Entretien / Benoît Garachon, le pari du crowdfunding

Entretien / Benoît Garachon, le pari du crowdfunding

Par Damien Caillard
et Cindy Pappalardo-Roy

Dans le panel des financements disponibles pour les porteurs de projets innovants, le crowdfunding tient une place de plus en plus appréciée. En Auvergne, un des principaux experts en est Benoît Garachon, co-fondateur de la plateforme Domecrowd. Après avoir conseillé les créateurs / repreneurs d’entreprises dans le Point Création d’Entreprises, il a choisi de se lancer dans cette aventure en pariant sur l’ancrage local des projets et l’intérêt des communautés.


Accéder au résumé/sommaire de cet article


Tu suis beaucoup d’événements et d’initiatives dans l’écosystème local. Comment es-tu arrivé dans le monde entrepreneurial ?

Je suis tombé dans la création d’entreprise en cherchant du travail : j’ai candidaté à une offre d’emploi pour un consultant en création et reprise d’entreprise. En 2013, j’ai commencé ce poste chez GMP Conseil en tant que chargé de développement. Le but était de créer un réseau de contacts autour de la création et reprise d’entreprise, pour promouvoir nos services.

Ensuite, sous l’impulsion de Christophe Guérin, le dirigeant de GMP, en 2014 le Point Création d’Entreprise (PCE) a été lancé. C’était une association qui avait pour but d’informer et d’orienter à la création et reprise d’entreprise. J’étais responsable de l’agence, des partenariats et chargé d’information et d’orientation. Elle était boulevard Côte Blatin, avant d’être rapatriée rue de la Michaudière.

Comment fonctionnait le PCE ?

J’ai rencontré 250 porteurs de projet durant la première année… Les gens étaient en demande d’information, et on avait des pôles (banque, expertise comptable…) avec de la documentation liée à chacun des acteurs de cet écosystème.

Au PCE, rue de la Michaudière, près de Gaillard. Un petit local plein d’informations pratiques sur les « pans » de la création d’entreprise : financement, communication, commercial …

Notre mission consistait à informer et orienter : je recevais le porteur, j’analysais son projet et son état d’avancement, pour ensuite lui indiquer les démarches qu’il restait et l’orienter dans le réseau d’acteurs locaux. Les privés étaient en partenariat, comme les banques, les assurances, les organismes de prévoyance, etc. ; mais on orientait vers tout le monde.

Quels étaient les objectifs à ce moment-là ?

Le but pour GMP était de regrouper en un endroit physique de l’information sur tous les acteurs de la création et reprise d’entreprise. Et de les aider à identifier les aides auxquelles ils pouvaient prétendre. Mais il était important d’avoir plusieurs avis, et je poussais les gens à aller aussi à la CCI*, la Chambre des Métiers … Ce que j’appréciais, c’était que je pouvais passer du temps avec les porteurs, et creuser leurs problématiques. Le PCE était d’ailleurs gratuit pour eux.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin …

En 2016, mon contrat s’est terminé. Je suis cependant resté actif au sein de l’association PCE pendant encore une année.

« Ce que j’appréciais [au Point Création d’Entreprises], c’était que je pouvais passer du temps avec les porteurs, et creuser leurs problématiques. »

De mon côté, je n’ai jamais senti de tension avec les institutionnels ou les consulaires. On avait notre place dans l’écosystème. Par exemple, on proposait des ateliers d’une demi-journée, thématiques, qui étaient assez courus. Et on avait une approche transversale, on connaissait bien tous les mécanismes et on prenait le temps de les expliquer. Le constat, c’était : ne restez pas seul ! Allez discuter avec les acteurs spécialisés. C’était une expérience extrêmement enrichissante.

De quelle façon as-tu rebondi ?

J’avais fait des études de gestion d’entreprise et avais une licence pro en carrière de la bancaire et de l’assurance. J’avais le bagage théorique, mais c’était l’occasion pour moi de m’auto-former au contact des professionnels du terrain. Surtout, j’ai pu m’enrichir en croisant des points de vue très variés, et j’ai monté en compétence pendant quatre ans, “sur le tas”.

Benoît participant à un atelier organisé par le Connecteur en 2017

Enfin, cela m’a permis d’apprendre les codes de la création d’entreprise. Et ils sont à la fois nationaux et locaux, car il y a des aides spécifiques qu’il faut comprendre. Ça, je continue à m’actualiser dessus. Il y a aussi l’aspect généraliste comme avec les statuts juridiques, les lois de finance… Des particularités et des mécanismes assez subtils que j’ai appris à analyser et à comprendre.

C’est grâce à cette expérience et l’accumulation des compétences que tu en es venu à créer ta société : Domecrowd.

