BAMBA Clermont-Ferrand, une façon radicale de repenser la ville durable

BAMBA Clermont-Ferrand, une façon radicale de repenser la ville durable

Le projet BAMBA de Clermont-Ferrand suscite de la curiosité et de l’intérêt. Un acronyme pour promouvoir une nouvelle approche de la construction de logements dans les zones denses.
La start-up Villes Vivantes travaille depuis des années pour inventer la ville de demain en mettant l’habitant au coeur du processus de construction. Une petite révolution qui a séduit la Banque des Territoires. Rencontre avec Amandine Hernandez en charge du projet de La Grande Plaine à Clermont-Ferrand.

Avant de parler de BAMBA, cette expérimentation unique en France et qui va se dérouler à Clermont-Ferrand, parlez nous un peu de votre parcours.

Je suis originaire d’un petit village du Tarn et j’ai grandi à la campagne. Après le bac, j’ai intégré l’école d’architecture de Montpellier puis Toulouse pour le master. Ensuite, j’ai voyagé et j’ai vécu au Portugal et au Brésil.

En 2010, j’ai rejoint un projet de recherche porté par David Miet et Benoît Le Foll autour du thème “la ville durable”. Ils avaient besoin d’architectes qui pouvaient réaliser des entretiens et dessiner “en live” avec les habitants. L’objectif était de mieux comprendre leur situation, leurs envies et leurs projets futurs en matière d’habitat.
J’ai tout de suite accepté, car je partageais complètement leur approche nouvelle des questions autour de l’urbanisme en zones denses. Je suis passionnée d’architecture et j’adore la “Ville”. Néanmoins, j’ai le sentiment que dans les villes que nous fabriquons aujourd’hui, nous avons perdu quelque chose.

Que voulez-vous dire par “nous avons perdu quelque chose”?

Une ville est à l’image de son développement dans le temps. Les bâtiments sont différents. Modestes, mitoyens, aux façades plus travaillées, plus bourgeoises. C’est cette fabrication pas à pas de la ville qui a permis de créer une vraie mixité. Et c’est aussi ce qui fait le charme des quartiers anciens aux quatre coins du globe.

Après la Seconde Guerre mondiale, en France, nous avons construit des grandes barres d’immeubles que nous sommes déjà en train de détruire. En parallèle, pourtant, des formes urbaines beaucoup plus anciennes résistent aux années et aux changements de mode ! Ce sont des rues habitées à l’échelle de projets individuels. On y retrouve de petits immeubles collectifs, des maisons avec leur coin de jardin, une densité variée et animée.
On peut se demander si la ville que l’on construit actuellement sera celle qui sera prise en photo dans 20 ans. Personnellement, j’ai des doutes.

Revenons en arrière, en 2010, vous réalisez une série d’entretiens d’habitants dans le cadre de travaux de recherches sur “urbaniser autrement”. Qu’est-ce que vous avez appris ?

Lors de nos entretiens, nous avons interrogé des familles et des personnes qui vivaient dans des maisons avec du terrain. Nous souhaitions connaître leurs projets de vie, leurs besoins, à court, moyen et long termes et savoir s’ils seraient prêts à céder une partie de leurs terrains.

On présuppose que les Français sont très attachés à leur propriété. C’est partiellement inexact. Les besoins des ménages ont évolué dans le temps. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de personnes âgées, les familles se décomposent et se recomposent. Certes, le rêve d’une maison individuelle avec un espace extérieur est toujours d’actualité, mais pas forcément avec 2000 m2 de jardin.

Une fois ces informations récoltées, à quoi servent-elles, et comment est-ce que l’on s’en saisit ?

Nous avons accompagné les 110 familles interrogées en modélisant avec elles leurs projets. Un certain nombre d’habitants envisageaient sérieusement de diviser leur jardin pour y accueillir une nouvelle maison, et donc de nouveaux voisins. Ce foncier potentiellement disponible ouvrait de nouvelles possibilités pour densifier la ville sans l’étendre.

C’est à la suite de ces travaux de recherches que la start-up Villes Vivantes est née. David Miet a fondé Villes Vivantes avec le paysagiste Thomas Hanss en 2013, et je les ai rejoints 4 ans après. Aujourd’hui, nous sommes 5 associés qui pilotons et animons une équipe d’une trentaine de personnes.

Villes Vivantes se positionne comme une start-up d’urbanisme. Est-ce que vous pouvez nous pitcher le concept ?

Il faut comprendre la problématique qui se joue en matière d’urbanisme. D’une part, la pandémie n’a fait que renforcer le désir des Français d’habiter dans des logements avec des espaces extérieurs. Pour ce faire, ils sont prêts à s’éloigner de plusieurs dizaines de kilomètres pour accéder à ce type de propriété. La maison dans les grandes métropoles est devenue inaccessible pour la plupart des habitants.

D’autre part, on développe aujourd’hui les nouveaux quartiers sous forme, de ce que l’on appelle en urbanisme, des macro-lots. Ce sont des immeubles collectifs ou des séries de maisons individuelles groupées.

Le prix est fixé sur la base des revenus moyens des ménages ciblés. Il intègre également les coûts importants que génère la promotion immobilière. Cela entraîne forcément une uniformité dans la typologie des habitats. Cette uniformité ne correspond pas à ce que les Français recherchent dans leur grande majorité.

Que propose Villes Vivantes ?

Nous proposons de nous passer de la promotion immobilière et de bâtir les villes durables de demain. Avec notre approche, les habitants sont les maîtres d’ouvrage de leur habitat. 

