Sens 9, Clermont Auvergne Métropole, des associations œuvrant dans le domaine environnemental au sens large et Le Connecteur s’associent pour produire ensemble une série d’émissions à destination des entreprises. Leur but ? Autour du travail mené par l’association Sens 9 sur les grands enjeux de transition écologique et de résilience territoriale, tels que l’eau, les déchets, la biodiversité, … et en prenant appui sur des associations de référence, éclairer ce que les TPE / PME, celles qui n’ont pas forcément de ressources internes dédiées à la RSE, engagent comme transformation et avec quelles collaborations.
Pour bien appréhender le contexte, on fait le point avec Marie Forêt, consultante, Un pas de côté, et Virginie Rossigneux, coach, L’homme qui marche, cofondatrices de l’association Sens 9 qui dresse son bilan.
Marie Forêt et Virginie Rossigneux: appréhender la complexité et pousser à l’action
Marie Forêt, appréhender la complexité pour aller vers des changements de pratiques
Aujourd’hui, je suis consultante en stratégie d’entreprise, RSE et biodiversité. Je suis ingénieure agronome de formation, avec une spécialisation en sciences du sol et écologie forestière. Ce qui m’a guidée est sans doute le fait que j’aime comprendre comment fonctionnent les lieux où je vis, les liens entre humain, vivant, milieux, écosystèmes … Je trouve fascinante la science du sol que l’on peut imaginer comme un roman policier ! Le sol dans ses couches révèle plein d’indices qui racontent d’où il vient, ce qui s’est passé et même où il va. J’anime d’ailleurs une nouvelle fresque du sol.
Dans mon parcours, je suis passée de la forêt à la filière bois puis aux enjeux territoriaux. Cette notion de dynamique territoriale m’a beaucoup intéressée. Je l’ai expérimentée en travaillant pour différents niveaux de collectivités, des mairies jusqu’au Massif Central avec la structuration de la filière Bois du Massif Central. Je trouve très stimulant de partir de problématiques écologiques pour aller vers des notions de développement territorial et d’économie.
De plus, la forêt est souvent vue comme une solution à la crise climatique. C’est vrai, mais il faut aussi qu’il y ait un vrai questionnement, une compréhension du fonctionnement; parce que, parfois, c’est tout l’inverse. Et c’est tout ce que je cherche à faire, aider les dirigeants à comprendre, appréhender la complexité, les enjeux pour aller vers des changements de pratiques.
Virginie Rossigneux, redonner de la fluidité à des situations collectives complexes
Je suis coach, Gestalt praticienne et formatrice en entreprise. J’ai toujours accompagné, d’abord avec la danse thérapie, des individus, des enfants, des personnes âgées, et depuis plus de 13 ans, je me suis spécialisée dans le coaching en entreprise.
Être en mouvement est mon crédo. Personnellement j’ai besoin de sentir le mouvement dans ma vie quotidienne aussi bien au travers de mes actions que dans mes interrogations intérieures et mes prises de conscience. Je suis une accompagnante curieuse, qui n’a pas peur d’aller dans des mondes différents et j’apprends autant sur moi-même que sur les autres, grâce à mes clients, mes patients, mes amis ou ma famille. J’aime dépoter et redonner de la fluidité à des situations collectives complexes d’où mon engagement dans Sens 9.
Le déclencheur de la création de Sens 9 : l’envie d’agir autrement
Clairement, le déclencheur c’est la crise Covid et le confinement. Cette période a été incroyable, elle a généré énormément de questionnements, de doutes, de perte de sens et … d’envie d’agir autrement. On est un certain nombre à s’être demandé ce qu’on allait faire avec ce qui nous arrivait et quel sens donner à nos activités, à nos vies.
La création de Sens 9 a émergé de la mise en commun de ces envies d’agir avec une dizaine de “pionniers”, entreprises ou personnes physiques, qui partageaient cette volonté d’imaginer un autre monde, avec une dimension territoriale et collective forte.
L’objet de Sens 9 est de proposer un cadre pour travailler ensemble à la transition écologique sous un angle de résilience territoriale. C’est à dire que lorsqu’on identifie des enjeux et des problématiques communes, une réflexion s’engage pour mieux agir ensemble, s’y préparer à l’échelle à la fois de l’entreprise et du territoire. Cette approche collective est très particulière: ce qui a un impact sur le territoire génère une nécessaire réponse collective. Elle se prépare aussi en donnant de l’inspiration et de la confiance: c’est le sens de cette série d’émissions.
