Premier épisode d’une série de 5 émissions consacrées aux grands enjeux de résilience du territoire et du rôle que peuvent jouer les entreprises réalisée par Le Connecteur, en collaboration avec Sens 9 et avec le soutien de Clermont Auvergne Métropole. Objectif de cette série : contribuer à rapprocher les mondes et donner à entendre des initiatives collaboratives bénéfiques, reproductibles et intensifiables. Le thème du jour, régénérer la biodiversité.
Les invités : Mathieu Clément, chef de projet- LPO Auvergne-Rhône-Alpes, Céline Chouzet Responsable communication, vie associative et mécénat, Conservatoire des Espaces Naturels, Frédéric Mally pour le Clos Mally, la société Agradis, entreprise paysagiste d’insertion représentée par Guillaume Fontanon, la Grande Halle, représentée par Arnaud Combes, cliente d’Agradis, le cabinet d’architecture CRR, représenté par Thomas Jonquères et Jean-Marie Vallée, Vice-Président en charge de l’alimentation, de l’agriculture, de la biodiversité et des espaces naturels de la Métropole. [Ecouter l’intégralité du podcast]
La CSRD: nouveau levier pour activer l’engagement des entreprises
C’est Marie Forêt qui explique l’évolution du contexte réglementaire.”Aujourd’hui, au niveau européen, il y a ce qu’on appelle la CSRD, ou Corporate Sustainable Reporting Directive, qui exige que les entreprises de plus de 200 salariés publient un rapport de durabilité, incluant leurs impacts sur la biodiversité.(Dans les années à venir, elle va concerner jusqu’aux entreprises de 50 salariés et qui ont 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros au bilan.) Ce rapport de durabilité va porter, entre autres, sur les impacts sur la biodiversité, non seulement sur leurs sites mais aussi dans leur chaîne de valeur et dans la manière dont elles fournissent une activité, un produit ou un service.
Elles devront analyser leur chaîne de valeur, leur dépendance à la biodiversité, leurs impacts, et ensuite, elles devront s’engager à produire un plan d’action pour réduire ces impacts en suivant la séquence éviter, réduire, et compenser. C’est aussi une opportunité de voir comment elles peuvent en faire des activités qui ont du sens, qui permettent d’associer des parties prenantes et de se transformer de manière bénéfique.
Des collaborations entre “univers” qui s’accélèrent et apportent du sens
Pour Jean-Marie Vallée (Clermont Métropole), la collaboration est déjà riche, avec le Conservatoire des Espaces Naturels, la LPO et d’autres associations naturalistes. La mise en oeuvre de l’Alliance au niveau de la Métropole, rassemblant collectivités locales et entreprises, pour avancer sur les enjeux de biodiversité et de changement climatique devrait encore s’intensifier. Par ailleurs, le Plan Local d’Urbanisme (PLU) en cours de révision est l’un des grands axes pour progresser. Il comporte des objectifs tels que la végétalisation des sols ou le zéro artificialisation nette des surfaces, en préservant davantage de zones agricoles et naturelles. Par exemple, les zones d’activité, souvent à la périphérie des villes, sont des lieux stratégiques pour la gestion commune de grands espaces, permettant de préserver des corridors biologiques et de maintenir une richesse en biodiversité. Il faut adopter une approche spécifique.
Si le monde associatif et le monde de l’entreprise communiquaient peu historiquement, la dynamique de collaboration avec les entreprises s’est vraiment développée au cours des dix dernières années.
Petites et grandes entreprises
Depuis les années 90, le CEN identifie des secteurs à enjeux naturels forts et collabore avec des entreprises via l’animation foncière. Les entreprises et leurs collaborateurs attendent de plus en plus des structures qu’elles apportent du sens à leurs actions. Les modes d’intervention par le biais du mécénat se développent aussi, avec des entreprises soutenant des projets locaux et nouant des liens de proximité. “Ce ne sont plus seulement les grandes structures qui s’engagent, mais aussi des entreprises de toutes tailles et secteurs, reflétant une philosophie de contribution au bien commun.” Céline Chouzet.