À l’origine, je n’avais pas de projet de création d’entreprise. Je n’avais pas ressenti l’envie d’entreprendre ! Mais c’est venu en 2016, avec David Ramirez avec qui nous avions partagé un petit déjeuner professionnel : on s’est retrouvés sur la notion de crowdfunding. On s’est rendu compte qu’il manquait un réel outil territorial dans ce domaine.

Benoît et son associé, David Ramirez

Ça impliquait de créer une activité, et Domecrowd – le projet – est né à ce moment. Je me suis dit que je devrais en parallèle créer une entreprise individuelle au sein de laquelle je me présente comme conseiller et formateur. Je fais notamment des recherches de financement. Toutes ces activités sont dédiées aux créateurs et aux repreneurs d’entreprises.

Au final, le projet qui me motive à long terme, c’est Domecrowd. Je suis actuellement à 50/50 entre les deux activités, mais Domecrowd, c’est un besoin évident…

Petit pitch de Domecrowd ?

C’est une plateforme de crowdfunding en dons, avec ou sans contrepartie, dédiés aux projets de création, reprise et développement d’entreprises en Auvergne-Rhône-Alpes. Notre créneau est celui d’un crowdfunding territorial et de proximité (au sens des contacts humains). Avec David, mon associé, nous passons un temps important à l’élaboration de campagnes avec les porteurs de projet. On le voit, c’est un outil de levée de fonds !

Quels conseils donnes-tu à celles et ceux qui souhaitent lancer une levée en crowdfunding ?

Avoir des contreparties attrayantes, du symbolique (remerciement, affichage), à l’expérience (partage du quotidien) au matériel (forme de pré-vente). Ce ne sont jamais des parts, car c’est du don ! Il ne peut pas y avoir de contrepartie financière, ni de retour sur investissement.

Domecrowd est régulièrement pitché par Benoît sur le territoire. Ici le 7 février dernier devant les membres de l’association Silicon Velay, au Puy.

Autre conseil : définir un objectif réalisable. On a un système de “tout ou rien” : si on n’atteint pas les 100% de l’objectif à la fin d’une campagne (qui dure au maximum 2 mois et demi), le projet n’est pas validé et les fonds sont renvoyés à tous les contributeurs. Sans gain pour Domecrowd ni pour le porteur de projet. On marche au résultat, on ne touche notre commission que si la campagne fonctionne.

La clé principale, c’est d’avoir une communauté à mobiliser. Aussi, d’être un communiquant – ou de le devenir. C’est une démarche qui est longue et intense, surtout pendant la durée de la campagne. Par exemple, l’animation de la communauté sur les réseaux sociaux, le plan média, la publication d’actualités… Le but est de fédérer autour du projet. D’ailleurs, le slogan de Domecrowd est : “c’est en fédérant qu’on devient grand”.

Des exemples de projets qui ont appliqué ces conseils ?

On a eu deux projets : “L’Auvergne à votre porte”, vente de produits alimentaires locaux en circuits courts. On a atteint 113% de l’objectif avec 6205 € de contributions, la campagne a été bien déroulée. Second projet : “L’école du micro”, qui proposait du media training pour que les associations – TPE, PME -, puissent capter les médias. Succès aussi, 102% avec 2295 € !

« La clé principale, c’est d’avoir une communauté à mobiliser. »

Avec ces deux porteurs, on a beaucoup travaillé notamment sur la mise en forme de la page projets, sur les visuels, comment communiquer et auprès de qui. Il était capital de bien délivrer le message, à quoi sert le financement, comment mobiliser les réseaux.

Quel est le process de Domecrowd pour accepter (ou non) des projets sur sa plateforme ?

On a un processus particulier de sélection, avec des comités de sélection internes à la plateforme avec des professionnels. Cela se fait sur la base du business plan, mais il y a aussi une question de timing et de disponibilité du porteur. On n’est pas là pour capter du volume, on veut du qualitatif. On doit se permettre de dire à des porteurs qu’il faut attendre quelques mois pour être plus serein.

« On n’est pas là pour capter du volume, on veut du qualitatif. »

Le but de la plateforme est que les habitants puissent venir et ne trouver que des projets territoriaux, et donc une communauté territoriale, plus susceptible de contribuer sur des projets locaux. C’est un intérêt qu’on remarque dans plusieurs régions depuis quelques années, en Bretagne, en Aquitaine.

Aujourd’hui, quels sont tes objectifs ?

Notre objectif est de développer l’activité économique locale ! Personnellement, je suis beaucoup sur l’aide aux nouveaux porteurs de projets. On peut également accompagner des PME existantes.

