L’éducation inclusive c’est – juste- l’idée de favoriser la participation sociale de tous. Il s’agit rien de moins que de permettre à chaque enfant, chaque jeune, et finalement, chaque adulte en devenir, de jouer son rôle et de trouver sa place dans la société.
Cette ambition s’est construite progressivement par plusieurs lois qui se sont succédé :
- la loi de 1975, historique, qui introduit le droit à la scolarité. « Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son éducation. »
- puis, la loi de 2005, pour l’égalité des droits et des chances, consacrée aux besoins particuliers des élèves en situation de handicap, se traduit notamment par l’apparition des AESH. (Accompagnants d’Elèves en Situation de Handicap)
- ensuite la loi de 2013 vient renforcer le principe d’inclusion. Elle introduit des dispositions pour une école plus inclusive, englobant les élèves présentant des besoins éducatifs particulier, au-delà du handicap. Elle voit naître les classes ULIS,
- et enfin, celle de 2019, dite pour une “école de la confiance”, introduit le Service Public de l’École Inclusive (SPEI), qui vise à mieux organiser les moyens de l’inclusion.
- cet inventaire reste sans évoquer les circulaires, plans nationaux et autres dispositifs d’appui…
Qui trop embrasse …
En introduisant la notion de besoins spécifiques ou particuliers, on embrasse très large avec des situations extrêmement différentes : situations de handicap, problématiques sociales, troubles de l’apprentissage ou de neurodéveloppement, question linguistique, … Diversité qui doit bien complexifier les modalités de réponse. Ces mêmes modalités de réponse doivent être portées d’abord par les pratiques des enseignants mais aussi par l’ensemble des professionnels des secteurs du médico-social et de l’animation et peut-être au-delà, de la société civile et des familles. Une « communauté apprenante ».
L’inclusion scolaire, en apparence objectif consensuel, représente en fait une transformation profonde du système éducatif français. L’école de la République s’engage à accueillir chaque élève dans sa singularité, sans distinction de capacité, de situation sociale ou de handicap. C’est bien la mise en œuvre concrète de ce principe qui révèle des défis structurels, humains et pédagogiques. De plus, constat est fait que le nombre de ces élèves à besoins éducatifs particuliers a fortement augmenté. Et à ce stade, on ne parle que d’inclusion.
Mais dans la To Do List du prof, il faut aussi cocher l’éducation au numérique, le développement de l’esprit critique, la sensibilisation à l’environnement, la lutte contre le harcèlement et les discriminations, l’ouverture des chakras des enfants sur les stéréotypes de genre, l’éducation alimentaire, … et quand même, au passage, transmettre les savoirs définis dans les programmes et remonter dans le classement PISA. Plus d’injonctions et plus d’élèves, la situation peut apparaître cornélienne.
Pour une communauté éducative
La Direction Education de la Ville de Clermont organisait samedi 16 novembre, dans le cadre du Dispositif Réussite Educative, une rencontre destinée aux professionnels.
Caroline Desombre est professeur de psychologie sociale, Directrice adjointe Recherche Développement de l’INSPE de Lille et responsable scientifique pour l’université de Lille d’un PIA3 (Programme d’Investissements d’Avenir). Elle introduisait la journée en montrant comment ce tournant a déplacé la responsabilité d’adaptation de l’élève à l’école vers une transformation du système scolaire lui-même. En effet, il s’agit désormais de créer des environnements où tous les élèves, quelle que soit leur singularité, peuvent apprendre et progresser. Dans le cadre du projet de Recherche PIA3, «Inclusion : un défi, un territoire», elle travaille sur 3 volets.
- La question des ressources pédagogiques. En développant des expériences de co création, gages d’une adéquation aux besoins réels des enseignants et d’une bonne prise en main des outils développés.
- Le sujet des attitudes des enseignants à l’égard de la notion d’école inclusive qui fait beaucoup varier l’engagement. Elle observe que si leurs attitudes sont globalement positives, elles restent parfois ambivalentes, notamment face aux élèves ayant des troubles comportementaux ou des besoins complexes. La charge pesant sur l’enseignant, comme en ont témoigné d’autres intervenants, est extrêmement lourde quand il faut gérer des besoins particuliers et une dynamique de classe. Plusieurs ont d’ailleurs exprimé leur besoin d’aide.