Selon Mathieu Clément, la LPO est sollicitée par des entreprises, des collectivités et des bailleurs sociaux pour des diagnostics et des états des lieux en faveur de la biodiversité, avec des actions évaluées sur 3 à 5 ans. La demande pour des actions en biodiversité est en augmentation. Elles nécessitent du temps pour mettre en place des indicateurs et évaluer les résultats, permettant ainsi de maintenir et d’augmenter la biodiversité sur le long terme.
RÉGÉNÉRER LA BIODIVERSITÉ: ÉCLAIRAGES D’ENTREPRISES
L’engagement : un ressort individuel à partager
Frédéric Mally est la 3ème génération de patrons du Clos Mally. Il a adopté une démarche écoresponsable complète, avec 8 leviers d’actions. D’abord, mesurer ses émissions, les réduire, les compenser, adopter le zéro pesticides, privilégier la proximité, les partenariats, et créer des espaces naturels préservés. Il raconte.
“En 2018, j’ai entendu un rapport du WWF sur la baisse de 60 % des mammifères, oiseaux et amphibiens. Cela m’a choqué et j’ai décidé de faire quelque chose. J’ai rejoint le Club Entreprendre pour la Planète et appris beaucoup sur les émissions de carbone et la biodiversité. J’ai ensuite mis en place plusieurs actions au sein de l’entreprise, comme éviter les plastiques, passer en soja français pour éviter la déforestation importée. Mais après avoir évité et réduit, je me suis dit il faut compenser. J’ai donc acheté un terrain de 55 hectares pour créer un espace naturel protégé, avec l’aide du Conservatoire des Espaces Naturels.
Pour moi, l’enjeu porte sur deux axes principaux, la séquestration de carbone et la préservation de la biodiversité. Pour le carbone, c’était simple il fallait tout laisser en l’état, laisser en libre évolution, à l’image du projet de renaissance de forêts primaires en Europe de Francis Hallé. La LPO a réalisé un inventaire des espèces sur ce terrain et je me réjouis à chaque fois que j’en identifie une nouvelle. Et bien sûr, je suis devenu refuge LPO. J’ai d’ailleurs un attachement particulier pour un crapaud très rare, le sonneur à ventre jaune, dont les pupilles ont la forme d’un coeur.
Choisir les approches adaptées
Guillaume Fontanon, lui, est conducteur de travaux chez Agradis, une entreprise adaptée, spécialisée dans la création, l’entretien des espaces verts et des plantes d’intérieur. Depuis une dizaine d’années, ils collaborent avec la LPO et le CEN. “En tant que paysagistes, nous sommes bien placés pour intégrer la biodiversité dans notre travail. Je dirais même que c’est ce qui lui donne vraiment du sens. Nous abordons l’entretien avec ce prisme de la biodiversité. Nous essayons de sensibiliser nos clients à la biodiversité et de proposer des solutions adaptées, comme l’utilisation d’essences locales adaptées au réchauffement climatique. Avant une tonte ou une taille, on s’interroge sur la pertinence du moment, nous faisons attention à la nidification des oiseaux, pratiquons la fauche raisonnée et utilisons l’éco-pâturage, comme ici, sur le site de la Grande Halle où 60 moutons pâturent.”
Arnaud Combe, DG de la Grande Halle d’Auvergne, abonde. “Nous avons choisi Agradis car ils répondaient parfaitement à nos critères de développement durable. Nous avons développé plusieurs actions, comme la fauche raisonnée tardive, qui permet de voir réapparaître la biodiversité sur nos sites: d’abord les insectes et les oiseaux mais aussi des lapins et même des sangliers ! D’ailleurs, ils font des dégâts sur nos clôtures. Ce qui nous amène à envisager de prévoir des corridors pour laisser migrer ces animaux. Bref, cela génère plein de nouvelles idées et d’axes de progrès.
Sensibiliser – sensibiliser – sensibiliser
Parce que bien évidemment, il y a la dimension réglementaire qui oblige. Mais il y aussi les clients qui poussent et, c’est très important, les équipes qui ont besoin de voir le sens de leur travail et le respect de leur valeur.
