« L’Europe entre dans l’ère du Green Manufacturing » avec Arnaud Bocquillon

« L’Europe entre dans l’ère du Green Manufacturing » avec Arnaud Bocquillon

Arnaud Bocquillon du pôle de compétitivité CIMES est chargé du nouveau programme GREEN CIMES. A travers ce programme il fait entrer les industries régionales dans l’ère du Green Manufacturing.
La Semaine Européenne du Développement Durable s’achève et nous sommes à quelques semaines de la COP 26. La transition écologique est désormais un fait accepté et non plus une option envisageable. La stratégie de l’Europe d’atteindre la neutralité carbone en 2050 a des répercussions majeurs dans le monde économique. Les industries n’y échappent pas. Contraintes ou opportunités, comment mettre en oeuvre le Green Manufacturing .

Avant de parler de l’enjeu du Green Manufacturing pour les industries en Europe, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Arnaud Bocquillon : Je suis né dans le Pas-de-Calais, j’ai grandi en Seine-et-Marne et j’ai fait commencé mes études “mesures physiques” à Orsay en Essonne sur le plateau de Saclay. À vingt ans, après ce parcours francilien, ma priorité était de quitter l’Île-de-France.

J’ai été recruté chez Michelin et c’est comme cela que je suis arrivé à Clermont-Ferrand. J’y ai passé 10 ans entre Ladoux et Cataroux.

Quelques années après mon arrivée, j’ai repris mes études en cours du soir, avec le CNAM en Mécanique. Les cours étaient dispensés à l’IFMA qui est devenu SIGMA depuis. J’ai validé mon diplôme d’ingénieur en mécanique en passant un an à temps plein à dans un des laboratoires clermontois, aujourd’hui l’Institut Pascal.

Grâce à ce parcours initial, j’ai acquis une double expérience bien utile dans un pôle de compétitivité : une expérience R&D dans un grand groupe ainsi que l’immersion dans la recherche académique à l’Institut Pascal. J’ai rejoint l’équipe du pôle VIAMECA (devenu CIMES) en 2007.
Je suis passé par plusieurs missions et aujourd’hui, j’ai une mission d’animation de la thématique robotique et performance de production. Je suis également chargé du nouveau programme GREEN CIMES autour de l’enjeu du Green Manufacturing.

Vous pouvez nous pitcher CIMES ?

La raison d’être de CIMES, comme de tout pôle de compétitivité est d’encourager et d’accompagner l’innovation collaborative. D’un point de vue géographique, le pôle couvre aujourd’hui les Régions Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Nous sommes dédiés à la chaîne de valeur du Manufacturing et à la Performance de Production. C’est notre identité de pôle.

Nos adhérents industriels couvrent cette chaîne de valeur. Ce sont des fabricants de composants, de sous-systèmes (ex : un train d’atterrissage) ou de systèmes complets (ex: un avion) dans différents secteurs (aéronautique, automotive, énergies, agroalimentaire, bois…).
Dans ce pôle, nous avons également des industriels qui permettent aux premiers de fabriquer leurs produits et systèmes. Ils fournissent les technologies, machines, solutions et services industriels.

Indépendamment de la taille des entreprises, il faut qu’il y ait une envie et une culture de l’innovation. C’est ce qui est le plus important.
Au sein d’un pôle, on trouve également des acteurs de la formation, de la recherche et des collectivités. C’est grâce à cette diversité que l’on peut mener à bien des projets collaboratifs innovants qui contribueront à la compétitivité des entreprises.

Aujourd’hui, c’est vous qui portez “Green CIMES” une nouvelle dynamique autour du Green Manufacturing pour accompagner les entreprises des territoires dans leur transition environnementale et sociétale. Est-ce que vous pouvez nous expliquer la démarche ?

Arnaud Bocquillon : Dès 2009, j’ai participé à structurer la réflexion du pôle dans le domaine du développement durable. On s’est d’abord penchés sur les nouveaux modèles économiques, la servicisation… Il y avait déjà ce fil conducteur du “concevoir autrement” pour questionner cette notion de performance et de création de valeur !

Ça a été notre axe stratégique jusqu’à fin 2018. À partir de la phase 4 du pôle, nous avons structuré une thématique COSYR. Derrière cet acronyme, on parle de Conception Optimisée de Systèmes Raisonnés. Cela reprend le cœur de la réflexion autour du “concevoir autrement”.
Le 15 septembre dernier, nous avons officiellement lancé “GREEN CIMES” autour du Green Manufacturing. 

Le Green Manufacturing, c’est un concept ou est-ce un impératif ?

GREEN CIMES, est un programme qui se décline en plusieurs chapitres : une méthode d’accompagnement, un cycle de sensibilisation sous forme de webinaires, une charte d’engagement de nos adhérents, une labellisation exigeante des projets d’innovation.
La méthodologie d’accompagnement est décrite en leviers : les 6 P du Green Manufacturing.

Très bien du concret ! Parlez-nous de ces 6 P du Green Manufacturing

Les 6 P sont les piliers du développement durable appliqués au Green Manufacturing. 

