A l’occasion de la Clermont Innovation Week, l’Institut ANALGESIA organisait une rencontre autour de la douleur et de sa relation particulière avec le sport. Rassemblés sur ce sujet, 4 intervenants passionnants;
- Le Docteur Serge Simon, Vice-Président de la Fédération Française de Rugby, médecin et hypno praticien
- Le Docteur Mathieu Abott, praticien hospitalier dans le service médecine du sport et exploration fonctionnelle du CHU, également médecin pour l’ASM Rugby
- Thomas Lorblanchet, kinésithérapeute, ostéopathe et champion du monde de Trail en 2019
- Violette Duval, ancienne basketteuse de haut niveau, souffrant de fibromyalgie.
Alain Eschalier, Président, le rappelait en introduction. L’Institut ANALGESIA se concentre sur le traitement de la douleur chronique pour qu’elle n’altère plus la qualité de vie des patients. Pour ce faire, elle agit sur trois niveaux
- L’accompagnement des patients en s’appuyant sur la E-Santé. Comme avec e-Dol un outil qui permet de suivre l’évolution de l’état de santé via un smartphone relié au médecin et aux chercheurs. Ou Apaisia, un « compagnon digital » pour gérer sa douleur
- Le soutien de l’innovation des équipes de recherche pour identifier de nouvelles molécules
- La sensibilisation des patients et des soignants;
Le meilleur traitement, c’est le mouvement
Trois des quatre intervenants invités par ANALGESIA à contribuer à cette conférence sont plutôt issus du monde du sport de haut niveau. Violette Duval, elle, apportait l’éclairage des patients douloureux chroniques. Elle souffre de fibromyalgie, un syndrome caractérisé par des douleurs diffuses dans tout le corps et encore largement méconnu quant à ses causes. Elle raconte les années de souffrance sans diagnostic. Puis quand il arrive enfin, c’est assorti d’une injonction mal expliquée : il faut bouger. Or, la douleur chronique a souvent pour effet de désocialiser les patients.
« Quand on souffre, on sort moins, on s’isole, on est concentré sur sa douleur. »
Et pourtant, « le meilleur traitement c’est le mouvement ».
Violette Duval
Violette Duval le dit, elle ne voulait pas entrer dans le cercle vicieux des antalgiques et anti inflammatoires. Il a donc fallu bouger et apprivoiser la douleur.
« Il faut accepter qu’il faut du temps, beaucoup de temps, pour trouver son équilibre et réduire sa souffrance ».
La pratique du sport de haut niveau induit un seuil de résistance assez élevé mais la douleur fibromyalgique est ressentie ‘comme la douleur de trop’. On apprend à connaître son corps, au fur et à mesure, mais au début, c’est très complexe »
La vertu du temps
Pour Thomas Lorblanchet, c’est effectivement l’une des clés. Pour apprendre à gérer la douleur, c’est l’entrainement qui permet de repousser le seuil d’apparition de la douleur et d’acquérir cette résistance supérieure. Cette notion de temps est l’une des difficultés principales auxquelles sont confrontés les sportifs. Elle est pourtant le paramètre essentiel pour durer.
Pour Violette, c’est le voyage et la photo qui seront les déclencheurs d’une nouvelle pratique : la marche. Elle fera 6000 kms à pieds, du Mont St Michel à Marseille. La pratique, surtout en pleine nature, devient pour elle une forme de méditation. Un état qui aide à dépasser cette douleur.
Un observatoire de l’activité physique et de la sédentarité à Clermont
Cette incitation au mouvement, c’est l’objet de l’Observatoire National de l’Activité Physique et de la Sédentarité (ONAPS). Créée en 2015, il est présidé par Martine Duclos, professeur de médecine et responsable du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand. Lucille Bruchet, directrice opérationnelle, en rappelait la raison d’être : promouvoir l’activité physique et lutter contre les comportements sédentaires dans tous les milieux. Ce, en recensant les initiatives territoriales, en réalisant des études pour recueillir des données là où il y a des manques (population en situation de handicap, femmes, étudiants, …), en accompagnant la mise en œuvre de nouvelles actions en lien avec la stratégie nationale santé et enfin, en sensibilisant vers les professionnels et le grand public.
La douleur, une définition qui évolue
Selon Descartes, la douleur n’est ni plus ni moins qu’un système d’alarme dont la seule fonction est de signaler une lésion corporelle et qui va déclencher une réponse réflexe.
Définition complétée quelques quatre siècles plus tard, en 1979, pour introduire des dimensions plus complexes, « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire ou potentielle. »
Cette définition introduit la notion de variabilité dans la perception et donc sa subjectivité. C’était tout le propos de Serge Simon dans son intervention « Douleur, Rugby et sports de combat, le mal pour le bien ».
Le cerveau, une usine à fabriquer le monde
En effet, considérer un peu hâtivement que nous sommes programmés pour fuir la douleur afin de préserver le vivant du danger, reviendrait à oublier la capacité, propre à l’espèce humaine, de la détourner à d’autres fins. Pour accompagner la compréhension, Serge Simon, parti des premiers signes d’intelligence, via le traitement de l’information chez l’être unicellulaire, arrive jusqu’à l’apparition de la conscience chez l’espèce humaine. Le cerveau fonctionne en traitant les informations collectées à travers nos sens (l’oreille, la rétine, …) pour construire une représentation qui est une interprétation du monde. Les mécanismes cérébraux sont absolument identiques entre ce que l’on qualifierait de rêve et de réalité, ou même d’hallucinations.