- Et enfin, le besoin de collaboration. En effet, cette charge ne peut pas ne reposer que sur le corps enseignant. L’introduction des AESH est un premier pas, pas forcément toujours adapté d’ailleurs selon elle. Il faut donc penser l’inclusion en collaboration. Et pour cela, il faut trouver des espaces pour faire travailler ensemble enseignants et professionnels médico-sociaux notamment.
Coopérer mais comment ?
Cette question de coopération était aussi au cœur du propos de Serge Thomazet, maître de conférences retraité et membre de l’association ASTEI (Association scientifique et technique pour le développement d’environnements inclusifs) et de Mickael Jury, maître de conférence à l’INSPE de Clermont.
Si l’on sort du strict cadre scolaire, cet enjeu de coopération est complètement transversal et très sociétal. Et il est complexe. Il nécessite la définition d’un « schéma équitable de coopération ».
C’est l’un des messages centraux de Mickaël Jury et Caroline Desombre. L’inclusion nécessite une diversité d’expertises : enseignants, AESH, professionnels médico-sociaux, familles et bien sûr, les élèves eux-mêmes. Pourtant, cette diversité est souvent vécue comme un obstacle. « Il ne suffit pas de rassembler des acteurs pour que la coopération fonctionne », rappelle M. Jury, citant l’hypothèse du contact d’Allport. Pour que le dialogue s’installe, il faut créer des conditions favorables : des espaces de rencontre, des temps institutionnalisés, et surtout, une reconnaissance mutuelle des compétences.
Des compétences, de la créativité et de l’engagement, il y en a dans cette communauté. Plusieurs cas d’usages ont été présentés, très variés. La Fondation Chantelise qui a développé des ateliers ludiques pour mieux appréhender la perception du monde par les personnes autistes ou cette école clermontoise qui a créé de manière collaborative un mur sensoriel dans la cour de récré. Des ressources, il en existe pléthore, le plus complexe étant, comme toujours, de s’y repérer.
Construire un socle commun
Caroline Desombre le relève : les professions éducatives et médico-sociales, bien qu’interdépendantes, se connaissent peu. Les formations croisées proposées dans le cadre du projet PIA3 visent justement à renforcer cette connaissance mutuelle. En apprenant à collaborer dès leur formation initiale, ces professionnels peuvent développer un langage commun et des objectifs partagés, indispensables pour une inclusion réussie.
L’école inclusive n’est pas seulement un projet éducatif, mais une école du vivre ensemble. Elle démontre que la coopération repose sur des principes universels : l’écoute, le respect et la reconnaissance des contributions de chacun. Mickaël Jury illustre cette idée avec des exemples concrets, comme l’impact positif d’une simple adaptation sensorielle – pour réduire le bruit- dans une cantine, qui améliore le bien-être de tous les élèves, pas seulement de ceux identifiés comme ayant des besoins spécifiques.
L’élève comme ressource centrale
Mickaël Jury insiste sur le rôle de l’élève lui-même dans son parcours éducatif. Trop souvent, les adultes oublient que les enfants ont une connaissance précieuse de leurs propres besoins et capacités. « Il faut les interroger, car nous sommes à leur service », rappelle-t-il.
Loin d’être une question uniquement pédagogique, l’inclusion scolaire pose des défis universels : comment coopérer, répartir équitablement les ressources et construire un avenir commun ? Elle révèle aussi les faiblesses de nos systèmes : des moyens souvent mal adaptés, des acteurs qui peinent à se comprendre, et une lenteur institutionnelle face à l’urgence.
L’une des conclusions qui semble aussi tout à fait universelle, c’est celle de la place faite à l’expérimentation. Accepter de tester des approches et surtout en accepter les résultats, tous les résultats. Y compris ceux qui « n’ont pas fonctionné ». Se donner à soi-même le droit à l’erreur mais y être aussi encouragé par l’environnement (l’institution ici), c’est un enjeu managérial et culturel qui traverse de nombreux univers. (lire aussi » Désengagement scolaire, se tromper c’est déjà apprendre« )
«- La seule véritable erreur est celle dont on ne tire aucune leçon. »
Henry Ford