Entretien avec Olivier Blanchon, auteur et game designer, cofondateur de Lyvre, une plateforme de lecture immersive.
À la croisée du livre et du numérique, Lyvre veut réinventer l’expérience de lecture. L’idée : conserver le plaisir de lire, mais y ajouter des sons, des images et des effets visuels pour renforcer l’immersion. Derrière ce projet, une petite équipe éclatée entre Clermont et le Nord, qui combine écriture, game design et nouvelles technologies. Rencontre avec Olivier, qui raconte son parcours et la genèse de cette aventure.
Vous avez un parcours assez atypique. Est-ce que vous pouvez nous raconter d’où vous venez et comment vous en êtes arrivé là ?
Je m’appelle Olivier, j’ai 46 ans. Je suis né à Clermont-Ferrand mais j’ai beaucoup bougé pendant mon enfance, mon père changeait souvent de région pour son travail. J’ai fini par revenir volontairement à Clermont pour mes études. J’avais commencé par les maths, mais ça ne s’est pas très bien passé, alors j’ai bifurqué vers l’informatique. J’ai fait un DUT en développement mais, dans la vie professionnelle, je me suis orienté vers le réseau. Finalement ça me convenait bien : j’étais plus au contact des gens que seul derrière un écran. J’ai travaillé une vingtaine d’années dans ce domaine, jusqu’au moment où j’ai eu envie de changer.
En parallèle, j’écrivais. Depuis mes 20 ans, je publie de la fantasy, d’abord en autoédition, puis avec une petite maison spécialisée, Faralonn, qui n’existe plus aujourd’hui. J’ai toujours eu cette double vie : un métier stable dans l’informatique, et l’écriture comme passion. Quand la maison d’édition a fermé, je n’ai pas renoncé, au contraire. C’est aussi ce qui m’a poussé vers l’entrepreneuriat.
Vous êtes aussi passé par le game design. Comment ?
Il y a quelques années, j’ai décidé de me reconvertir. Le jeu et le game design, je le pratiquais déjà en amateur depuis longtemps. J’ai suivi un bachelor en ligne, chez Artline, qui m’a permis de valider mes compétences. Aujourd’hui j’ai une micro-entreprise et je travaille sur plusieurs supports : jeux vidéo, jeux de société, jeux de rôle, escape games. Ma spécialité, c’est la narration. Je crée des scénarios, des énigmes, je travaille sur l’expérience vécue par les joueurs.
C’est ce fil conducteur qui relie mes parcours : l’écriture, l’imaginaire, la conception d’expériences.
Vous êtes donc à la fois auteur, éditeur et game designer. Comment est née l’idée de votre projet autour du livre ?
Elle est née avec deux amis rencontrés dans l’univers de l’édition. Avec eux, nous avons monté une petite maison d’édition, les Éditions Tesseract, il y a deux ans. Très vite, nous avons constaté la difficulté à se faire une place dans le monde du livre : les librairies sont saturées de références, et les grands groupes sont privilégiés. Même des librairies indépendantes qui nous soutiennent nous disent qu’elles n’ont pas la place d’accueillir tout le monde.
Nous avons alors décidé de réfléchir à une autre manière de publier et de lire. L’un de mes associés, Julien Larzillière, est président du groupe Tercium, spécialisé dans le numérique. Avec Guillaume Reynaert, également auteur, nous nous sommes demandé : comment peut-on utiliser la technologie pour redonner envie de lire et proposer quelque chose de nouveau ?
Est-ce que vous pouvez me pitcher “Lyvre” ?
Lyvre, c’est une manière de réinventer la lecture sans l’abandonner. On ne remplace pas les pages par de l’audio, on garde l’acte de lire, mais on y ajoute des sons, des images, des effets visuels. L’idée est de plonger le lecteur dans une expérience plus immersive, tout en permettant aux auteurs de trouver un espace où publier et être rémunérés. »
Concrètement, comment ça va fonctionner pour un lecteur ?
On reste sur une expérience de lecture. Le texte s’affiche sur l’écran — ordinateur, tablette ou téléphone — et c’est le lecteur qui choisit son rythme. Il peut ralentir, accélérer, mettre en pause. Et au fur et à mesure, viennent s’ajouter des éléments : une musique, un bruit de porte qui claque, un effet visuel qui fait trembler un mot. L’idée, c’est de renforcer l’immersion sans remplacer la lecture.