CRR est une agence qui a toujours été intéressée par les questions d’architecture environnementale. “Nous avons initié une démarche pour développer des projets prenant en compte la biodiversité, la gestion de l’eau et la restitution des sols, notamment avec le lycée Gergovie à Clermont. Nous avons noué une convention avec la LPO pour un projet de revitalisation d’une zone commerciale à Clermont, incluant une démarche de renaturation et de sanctuarisation d’une partie du site pour la biodiversité. Cela nous permet de pousser les curseurs au maximum pour des projets bénéfiques pour l’environnement.”
L’enjeu finalement est celui de l’éducation. Pour intégrer la biodiversité et la protection de l’environnement, une bonne compréhension facilite la modification des habitudes et des façons de faire. Certains outils aident à faire ce travail pédagogique.
“Le nouveau Plan Local d’Urbanisme (PLU) par exemple, nous permet d’expliquer à nos clients l’importance de préserver certains terrains et d’en renaturer d’autres. Il est parfois compliqué de faire comprendre que la valeur environnementale d’un terrain peut surpasser sa valeur foncière pure. Le nouveau PLU est un outil crucial pour les architectes.”
LES CONSEILS POUR AGIR
En faire un sujet stratégique de l’entreprise
Pour intégrer la biodiversité à la stratégie d’entreprise, il faut analyser les risques liés au métier et à la chaîne de valeur, identifier ses vulnérabilités. Souvent, la dépendance de l’entreprise à ces enjeux est sous-estimée. Les entreprises doivent jouer un rôle clé dans la régénération de la biodiversité, ce qui nécessite une volonté collective des collaborateurs et de la direction. Investir dans la sensibilisation et éviter les solutions de facilité est crucial.
Mobiliser ses équipes
Créer de l’émulation autour des projets environnementaux, tant pour la clientèle que pour le personnel, est un excellent point de départ.Comprendre la nature aide à saisir l’urgence climatique. La sensibilisation de tout le personnel est essentielle, leur permettant de proposer des idées pour des projets porteurs de sens. En entreprise, cela peut améliorer constamment les pratiques et donner une forte dimension collective et du sens aux projets.
Une nécessaire révolution culturelle
Une révolution culturelle est nécessaire pour sensibiliser aux enjeux de biodiversité. Les acteurs (entreprises, associations) évoluent souvent avec des vocabulaires et des temporalités différents, ce qui crée des décalages et des frustrations. Les entreprises agissent rapidement, tandis que le travail avec le vivant suit des rythmes plus lents. Toutefois, en collaborant sur le terrain, il est possible de trouver des terrains d’entente et de développer un vocabulaire commun.
Considérer les services systémiques : plus complexes à appréhender
En effet, pour Jean Marie Vallée, il faut se souvenir d’abord que les écosystèmes sont interconnectés, incluant le sol, l’air et la qualité de l’eau. La préservation de la biodiversité assure donc des services écosystémiques indispensables. Et si cela parle d’avantage, on peut aussi l’aborder sous l’angle économique. La pollinisation est essentielle pour les rendements agricoles. La préservation des sols aide à épurer l’eau. Ainsi, on évitera des coûts de traitement de l’eau, des usines à construire ou des drônes pollinisateurs de vergers à fabriquer. Protéger la biodiversité est une opportunité, pas une contrainte. Investir dans la biodiversité est bénéfique pour l’avenir. Il est crucial de sensibiliser les citoyens à l’importance des sols, des végétaux et de la nature en général, y compris en milieu urbain.
Etre accompagné
De nombreux acteurs peuvent accompagner les TPE, PME. Il faut surtout ne pas rester seul. Elles peuvent contacter le Conservatoire des espaces naturels, la LPO, ou des associations similaires pour des conseils, des diagnostics et des idées d’actions, … Elles peuvent aussi chercher d’autres pairs, acteurs naturalistes, consultants, conseillers pour une démarche d’intérêt général pour partager expériences et problématiques, comme le Club de la LPO ou la Convention des entreprises pour le climat ….
Et … faire de la place à la joie
« C’est aussi un véritable plaisir de travailler sur ces initiatives au quotidien. Il ne faut pas oublier le plaisir et le fun que ces sujets peuvent apporter. Il y a une véritable joie à découvrir et à s’engager pour la nature. »
Frédéric Mally
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