Transmission, stéréotypes et quête de sens … la question de l’intégration des générations tend en fait un miroir pour toute l’entreprise. Et si parler de transmission, c’était surtout parler d’organisation du travail pour toutes les générations ? La jeunesse serait en rupture avec le monde du travail. Moins investie, plus exigeante, avide de sens, peu fidèle, difficile à manager… Ce sont les stéréotypes qu’on entend en boucle. Mais à y regarder de plus près, ces clichés ne tiennent pas. Les jeunes ne rejettent pas le travail : ils questionnent ce qu’il est devenu. Et ce qu’ils expriment à travers leurs attentes, leurs refus ou leurs parcours en zigzag, ce n’est pas un caprice générationnel, c’est un miroir tendu à tous. C’est toute l’entreprise qui est concernée par les transformations du rapport au travail. Et ce n’est pas l’âge qui crée les tensions, ce sont les représentations. Et, bonne nouvelle, elles se déconstruisent.
C’était l’objet de la soirée Thema récemment co organisée par le MEDEF et Clermont School of Business: “Favoriser la transmission intergénérationnelle des savoirs : un levier de performance pour les entreprises”. Un sujet apparemment RH, mais qui touche aussi à la culture managériale, à l’attractivité, et au sens que chacun donne à son travail.
Un rapport au travail pas si différent
Les études récentes ne manquent pas. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’enquête Apec x Terra Nova (par Harris Interactive 2024) le montre clairement :
- 47 % des jeunes actifs considèrent que leur travail est aussi ou plus important que les autres sphères de leur vie – un score identique à celui des 30-44 ans
- Ils sont 89 % à vouloir progresser, 80 % à chercher plus d’autonomie, et 69 % à viser plus de responsabilités
- Et contrairement aux idées reçues, 83 % d’entre eux acceptent les décisions hiérarchiques, par principe ou parce qu’ils les comprennent
Mêmes attentes fondamentales que les autres générations : une rémunération juste, un travail intéressant, un bon équilibre vie pro/perso. Le vrai clivage n’est donc pas générationnel, il est culturel et organisationnel. Toutes les générations cherchent du sens, un bon salaire, un cadre convivial. “Vouloir répondre aux attentes de chaque génération, c’est une erreur”, résume une intervenante. Le vrai enjeu, c’est de faire cohabiter, et surtout collaborer, toutes les générations.
Les stéréotypes assignent… et bloquent
“Flemmards”, “irrespectueux de la hiérarchie” pour les jeunes. “Lents”, “rigides” pour les plus âgés. Ces stéréotypes sont puissants, mais souvent infondés. Odile Menneteau, du Medef, rappelle qu’en réalité, les seniors sont des atouts sous-exploités, et les jeunes veulent simplement qu’on leur fasse confiance.
Chez Michelin, on forme tous les managers à la déconstruction des biais : genre, âge, origine. Sophie de Villepin (responsable diversité et inclusion) insiste : “Ce n’est pas l’âge qui compte, c’est l’attention portée à chacun.”
Une formation obligatoire sur les stéréotypes est proposée à tous les managers. L’idée : ne pas catégoriser, mais considérer les individus dans leur diversité. La question centrale devient alors : comment chacun peut trouver sa place et se sentir reconnu ?
Alternance, binômes, mentoring : des formats qui réconcilient
Sur le terrain, ce sont souvent des dispositifs simples qui font la différence. Chez Dafy Moto, des équipes intergénérationnelles ont été créées pour favoriser l’innovation, tout en conservant l’expertise. Chez McDonald’s, où 95 % des salariés ont moins de 30 ans, l’enjeu est d’accompagner la montée en compétences : binômes, formation au leadership, semaine de 4 jours pour les managers. L’objectif : que chacun progresse à son rythme, sans attendre une ancienneté symbolique.
Autre levier efficace : le reverse mentoring. Des jeunes formant des cadres expérimentés sur les outils numériques, par exemple. Mais avec un bémol : mal pensé, cela peut renforcer les clichés plutôt que les déconstruire. Là encore, tout dépend de l’intention. Comme le dit un DRH invité à la conférence : “Transmettre, c’est aussi laisser de la place à la critique.”
Le mentorat plus largement est un des outils de l’inclusion à disposition des RH. Il constitue un levier efficace pour corriger des inégalités, notamment sociales dans ses composantes dédiées à la jeunesse (lire notre article). Il vit aussi de beaux jours en entreprise, mobilisé à la croisée des chemins des politiques diversité des RH et des démarches RSE. Pour Yahir Mimoum, de l’EMCC, c’est un « rayon de soleil sur la société, qui montre que la solidarité intergénérationnelle, l’entraide, l’humanité de chacun s’expriment quand on leur en laisse la place » (lire notre article).
Ce que cela dit de notre rapport au travail
Ce qu’on entend à travers ces récits n’est pas un ‘problème de jeunes’. C’est une crise de la relation au travail. Une méfiance, transmise parfois d’une génération à l’autre, face à des promesses non tenues : licenciements, conditions dégradées, management brutal. Le podcast LSD – Travailler quand même (France Culture) illustre bien ce questionnement.
Ce que veulent les jeunes ? Un cadre clair, des perspectives, de l’autonomie, et surtout qu’on tienne parole. L’entreprise comme lieu d’apprentissage, d’engagement et de reconnaissance. Pas forcément un projet de vie, mais un espace d’évolution. Et là-dessus, toutes les générations sont concernées.
Ce que disent les jeunes, ce que ça révèle
Dans le livre blanc “Recettes humaines” du MEDEF, l’anthropologue Élisabeth Soulié résume :
“Les jeunes ne cherchent pas une carrière, mais un lieu d’épanouissement. Un espace tribal où le lien compte plus que la fonction.”
Ils veulent un contrat clair, réciproque, incarné. Ils fuient les fausses promesses, les bullshit jobs, les systèmes sans horizon. Et Élodie Gentina complète » La culture Z n’est pas réservée aux jeunes. Elle est partagée par tous ceux que les crises ont traversés. Les jeunes ne sont pas si différents, ils parlent plus fort. »
Conclusion : réparer le travail, ensemble
Penser la transmission intergénérationnelle, ce n’est pas un gadget RH. C’est interroger la manière dont on fait travailler ensemble des personnes d’âges, de vécus, et de rythmes différents. C’est aussi remettre du dialogue, du temps, et de la reconnaissance au cœur des collectifs. Au fond, parler du rapport des jeunes au travail, c’est parler des conditions de travail pour tout le monde. C’est interroger l’écoute, le rythme, la confiance, l’autonomie, la reconnaissance. Ce que la génération Z exprime, les autres le vivent souvent en silence. Et si la vraie transformation à engager était là ? Non pas inventer une “gestion des générations”, mais repenser le collectif de travail. Moins d’étiquettes, plus de relations. Moins de catégories, plus d’individus. Moins de promesses, plus de preuves.
Ce n’est donc pas seulement une affaire de performance. C’est une manière de reconstruire du commun, à l’heure où l’individualisation du travail fragilise les liens. Et si la jeunesse posait les bonnes questions… pour tout le monde ?