  • Agir sur le Produit : on parle ici d’éco conception, d’analyse de cycle de vie, de réutilisation, etc.
  • Agir sur les Procédés : encourager des procédés moins consommateurs d’énergie. Des procédés qui génèrent également moins de rébus et de déchets intermédiaires. Promouvoir la fabrication directe.
  • Questionner la Proximité : c’est la notion de circuits courts industriels. Où est-ce que l’on localise ses usines ? Trouver un compromis raisonnable entre les gisements de matières premières et/ou recyclées, les lieux de transformation intermédiaires, le coût et l’impact du transport, les lieux de consommation
  • Redéfinir ou renégocier la notion de Performance : derrière ce terme, il n’y a pas que le coût de fabrication. On doit considérer l’analyse d’impact sur tout le cycle de vie. L’agilité et la résilience sont par exemple des critères de performance. Les critères éthiques doivent aussi être intégrés.
  • Questionner la Pérennité : des produits, des entreprises elles-mêmes, de l’emploi. Aujourd’hui, il faut avoir une vision très long terme, construire plusieurs scenarii afin de pouvoir basculer de l’un à l’autre en fonction de l’évolution du contexte. 
  • Faciliter le Partage : c’est-à-dire, partage de la valeur, des ressources (et des déchets) mais aussi des retours d’expérience, des succès, du risque. C’est la dimension collaborative que l’on développe. 

Vous m’avez parlé d’un certain nombre d’entreprises qui se sont engagées dans la démarche, au-delà des mots comment se concrétise l’engagement ?

Arnaud Bocquillon : Aujourd’hui plus de 40 structures ont signé la charte GREEN CIMES. En général, elles ont des démarches RSE en cours, mais veulent aller plus loin. 
D’autres entreprises n’avaient jamais associé leur “réflexion “Green” à celle de l’innovation ou de leur stratégie R&D. GREEN CIMES, c’est se rendre compte que l’on peut travailler sa démarche éthique et environnementale par l’innovation et donc dans des projets collaboratifs accompagnés par le pôle. On ne parle pas juste d’appliquer les réglementations, mais de les anticiper. 

Comme pour les projets d’innovation, on peut répondre à des appels à projets et trouver des financements.

Quel est l’intérêt pour une entreprise de signer cette charte. Finalement, c’est beaucoup de nouvelles contraintes dans une économie qui l’est déjà beaucoup non ? 

L’Europe a fait le pari que l’industrie européenne ne sera compétitive que si elle réussit sa “Twin transition”. C’est-à-dire, une transition digitale et environnementale. On n’a pas le choix.

Pour défendre le Made in Europe, il est indispensable de réussir cette transition. En effet, la majorité des financements européens, mais aussi nationaux et régionaux adressent déjà cette Twin transition avec des critères éthiques et environnementaux. 

Dans une entreprise, qui doit prendre à bras-le-corps le sujet ? Qui doit lancer la démarche ? 

Le Green Manufacturing, c’est comme l’innovation. Ainsi, l’impulsion peut venir du gérant de l’entreprise, notamment dans les petites structures. Dans les grandes entreprises, il y a souvent des responsables chargés de cette transition écologique ; parfois, la réflexion commence par une démarche RSE. À travers le programme GREEN CIMES, nous cherchons à encourager les personnes de la R&D et de l’innovation à s’emparer de ces sujets.

Que dire à une entreprise qui voit un intérêt, mais qui ne sait pas par quel bout prendre le problème ? Quel est le premier pas à faire pour entrer dans le Green Manufacturing ?

Arnaud Bocquillon : Il y a une étape absolument indispensable, c’est celle de la remise en question. L’entreprise doit s’interroger sur ses habitudes et ses réflexes, mais surtout sur sa raison d’être, son rôle sur les chaînes de valeurs. Elle doit également réfléchir à sa raison d’être sociétale. Quelle valeur crée mon entreprise ? Pourquoi travailler avec ce fournisseur ? Aujourd’hui, le coût, ne peut plus être le seul critère de performance !

L’entreprise peut être accompagnée d’un point de vue méthodologique par des écoles, des laboratoires ou des cabinets-conseil spécialisés. La démarche doit être mobilisatrice et collaborative. L’accompagnement peut aussi être financier.  Enfin, il faut préserver. C’est une démarche qui peut être longue alors qu’il y a pourtant urgence ! 

Quoi qu’il en soit, c’est une transition inéluctable, indispensable. Ma conviction personnelle, c’est que ceux qui auront vécu leur transition green avant les autres auront un avantage compétitif. Les industriels pourront mieux argumenter auprès de leurs clients. Ils seront mieux à même de mobiliser leurs fournisseurs dans leur sillon. Ils seront mieux positionnés pour satisfaire les futures exigences et réglementations. 

Et enfin, la note optimiste, c’est que plus ils sauront construire un argumentaire objectif et tangible, plus le projet sera convaincant.

Dans la tête d’Arnaud Bocquillon

  • La définition de l’innovation : décloisonner, casser les habitudes
  • Une belle idée de start-up : il serait forcément question d’énergie ou de déchets… je réfléchis encore !
  • La start-up qui monte : celle qui starte et qui fait vraiment up, qui ne pense pas que techno mais service rendu et création de valeur
  • Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : le réseau, les laboratoires
  • Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : les films, livres et BD d’anticipation ; il y a toujours une réflexion sur l’utilité et les travers associés aux technologies….

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.