Et pour un auteur, comment ça se passe ?
Il y a un outil qu’on appelle “constructeur d’histoire”. En gros, il met son texte en ligne et il peut décider d’ajouter des médias à certains passages : une ambiance sonore, une image, un effet de texte. On fournit déjà une banque de sons, de musiques et d’images libres de droits. L’auteur peut aussi importer ses propres créations, tant que les droits sont respectés. Et de notre côté, on fait la modération : pas de plagiat, pas de contenus hors cadre légal. La communauté pourra aussi signaler ce qui pose problème.
Est-ce que l’intelligence artificielle intervient dans tout ça ?
Pas pour le moment. On n’a pas encore intégré de système qui suggère automatiquement où mettre un son ou une image. Mais on n’exclut pas que ça arrive plus tard, selon les retours des bêta testeurs.
Et le modèle économique, comment se met-il en place ?
C’est un système d’abonnement, côté lecteurs comme côté auteurs. Les lecteurs peuvent lire gratuitement une partie des textes ou s’abonner pour accéder à tout. Les auteurs peuvent publier gratuitement de manière limitée, ou prendre un abonnement premium qui leur permet de publier sans contrainte et d’entrer dans le système de rémunération. L’idée, c’est de reverser 98 % des abonnements lecteurs aux auteurs, en fonction du nombre de lectures.
Vous parlez aussi de débouchés hors du livre : entreprises, écoles…
Oui. Mon expérience en game design m’amène à concevoir des expériences pour d’autres contextes. Je crée par exemple des escape games sur-mesure pour des entreprises qui veulent un team-building différent, adapté à leur culture. Dans les écoles, j’anime des ateliers où les élèves créent leurs propres jeux de société autour d’un thème. C’est très formateur et très concret : découper, dessiner, manipuler.
Tout cela nourrit aussi ma réflexion sur le livre : comment on apprend, comment on transmet, comment on rend une expérience marquante.
Où en est le projet aujourd’hui ?
Nous avons lancé une campagne de financement participatif sur Ulule. L’objectif est d’atteindre 5 000 euros pour financer les premiers pas : payer les serveurs, les graphistes, les juristes, sécuriser les auteurs. La plateforme est déjà fonctionnelle pour un bêta test, mais nous voulons l’améliorer avant l’ouverture.
Au bout de cinq jours, nous avions déjà atteint près de 50 % de l’objectif. La campagne dure 35 jours, et nous espérons passer ensuite en phase bêta, avec des premiers auteurs et lecteurs. Nous visons un lancement public autour de mars 2026.
Vous parlez de bêta testeurs : qui pourra participer ?
Nous voulons les deux publics : auteurs et lecteurs. Les auteurs qui soutiennent la campagne seront les premiers à tester la plateforme et donc les premiers rémunérés. Les lecteurs pourront donner leurs retours sur l’expérience : vitesse de lecture, qualité des médias, suggestions d’amélioration. C’est essentiel : nous savons que nous n’avons pas toutes les réponses, et nous voulons co-construire avec les utilisateurs.
Y a-t-il déjà des projets concurrents ?
Pas directement. Le plus proche, c’est Wattpad, mais sans immersion. Sur la partie sonore et visuelle, il n’existe pas vraiment d’équivalent. Bien sûr, il y a le livre audio, mais c’est un autre usage : on écoute, on ne lit plus. Nous voulons vraiment préserver l’acte de lecture.
Dernière question : qu’aimeriez-vous que les lecteurs retiennent de votre démarche ?
Que c’est le début d’une aventure collective. On démarre petit, mais on imagine grand. La lecture traverse une période d’effervescence, et nous voulons y contribuer sans abandonner ce qui fait sa valeur. Lire reste essentiel, pour l’imaginaire, pour l’apprentissage, pour le plaisir. Si nous arrivons à donner envie de lire à des gens qui avaient décroché, ou à offrir à des auteurs une nouvelle manière d’exister, ce sera déjà une belle réussite.