Et pour la douleur c’est pareil : c’est un signal électrique. « Elle n’existe pas mais elle s’impose à nous, à l’intérieur de nous-même ». Dans un cerveau animal, c’est un signal d’alerte. Pour l’espèce humaine, elle peut être aussi un obstacle ou un challenge, en fonction de capacités personnelles innées, d’éléments de contexte …
Il n’y a pas un mais des risques
D’abord, le risque ‘objectif’, celui qui est décrit par les statistiques : le % d’accidents, de chutes, de fractures, de morts… Vient ensuite le risque intégré. Là, il s’agit d’une forme de définition de la normalité, relative à l’univers de référence. Pour l’illustrer, à la question des blessures subies durant sa pratique, Serge Simon n’évoque qu’une rupture du talon d’Achille. Puis, fait l’inventaire – long- des blessures (côtes, nez, membres, …) « intégrées » à la pratique. C’est la routine, celle qui correspond à la culture du sport concerné. Ces risques-là deviennent invisibles aux pratiquants. Troisième catégorie, le risque pondéré, qui est le rapport des deux catégories précédentes. Il s’apprécie au regard du contexte socio professionnel et de sa position personnelle. Et enfin, le risque ressenti. Il est le résultat de la pondération assortie des éléments liés à la subjectivité individuelle, notamment du ressenti de la douleur (capacité personnelle, transcendance, grille culturelle, …)
Un signal pour fuir oui mais …
La douleur est un signal mais, dans la pratique sportive, elle revêt une forte valeur symbolique. Elle se lit au regard des capacités personnelles, exacerbée par la volonté de maitrise, de transcendance, de valorisation de l’égo, d’intégration à un collectif, …
Pour Mathieu Abbot, la culture de la souffrance est parfois inhérente aux sports. A l’exemple du « No pain, no gain » de la musculation par exemple ou de la glorification de joueurs capables de terminer un match avec un membre cassé ou un cycliste avec une commotion cérébrale. Se faire mal pour dépasser ses limites, revendiquer la souffrance, et afficher sa capacité à la dépasser, c’est l’état d’esprit sportif «ne pas s’arrêter, surmonter ».
Pour Thomas Lorblanchet, qui court sur des distances de 80 à 160kms, en montagne, sur des durées longues, le trail est une lutte permanente contre cette douleur qui dure et s’accumule. C’est cette capacité à supporter qui fait qu’on se transcende ou qu’on arrête.
D’un point de vue médical, c’est toute la subtilité. Serge Simon, médecin et ancien rugbyman l’avoue, « avec l’âge, je comprends que c’est le rôle de l’institution que de définir un cadre, même parfois contre l’envie des joueurs. Il faut jouer de la complexité entre la passion, l’exercice intense et la gestion du risque individuelle. »
La douleur n’est qu’information mais parfois elle est quand même bien présente !
Si elle peut être un moteur de dépassement de soi, la douleur peut aussi être inutile, toxique, dégradante, invalidante… Et dans ces cas, pour Serge Simon, elle doit être prioritaire pour le corps médical. Le Dr Matthieu Abbot rappelle que la douleur est aussi évaluée en fonction du temps : aiguë ou chronique et affectant la vie du patient. 30 ans de prise en charge de la douleur par la médecine ont permis d’apprendre à moduler l’influx électrique ‘douleur’ soit par des substances exogènes, soit par des endorphines. Il convient de ne pas oublier que les substances exogènes présentent quand même des risques d’addiction. Pour Thomas Lorblanchet, l’anti inflammatoire fait partie du paquetage du trailer, surtout amateur, moins surveillé … Même chose avec le Tramadol. Il n’est pas interdit mais ce qui limite la performance, c’est justement la gestion de la douleur. « C’est du dopage, il ne faut pas avoir peur des mots. »
Eviter la douleur du sportif
Citant Arthur Ashe « Une des clés de la réussite c’est la confiance en soi et une des clés de la confiance, c’est la préparation », Thomas Lorblanchet rappelle que le moyen de juguler la douleur réside dans l’entraînement et la préparation.
Matthieu Abbot y adjoint quelques recommandations
- Ne pas banaliser le traitement médical antalgique
- Prendre en charge la douleur de manière globale avec différents dispositifs non médicamenteux,
- Etablir un diagnostic précis accompagné d’une rééducation adaptée et surtout, respectant les délais
Et en tant que médecin, ne pas se laisser embarquer par l’envie du sportif mais évaluer correctement le sur-risque.
Pour tous, être acteur de sa santé
C’est la conclusion consensuelle de tous les intervenants : pour appréhender et gérer sa douleur, il faut avant tout être acteur, chercher son équilibre et ne pas subir. Le corps est fait pour fonctionner. Le remettre en mouvement est une véritable solution thérapeutique, plus il fonctionne plus il se répare.
Voir le replay de la conférence de l’Institut ANALGESIA