Mobiliser les TPE & PME
Clermont Auvergne Métropole avait besoin d’un état des lieux de maturité des TPE/PME en termes d’enjeux environnementaux et de résilience territoriale. C’est ce qui nous a conduit à faire alliance. Nous avons lancé un programme d’entretiens qualitatifs avec 25 chefs d’entreprises, TPE et PME, du territoire métropolitain pour construire un diagnostic plus structuré. Il n’a pas de valeur statistique mais contribue en revanche à une meilleure compréhension et connaissance de leurs sujets de préoccupation.
L’idée était qu’elles soient de profils variés, engagées ou pas en matière de RSE, de tous secteurs, qu’elles aient au moins 5 ans d’existence. Le but étant de creuser avec elles le sujet de leur engagement RSE, de leur capacité de mise en mouvement et enfin de leur ancrage territorial.
Pour les sélectionner, nous avons simplement lancé un appel dans différents réseaux d’entreprises. Finalement, notre échantillon est effectivement assez varié. Nous avions des commerces, des entreprises du bâtiment, une banque locale, une entreprise productrice d’électricité, une du secteur des transports, une de location de vélo, des sociétés d’informatique, des acteurs des industries culturelles et créatives, des hébergeurs, … Ensemble, elles représentent 4000 salariés sur le territoire.
ISO 26000, un cadre structurant
Nos entretiens étaient structurés autour des thèmes de la norme ISO 26000 de la RSE : la gouvernance, les relations et conditions de travail, l’environnement et l’écologie, les consommateurs et clients, le territoire et l‘implication locale, les produits et services et enfin, la posture par rapport aux changements, la prospective et l’innovation. Nos questions devaient permettre à la fois de mesurer le degré de maturité en matière de RSE (par exemple, l’entreprise a-t-elle réalisé un diagnostic sur ses émissions de GES, suit-elle sa production de déchets, …) et d’identifier les difficultés principales. Nous avons par exemple exploré l’existence formalisée de projets d’entreprise, de valeurs, de stratégie RSE… Nous avons questionné la perception des conséquences du changement climatique sur leurs modèles économiques, sur leurs réseaux relationnels et leur implication locale, sur leur projection dans l’avenir.
Ces échanges permettent de faire émerger un état d’esprit.
Résultats : dichotomie entre l’entrepreneur et le citoyen
Nos échanges ont toujours eu lieu exclusivement avec des chefs d’entreprises. Ce qui était frappant, c’est la forme de dichotomie qu’ils décrivaient entre leurs statuts d’entrepreneurs et d’habitants-citoyens du territoire. Les convictions du citoyen et ses leviers d’action sont souvent difficiles à traduire dans l’entreprise. Et l’autre élément marquant, ce serait le très fort attachement à l’Auvergne.
En vision macro, on identifie des catégories d’entrepreneurs différentes selon leur position par rapport à la crise écologique : les découragés, les paniqués, les philanthropes (engagés pour des convictions de fond) et les businessmen (engagés pour des motivations financières) et aussi par leur rapport au territoire entre ceux qui veulent ardemment contribuer et ceux qui sont plutôt consommateurs; Globalement, la majorité des entrepreneurs se repartit à part égale entre philanthropes et businessmen.
Des dizaines de sujets de préoccupation sont ressortis. Ils ont ensuite été hiérarchisés lors d’ateliers collectifs.
Cinq grands thèmes sensibles
Les axes d’amélioration que nous avons pu identifier portent principalement sur
- La relation aux parties prenantes, en particulier le lien aux consommateurs et clients. Il s’agit de tenir davantage compte des besoins et exigences des clients, voire de repenser un modèle économique, tout en ayant une démarche durable.
- La gouvernance avec notamment la capacité à partager la réflexion sur la prise en compte de la transition écologique et la résilience territoriale dans le projet global de l’entreprise, notamment avec les salariés
- La mise en place d’une démarche RSE qui redéfinisse raison d’être et valeurs et s’attache à définir les impacts, les préciser, les éviter et les réduire.
