Liberté. Egalité. Fraternité. Telle est la devise de notre pays. Pourtant le mot in-égalité est sur toutes les lèvres et dans tous les débats. Inégalités sociales, inégalités de genres, raciales et, depuis la crise des gilets jaunes, territoriales.
Les zones rurales souffrent d’une forme d’hérédité sociale ou de plafond de verre que l’on retrouve à de nombreux niveaux.
Concernant l’éducation et la formation, les chiffres parlent d’eux mêmes.
Entre 15 et 19 ans, 58% des jeunes ruraux sont en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation soit 13 points de plus que les urbains.
28% des ruraux décrochent un diplôme supérieur contre 37% des urbains.
De nombreuses études pointent ces inégalités. Qu’en pensent les auvergnats ? Quel est l’impact de cette fracture pour nos territoires et quelles solutions pouvons-nous mettre en place ?
Pour commencer : le micro-trottoir du mois
Une offre de formation limitée et définie par le contexte local
Parfois sur nos territoires on peut avoir l’impression que c’est le serpent qui se mord la queue. Le problème est si complexe qu’une solution clé en main est impossible.
Il existe deux problématiques principales : l’offre de formation limitée et l’offre d’emploi qui l’est tout autant (pas partout ne généralisons pas).
Les agences de développement économique en le constat.
Une entreprise qui cherche une nouvelle implantation se pose deux questions : « la distance en train ou en avion de Paris » (ça c’est un autre sujet) et « l’offre de formation pour répondre à ses besoins de recrutement ». Et c’est souvent là que le bât blesse. Si le secteur d’activité n’est pas présent sur le territoire, il y a de grandes chances que la formation n’y soit pas non plus.
Le potentiel de recrutement, indispensable au développement économique
Pour pallier au manque de formations, les entreprises, les collectivités et les
organismes de formation et d’emploi ont mis en place depuis plusieurs
années des collaborations pour faire émerger des formations qui répondent réellement aux besoins des entreprises présentes sur le territoire.
Les résultant sont encourageants. C’est toujours une bonne chose lorsque toutes les parties prenantes s’investissent sur un sujet.
Des formations courtes hyper-spécialisées
La démarche a ses limites. Lors de la dernière Assemblée Générale de VIAMECA un chef d’entreprise a mis en exergue les limites des formations courtes voire très courtes pour répondre aux demandes des entreprises locales : « On va former la personne uniquement sur l’utilisation d’une machine, d’un outil ou d’un logiciel spécifique, mais quid des connaissances générales et des possibilités d’évolution? ».
Les belles histoires existent pourtant. Louis Vuitton à été précurseur. LVMH, c’est un savoir-faire spécifique en maroquinerie, introuvable sur le territoire. Une formation sur-mesure a été mise en place il y a plusieurs années. Résultat : Deux unité de production, un centre de formation pour tous les salariés de France et un troisième atelier de 6000 m2 va voir le jour à Saint-Pourçain sur Sioule dans l’Allier avec la création de 250 emplois à la clé.
Lever les freins psychologiques
Dans son enquête de 2019 « Les filles du coin », l’INJEP pointe du doigt que pour les jeunes filles des zones rurales (mais le constat est le même pour les jeunes hommes), « l’orientation se fait en fonction de la proximité, liée à l’économie du territoire, et donc de la rentabilité des études. Tu veux étudier la philo ? As-tu déjà vu passer un poste dans le coin ? Non. Et Bien alors choisit autre chose », (source : Libération : «La jeunesse rurale est souvent pensée par défaut sous l’angle des manques» 22/07/19)
« Un lycéen – en rencontrant un ancien élève de son lycée qui avait fait Harvard – m’a dit : je n’imaginais vraiment pas que c’était possible de faire ça en ayant fait un lycée à Montluçon », raconte Dimitri De Freitas, Président de l’initiative de l’Allier aux Grandes Écoles.
Le problème de la mobilité
Dans les zones rurales, l’accès à l’information est peu développé. « On ne sait pas ce qu’il existe en terme de formations dans les filières d’excellence ou les aides possibles pour la mobilité ». C’est le constat que met en lumière l’association des Territoires aux Grandes Écoles. (retrouvez notre article sur le sujet ce mois-ci).
« Partir faire des études à Paris ou dans une grande ville, ça a un coût : le coût de la formation, l’appartement, les frais du quotidien…», rappelle Dimitri.
Les conséquences à terme : 47% des jeunes ruraux font le choix d’une filière courte à proximité, contre 38% en zone urbaine.