Clermont est un bon territoire pour la création d’entreprises. Mais il y a des difficultés à financer de la trésorerie, du besoin en fonds de roulement. Il y a moins d’aides, et j’ai croisé plusieurs porteurs dont les projets étaient prêts, mais qui n’ont pu être lancés parce que les financements n’étaient pas trouvés. Le crowdfunding est nécessaire, mais il vient s’imbriquer dans d’autres mécanismes, comme les subventions, les prêts bancaires…

Quelle est ta vision sur l’écosystème local ?

Pour moi, il fonctionne bien. Il communique de manière assez fluide : un même porteur peut être suivi par un incubateur, la CCI, être en contact avec nous, etc. et ça marche. Le problème le plus prégnant aujourd’hui est pour moi la difficulté d’obtenir des financements.

Parmi les dispositifs de communication, tu suis activement les Uphéros…

Ils permettent de mettre en avant des initiatives du territoire, ce que nous faisons avec nos porteurs de projet sur DomeCrowd (au-delà de l’outil de levée de fonds). Ils sont un moyen pour les porteurs de projet, présents ou prochainement présent sur notre plateforme, de communiquer et de faire connaître leur projet aux participants des Uphéros.

« Le problème le plus prégnant [de notre écosystème] est pour moi la difficulté d’obtenir des financements. »

De plus, les interviews vidéo que vous proposez sont très intéressantes pour eux et leur permet de diffuser leur pitch auprès de leur communauté et plus encore… La connexion entre les Uphéros et DomeCrowd est évidente et permet de mettre en avant les deux initiatives.

 

*la CCI proposait et propose toujours un service similaire au Point Création d’Entreprise, mais avec une approche consulaire


Pour en savoir plus :
le site de Domecrowd


Entretien réalisé le 28 janvier à Epicentre Factory par Damien Caillard. Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy, puis relus et corrigés par Benoît.
Visuels fournis par Benoît sauf la photo de Une, par Damien Caillard pour le Connecteur.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #PointCréationd’Entreprises – Très tôt, Benoît s’est orienté vers le domaine de la création d’entreprise. Pas en lançant un projet mais en aidant les autres « porteurs ». Ce fut l’objet de son premier poste chez GMP Conseil en 2013, en tant que consultant. Puis au Point Création d’Entreprises, un local dédié à présenter les aides concrètes pour les créateurs et repreneurs, et à les orienter. Benoît appréciait d’y rencontrer des centaines de porteurs de projets et de les orienter vers plusieurs acteurs de l’entrepreneuriat en local, gratuitement !
  • #Expérience – De ces années passées en conseil et accompagnement de porteurs, Benoît retient une idée forte : « ne restez pas seul, faites-vous aider ». Il note également la fluidité de la communication et de la coopération avec les institutionnels, notamment les acteurs consulaires. Chacun avait sa place, son rôle, généraliste comme expert. Au final, Benoît avait suffisamment maîtrisé les codes de la création d’entreprise pour se lancer dans un nouveau projet.
  • #Domecrowd – En 2016, Benoît rencontre David Ramirez, et ils décident ensemble de se lancer dans leur propre projet, toujours au service des entrepreneurs : une plateforme de crowdfunding auergnate baptisée Domecrowd. Elle propose aux porteurs de récolter des dons d’internautes, sans contrepartie, pour des projets sur le territoire de la grande Région. Le pari est celui du territoire et de la proximité humaine.
  • #ConseilsCrowdfunding – Comment réussir sa campagne de crowdfunding ? Benoît conseille de travailler ses contreparties qui doivent être originales et attrayantes. Egalement, définir un objectif réaliste (les dons n’étant versés que si le montant est atteint). Enfin, être un bon communicant, car il s’agit avant tout de mobiliser une communauté !
  • #ProcessusSélection – Pour garantir la qualité des projets, Benoît s’entoure de professionnels qui l’aident à sélectionner les initiatives mises en avant sur Domecrowd. Il se peut même qu’il conseille à un porteur pas assez « mûr » d’attendre un peu … Les internautes doivent trouver des projets locaux attrayants et avec du sens. L’objectif final de Benoît à travers Domecrowd est bien de développer l’activité locale.
  • #ÉcosystèmeLocal – De par ses années passées à aider des porteurs de projets, Benoît a un regard plutôt positif sur le niveau d’accompagnement du territoire clermontois. La fluidité entre acteurs est bonne, la communication se passe bien, des événements (notamment les Uphéros, dont Benoît est partenaire via Domecrowd) permettent de valoriser les initiatives. Il regrette cependant la difficulté à financer de la trésorerie, et la raréfaction des aides. D’où l’intérêt d’une plateforme comme Domecrowd.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.