- La prise de conscience de la responsabilité de l’entreprise à l’égard de son territoire, notamment sur les questions d’attractivité (recrutement, qualité de vie, préservation de l’environnement, …)
A partir de l’analyse de ces sujets, nous avons identifié cinq thèmes de clubs, l’attractivité, les modèles économiques, les impacts environnementaux, le numérique responsable et la mobilité. Le principe était d’y intégrer les entreprises volontaires et concernées par un sujet et de travailler en intelligence collective à identifier les leviers actionnables pour engager une transformation. Ce sont ces thèmes que nous avons utilisés pour construire la série des 5 émissions. Le but : croiser les regards, identifier les partenaires possibles, partager les expériences et les freins à lever.
Chaque semaine, à partir du 16 septembre, un nouvel article
- Régénérer la biodiversité: du temps et de la joie
- Comment les PME du Puy-de-Dôme mobilisent leurs équipes pour la transition écologique
- Relocaliser l’alimentation: retisser tous les maillons
- BTP durable : Pourquoi et comment les PME et TPE peuvent adopter le réemploi
- La transition des ZAE : à petits pas vers un modèle plus coopératif et durable
De la difficulté du collectif
Virginie Rossigneux: « Nous sommes depuis plus d’un siècle organisés collectivement selon des critères de libéralisme, d’égalité sociale, de travail, de croissance et de bien être individuel. Sur ce fond d’individualisme qui configure tout autant les entreprises que les individus, il est devenu difficile de partager de l’entraide avec l’entreprise voisine en dehors d’un profit de croissance ou de bien-être individuel. A cela s’ajoute la difficulté de collaborer avec ce qui est étranger à sa culture (d’entreprise) car il faut aligner les planètes de valeurs et de rôles. On obtient alors un bon combo de difficultés, de freins, de peurs sociales et sociétales et de “à quoi bon”. »
Dans une entreprise l’engagement collectif se fédère autour de valeurs, d’objectifs atteignables et de périmètre, de rôle que chacun a vis-à-vis des autres.
Dans le cas de Sens 9, nous partions d’une feuille vierge où, non seulement, il nous fallait coconstruire les objectifs et les moyens communs mais aussi les rôles que chaque entreprise se prêtait à jouer vis-à-vis de sa copine d’à côté pour qu’une orchestration harmonieuse puisse produire sa symphonie.
Des ressources limitées
Si je regarde du côté des ressources, j’ai observé à quel point les représentants des entreprises avec lesquels nous avons travaillé étaient authentiquement concernés et touchés par la dimension sociale et collective de la problématique des effondrements du système terre.
Ils partageaient tous cette conviction que le bien-être individuel allait de pair avec le bien-être collectif. Si maintenant je regarde du côté des freins, chacun avait du mal à identifier ce qu’il gagnerait à s’investir dans un projet inter-entreprise, ce qui est tout naturel dans une posture libérale où le temps se monnaie mais surtout la question des rôles, des places, des périmètres entre eux, des frontières portaient rapidement à faire sentir des tensions latentes. D’autant plus que nous étions “voisins de palier”, donc le risque subjectif de mettre en jeu de l’alliance, de la sécurité, était présent.
Dans ces conditions, il est nécessaire qu’un tiers séparateur, qu’un facilitateur soit l’arbitre des frontières. Mais comme nous voulions une organisation associative sur une base de collaboration et d’horizontalité nous n’avons pas franchement pris cette place de décideur séparateur. Décider du “qui fait quoi entre participants”, alors que chacun est patron de PME, ne nous était pas du tout évident. Avec du recul, je crois que nous aurions dû oser cette place, ce rôle, prendre le risque de la divergence mais au moins permettre aux problématiques de rôles d’émerger, dont le nôtre, et de débattre.
Pour conclure, quel sens donnez-vous à cette série d’émission ?
Ce qui nous anime depuis l’origine est à la fois de partager des diagnostics mais aussi? et surtout peut-être, de montrer qu’il y a des solutions, qu’elles existent, que certains s’engagent, testent, améliorent, …. Chacun a intérêt à ne pas s’isoler, à s’inspirer de ce qui se passe autour et idéalement, à se rassembler pour agir collectivement plus significativement.
Et dans cette idée de se rassembler, il y a aussi ce besoin d’échanger, même quand on n’a pas le même point de vue. Au contraire même, se confronter, se questionner ensemble, dans la diversité, peut favoriser l’émergence de projets sur et pour le territoire. C’est bien de montrer la capacité de chacun de se fédérer autour de sujets qui nous concernent et nécessitent d’avancer ensemble.
Insuffler de l’envie, des initiatives d’entreprise, du oser trouver des solutions à plusieurs cerveaux et surtout de l’entraide.