« Mes chers parents je pars » … et je ne reviendrai pas
Soyons clairs, tout n’est pas noir à la campagne. De nombreux jeunes ruraux partent de chez eux pour suivre des études supérieures. Ils partent vite mais reviennent plus lentement. Plus tard, beaucoup plus tard.
On a tendance à construire sa vie là où l’on étudie. Pas facile de tout quitter pour rentrer à la maison.
Mais ce n’est pas la seule raison. Le manque d’offres d’emplois attractives en zone rurale est une problématique supplémentaire. Surtout si l’on doit en trouver deux. On peut trouver un emploi pour soi, mais quid du conjoint ou de la conjointe? Pas facile.
L’orientation, la clé de la réussite
Avoir le sens de l’orientation, ce n’est pas inné pour les jeunes. Pour Pierre Personne, entrepreneur et professeur, « l’orientation en France est catastrophique. On a une conseillère d’orientation pour 1000 élèves au collège ».
C’est là que naissent les plus grosses inégalités. Coup de chance d’avoir dans notre entourage quelqu’un qui peut nous accompagner et nous éclairer sur les parcours possibles. Pour les autres, chacun se débrouille comme il peut. Avec de terribles erreurs d’orientation qui font perdre argent et motivation. Aude Cefaliello, brillante doctorante d’origine vichyssoise, l’a vécu lors de ses études. « En première année de droit on est 200, clairement certains sont tombés là par hasard… En Master 2 on se retrouve à 20, on écrème chaque année. Que d’énergie perdue ».
Ouvrir le champ des possibles
« Aujourd’hui on scinde les parcours des jeunes entre le monde de l’éducation et seulement ensuite le monde des entreprises. Comme si c’était dangereux de mélanger les deux », assène Pierre Personne.
De ce côté-là, les lignes commencent à bouger. L’Etat, les parents et les enseignants sont de plus en plus conscients du problème.
« Il faut faire briller des étincelles dans les yeux des enfants et des ados en leur montrant le champ des opportunités » conclue Bas Dekker, fondateur de la Clermont Coding Academy.
C’est le même combat qu’a choisi de relever Dimitri De Freitas avec l’antenne locale « de l’Allier aux Grandes Ecoles ». Des interventions d’anciens élèves de Grandes Écoles ou de filière d’excellence. Ou encore des visites d’entreprises pour ancrer les jeunes dans le monde professionnel. Et enfin, des bourses pour leur permettre de rêver plus loin…
Des initiatives inspirantes basées sur la bonne volonté des individus
Crédits Photos : Facebook La Machinerie d’Alex
Certes, on ne peut pas attendre d’une zone rurale ou semi-rurale la même offre de formations ou d’emploi que dans les grandes métropoles.
Si l’on veut permettre une véritable égalité des chances, il va falloir innover.
Des solutions fleurissent un peu partout. Pourtant, elles sont encore trop souvent portées de manière individuelle.
En 2017, à Saint-Eloy-les-mines dans le collège Alexandre Varenne, j’avais rencontré une équipe composée de professeurs et d’une professeure-documentaliste, qui ont mis en place un maker-space (petit fablab) « la machinerie d’Alex », avec les moyens du bord. Le postulat général « l’offre de formation existante au niveau local enferment les jeunes dans un parcours de vie limité », précisait Marion Dugenet, professeure-documentaliste.
Ils ont reçu en 2019 le prix de l’innovation pour l’égalité des chances par le Ministère de l’Education Nationale. Depuis l’année dernière, une option « fabrication numérique » est proposé aux élèves. Preuve que ces initiatives répondent à un réel besoin mais qu’il faut du temps pour les reconnaître.
Maillage territorial ou Innovation à grande échelle
Comment repenser l’éducation et l’offre de formation dans notre société 4.0.? Le numérique a permis l’accès à la connaissance quelle que soit notre origine géographique ou sociale.
Les MOOC, Massives Online Courses donnent accès à des contenus de formations des meilleures universités comme Harvard et de manière gratuite. Les centres de formations proposent de plus en plus de formations à distance en e-learning.
Ces innovations et expérimentations peuvent-elles être déployées à grande échelle pour réduire ces fractures et proposer une solution universelle ? Ou au contraire, faut-il inventer un modus operandi spécifique pour mailler Territoires et Métropole ?
Une plongée dans l’innovation made in Auvergne
A quoi ressemblera le monde de l’éducation et la formation dans 5 ou 10 ans. Entreprises traditionnelles innovantes, associations, start-ups ou dispositifs… Nous sommes partis à la rencontre de celles et ceux qui oeuvrent pour un futur souhaitable et équitable en Auvergne.