Alors que la population vieillit et que les enjeux autour de la prise en charge des personnes âgées se multiplient, la nutrition reste un levier souvent sous-estimé pour préserver leur autonomie et leur qualité de vie. Rencontre avec Théo LOUBET-TUZE, de l’entreprise CDIET, spécialisée dans la diététique santé.
Dans cet entretien, il revient sur les défis liés à la reconnaissance de l’expertise des diététiciennes et diététiciens. Sur le rôle clé de l’alimentation dans le bien vieillir, et les solutions innovantes mises en œuvre pour toucher les publics les plus vulnérables, notamment en zones rurales. Un regard éclairant sur les mutations nécessaires pour mieux accompagner les seniors dans un système encore trop centré sur l’urgence et pas assez sur la prévention.
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Pour commencer, pourriez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à vous investir dans ce projet ?
Bien sûr. J’ai grandi entre Toulouse et l’Ariège, dans un environnement semi-rural. Mon enfance a été marquée par des relations intergénérationnelles fortes, et cela a sans doute influencé mon attachement aux projets à taille humaine.
Après des études d’ingénieur, j’ai travaillé dans des entreprises plus classiques, mais je ressentais un décalage avec mes valeurs. En 2019, j’ai rejoint CDIET, une entreprise en pleine création, spécialisée dans la diététique santé. Ce qui m’a attiré, c’est la mission de l’entreprise : apporter un accompagnement nutritionnel aux personnes âgées et vulnérables, souvent délaissées dans les parcours de soins classiques.
Justement, pouvez-vous expliquer le contexte de création de CDIET ? Quel besoin spécifique cherchiez-vous à adresser ?
À la base, CDIET a été fondée par des experts en santé numérique qui ont collaboré avec un gériatre. Ce dernier nous a révélé une statistique alarmante : une personne sur deux hospitalisée en gériatrie souffre de dénutrition. Ce trouble, souvent invisible, touche des millions de personnes en France, avec des conséquences graves sur leur autonomie et leur santé.
Nous avons commencé par des expérimentations dans l’Ariège, en partenariat avec le conseil départemental et des structures locales. L’objectif était simple : prévenir, repérer et accompagner les personnes âgées dénutries. Rapidement, le projet a pris de l’ampleur et s’est étendu à d’autres territoires, grâce à des collaborations avec des Carsat, des ARS et des EHPAD.
Concrètement, comment fonctionne l’accompagnement proposé par CDIET aux seniors ?
Notre modèle repose sur des consultations nutritionnelles réalisées par nos diététiciennes. Nous travaillons principalement à distance, ce qui nous permet de toucher des patients en zones rurales ou isolées. Cela réduit les coûts et améliore l’accessibilité des soins.
Un exemple concret : dans le cadre d’un partenariat avec la Carsat Auvergne, nous intégrons nos services dans leurs plans d’aide individuels. Nous recevons les noms des bénéficiaires identifiés comme à risque, puis nos diététiciennes les contactent pour un bilan initial. Si un risque nutritionnel est confirmé, nous proposons un suivi sur trois mois avec une consultation par mois. Chaque rendez-vous est suivi d’un compte rendu personnalisé, avec des fiches pratiques adaptées au quotidien des patients.
Quels sont les principaux enjeux autour de la thématique de la nutrition des seniors ?
Le vieillissement s’accompagne de changements physiologiques qui augmentent les besoins en protéines, alors que paradoxalement, l’appétit diminue souvent. La perte de masse musculaire, ou sarcopénie, fragilise les personnes âgées, augmentant les risques de chute, de fractures et de dépendance.
Cependant, un des freins majeurs reste la place de la nutrition dans les parcours de soins. Aujourd’hui, les consultations des diététiciens-nutritionnistes ne sont pas remboursées par l’Assurance Maladie, sauf dans deux parcours très spécifiques : l’obésité infantile et l’oncologie, où elles le sont partiellement.
Dans tous les autres cas, les consultations de diététique restent à la charge des patients ou sont couvertes par certaines mutuelles. Cela limite l’accès à ces soins pourtant essentiels, notamment pour les personnes âgées, souvent confrontées à des ressources limitées.