Nous avons quatre types d’opérations fondées sur ce principe de l’habitat sur-mesure, construit en auto-promotion par des habitants. 

  • BIMBY, la construction dans les jardins
  • BUNTI, la reconfiguration et la rénovation des bâtiments existants
  • BAMBA, le lot libre et dense
  • BRAMBLE, qui correspond à une forme de densification plus forte où le long d’un axe ou autour d’une centralité importante, les maisons se transforment en immeubles collectifs fins et élancés.

Notre travail consiste à ouvrir les champs des possibilités aux habitants qui portent des projets de maisons individuelles notamment. Si vous proposez à quelqu’un d’acheter un terrain de 200 m2, il sera convaincu que c’est impossible de construire une habitation et d’avoir un espace extérieur avec une si petite superficie. Pourtant, il existe en urbanisme de multiples possibilités pour combiner ces deux besoins.

Dans notre imaginaire, le sur-mesure à un coût et plutôt réservé aux foyers aisés. Pourtant, vous affirmez que votre approche est moins chère que l’offre classique en promotion immobilière. Comment faites-vous ? 

Dans un projet immobilier classique, il y a de nombreux intermédiaires. En conséquence, les budgets modestes sont aujourd’hui obligés soit de s’éloigner du cœur des métropole pour faire bâtir. Sinon, ils restent locataires sans pouvoir accéder à la propriété.

Lorsque nous supprimons le promoteur, nous réalisons ainsi une économie qui de l’ordre de 500€ à 1000€ par m2 construit. C’est ce que l’on appelle l’auto-promotion. C’est la filière courte de production de l’habitat.

Venons-en à Clermont-Ferrand. Vous avez remporté, avec la ville, l’appel à manifestation d’intérêt  porté par la Banque des Territoires pour la mise en œuvre du concept BAMBA dans le quartier de la Grande Plaine. Expliquez-nous cela. 

En 2018, la ville de Clermont-Ferrand a lancé un appel d’offres pour achever le développement de son éco-quartier La Grande Plaine, situé à Champratel dans les quartiers Nord. 

Démarré en 2011, ce projet s’est d’abord traduit par la démolition de tours et la création de grands parcs et d’espaces publics de qualité. Des premiers programmes d’immeubles collectifs éco-conçus sont ensuite sortis de terre. L’objectif était de proposer à la vente ces logements neufs. 
Malheureusement, la commercialisation de ces logements s’est avérée difficile. Faute de candidats, une partie importante des premiers programmes du quartier a été transformée en logements sociaux, et la mixité sociale désirée n’a pas été au rendez-vous. 

La ville a souhaité, en 2018, changer d’approche pour les macro-lots restants qui représentent un programme de 150 logements.
Nous allons développer ce quartier selon la méthode innovante BAMBA. Nous allons tout d’abord les viabiliser en les raccordant aux réseaux existants d’eau, d’électricité, etc. Ensuite, nous pourrons proposer directement à des particuliers, des micro-lots sur-mesure. Chaque projet sera défini en fonction des besoins et des budgets de chaque porteur de projet.

La Banque des Territoires a lancé quant à elle un Appel à Manifestation d’Intérêt pour identifier et soutenir des « démonstrateurs de la ville durable ». Le concept BAMBA retenu par la ville de Clermont-Ferrand est lauréat de cet appel.
C’est en effet une façon radicale de réorganiser la production de logements denses en France. À nous maintenant de faire la preuve de ce concept.

Concrètement, comment cela va-t-il se déployer dans le temps ?

Dès le second trimestre 2022, nous allons créer, avec la ville, une série d’événements pour faire connaître le projet et ses principes au grand public.

Tout est envisageable avec BAMBA. De la petite maison individuelle, à l’habitat participatif, en passant par des projets d’auto-construction. L’objectif est d’accompagner les porteurs de projet de A à Z dans la définition de leur projet. 

Nous allons également débuter notre recherche de partenaires professionnels qui sont sensibles à la démarche que nous portons et qui souhaitent construire, pour ces futurs habitants, dans le quartier de la Grande Plaine. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Nous voulons rendre la ville, et plus spécialement la maison avec jardin en ville, accessible au plus grand nombre. Les petits salaires doivent pouvoir accéder à la propriété dans les métropoles, à proximité des services, des emplois et des équipements, et ne pas se retrouver excentrés en troisième couronne. 

Je pense qu’il y a également un vrai sujet autour de la beauté des villes. Ce n’est pas une problématique superflue, c’est essentiel. Il est question ici de l’acceptabilité sociale des projets urbains. Il faut qu’ils correspondent au cadre de vie auquel les citoyens aspirent. Nous portons l’idée qu’avec une ingénierie innovante très en amont, on peut concilier impératif écologique avec l’ambition de bâtir une ville qui soit belle et abordable.

Dans la tête d’Amandine Hernandez

Ta définition de l’innovation : quelque chose qui change radicalement la donne, une vraie plus value positive, pas du bullshit qui ne change rien.

Une belle idée de start-up : révolutionner la formation aux métiers techniques du bâtiment pour en faire des métiers de rêve

La start-up qui monte : Villes Vivantes 😉

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : dans mes rêves et ceux de mes amis

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : NEUFERT Architects’ Data

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Tiktok : “You want to bamba” Goya Menor & Nektunez – Ameno

une femme qui t’inspire/experte : ma grand-mère 

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Paul Lempérière, mon associé

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.