de ressources dans le milieu culturel comme Le Collectif des Festivals Bretons, Cofees, EVVI, ARVIVA, le Bureau des acclimatations, le Shift Projet ou les Augures par exemple.
Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs prennent conscience de la nécessité de se transformer. Airbeone est spécialisé dans l’éco-organisation d’événements. Pour quelles raisons tes clients poussent-ils la porte !
Certains ont envie de changer, mais ne savent pas comment s’y prendre. Pour d’autres, ils ont déjà été sensibilisés et souvent, pour commencer, ils souhaitent réaliser un bilan carbone. Ce n’est pas une mauvaise idée en soi, mais je leur explique que c’est assez coûteux comme démarche. Elle demande de la donnée et beaucoup de technicité et, ça n’explique pas comment mettre en œuvre une politique d’éco-responsabilité.
Enfin, il y a des producteurs beaucoup plus avancés qui sont convaincus du bien-fondé de leur démarche. Ils souhaitent être accompagnés pour mettre en œuvre leur stratégie dans un cadre bien structuré.
Quand on se lance dans ce genre de démarche, que faut-il avoir à l’esprit ?
Que ça coûte un peu d’argent, car il faut se faire accompagner, mais surtout, que ça prend du temps. Pour que cela fonctionne, il faut réussir à embarquer les équipes, mais également les autres parties prenantes. Il existe une dizaine de piliers sur lesquels on peut agir. Il faut faire des choix et prioriser. Si vous choisissez de travailler sur l’impact du transport, il y a déjà énormément de sujets à intégrer.
D’après toi, à quoi ressemblera la culture, demain ?
Je suis de l’école qui pense que les superproductions et les gros rassemblements sont en opposition avec les enjeux autour du dérèglement climatique. Tu peux avoir l’approche RSE la plus aboutie, pour les JO par exemple, faire se déplacer des dizaines de milliers de personnes autour de la planète n’est pas un modèle viable ou durable.
Aujourd’hui, il faut se concentrer sur les territoires. Proposer des événements de plus petite taille, développer l’ancrage local et valoriser les acteurs sociaux et environnementaux.
Et la culture en Auvergne alors ?
On a eu du retard au démarrage sur les questions de transition, pourtant, je vois aujourd’hui plein de nouveaux acteurs qui poussent pour faire différemment. Il y a également le cluster Le Damier, c’est un réseau structurant qui organise des parcours de formations et des conférences autour de ces enjeux-là. Dans quelques jours, à Clermont-Ferrand, se tiendra le salon MIMA, dédié aux professionnels du monde musical. Pour la première fois, nous avons travaillé pour qu’il puisse être labellisé “éco-événement » de niveau 1 et proposer un village éco-responsable avec les acteurs du territoire (Raboule, La Fresque du Climat, la Direction des Déchets de Clermont Métropole, le Valtom, La Coulisse, les Femmes de Mars…)
Le festival Auvergreen est également une démarche innovante avec une production sobre et engagée. Il propose des grosses têtes d’affiche, tout en mettant en place un village avec des conférences, des ateliers autour des enjeux écologiques. L’étonnant Festin est aussi un événement avec une vraie dimension éco-responsable, citoyenne et militante. Je pense que dans les années à venir, les propositions de ce type vont se multiplier.
Tu as mentionné plusieurs fois la notion de citoyenneté dans la production d’événements éco-responsables. Quelle est la place du citoyen dans la transition des Industries Culturelles Créatives ?
Il est aujourd’hui essentiel de mettre en place une démarche RSE au sein des structures. Pour autant, le principal levier, c’est le public qui assiste aux événements. On doit avant tout réfléchir à la manière dont on peut les embarquer. Il faut leur faire prendre conscience qu’ils ont un rôle à jouer, que ce soit à travers des actions de prévention ou de sensibilisation.
En amont d’un festival, par exemple, on peut expliquer les engagements à travers de la communication ciblée. Ensuite, sur place, on peut monter des conférences, des stands de prévention ou encore des ateliers et essayer d’éveiller les consciences.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?
Il y a sur nos territoires, de formidables initiatives qu’il faut encourager. Pendant, longtemps, on a beaucoup travaillé en silo. Il faut aujourd’hui réfléchir à la manière dont on peut réunir toutes ces énergies et ces savoir-faire. Je pense que la clé de la réussite est dans notre capacité à travailler ensemble pour proposer une offre culturelle innovante qui prenne en considération les enjeux sociétaux et écologiques et qui renforce les acteurs locaux.