Ce manque de reconnaissance se ressent également dans le monde médical. En gériatrie, les gériatres comprennent très bien l’importance des diététiciennes, mais dans d’autres spécialités, elles sont parfois perçues comme un simple « confort ». Il est crucial de faire évoluer cette perception et de valoriser leur rôle central dans la prévention et la prise en charge des pathologies liées à l’alimentation.
Est-ce qu’il existe d’autres enjeux ?
Un autre enjeu majeur est le rôle de l’alimentation dans le plaisir de vivre. Pour beaucoup de seniors, manger reste un des derniers plaisirs. Les conseils nutritionnels doivent donc être personnalisés et adaptés à leurs habitudes, sans être vécus comme une contrainte.
Enfin, il faut lutter contre les idées reçues. Par exemple, certains pensent qu’il est « normal » qu’une personne âgée soit maigre ou qu’un diabétique ne puisse jamais consommer de chocolat. Ces mythes nuisent à une prise en charge efficace.
Vous parliez de consultations à distance. Comment le numérique influence-t-il la démarche de CDIET auprès des seniors ?
Le numérique est un outil formidable, mais il doit rester au service de l’humain. Chez nous, il permet d’automatiser certaines tâches administratives, comme la gestion des dossiers ou la planification des rendez-vous, pour que nos diététiciennes puissent se concentrer sur le temps passé avec les patients.
Cependant, nous faisons attention à ne pas déshumaniser la relation. Les consultations par téléphone ou en visio offrent un espace de confiance : les patients se sentent souvent plus à l’aise pour parler de sujets intimes. Nous avons même des retours qui disent que ces moments d’échange deviennent essentiels dans leur quotidien.
Vous avez mentionné un partenariat avec VivaLab. En quoi cet accompagnement a-t-il été structurant pour CDIET et l’offre aux seniors ?
VivaLab a été un véritable tremplin. En 2020-2021, nous avons expérimenté nos services en partenariat avec la Carsat Midi-Pyrénées, ciblant des retraités en sortie d’hospitalisation, un moment critique pour la dénutrition.
Les résultats ont été probants, et VivaLab nous a permis de structurer notre développement pour travailler avec d’autres Carsat en France. Aujourd’hui, nous collaborons avec 12 Carsat sur 16 en métropole, et nous continuons à étendre nos actions.
L’accompagnement de VivaLab nous a également aidés à mieux comprendre le fonctionnement des institutions, ce qui est crucial dans le secteur de la silver économie.
Quelles sont les ambitions de CDIET pour les prochaines années ?
Nous avons trois axes principaux. D’abord, élargir notre réseau de prescripteurs pour toucher davantage de patients via les cliniques, les hôpitaux et les services de rééducation.
Ensuite, renforcer la formation des professionnels travaillant auprès des personnes âgées. Les lacunes en matière de connaissances nutritionnelles sont encore trop nombreuses.
Enfin, nous souhaitons diversifier nos spécialités, avec des projets autour de la périnatalité, de la santé des femmes, ou encore de l’oncologie.
Quels conseils donneriez-vous aux porteurs de projets qui souhaitent innover dans le domaine du bien vieillir ?
Mon premier conseil serait de toujours garder en tête pour qui vous travaillez. La finalité, c’est d’améliorer la vie des bénéficiaires, pas uniquement de développer un produit ou une entreprise.
Le second conseil serait : il faut s’immerger dans l’écosystème. Rencontrez des acteurs du secteur, parlez-leur de vos idées. La silver économie est un petit monde où tout le monde se connaît, et les retours que vous obtiendrez seront très précieux.
Enfin, soyez à l’écoute des intermédiaires – familles, professionnels, institutions – car ce sont eux qui concrétiseront vos idées sur le terrain. Si vos solutions ne leur facilitent pas la vie, elles risquent de ne pas fonctionner.
Merci pour cet échange. Un dernier mot pour conclure ?
Merci à vous. Si je devais conclure, je dirais qu’innover pour les seniors, c’est avant tout innover pour l’humain. Chaque petit geste compte, chaque progrès peut faire une différence énorme dans la vie des personnes âgées. C’est ce qui nous motive chaque jour.