Cadrage / L’innovation, sauveur ou fossoyeur de la planète ?

Cadrage / L’innovation, sauveur ou fossoyeur de la planète ?

Par Damien Caillard

L’innovation à la barre des accusés ? On n’y est pas encore complètement, mais la remise en question fondamentale du rôle “constructif” et progressiste de l’innovation se fait de plus en plus entendre. En particulier dans le cadre de la menace la plus existentielle que nous ayons connue : le changement environnemental.

Dégradation du climat, multiplication des événements extrêmes, effondrement de la biodiversité et des ressources … nous connaissons le tableau qui commence à se dessiner sous nos yeux (la sécheresse de 2019, très marquée en Auvergne, nous l’a rappelé). Il faut bien trouver une solution, ou tout du moins en chercher une … quel peut être le rôle de l’innovation face à cette menace ? Notre avenir passera-t-il par le “verdissement” de toutes les technologies, le changement de modèle énergétique pour devenir 100% renouvelable, la prise en compte de la recyclabilité des matériaux ? Ou, au contraire, l’innovation telle que nous la connaissons n’est pas qu’une fuite en avant, créant de nouveaux problèmes environnementaux au fur à mesure qu’elle résoud les anciens ? D’ailleurs, en tant que fille du capitalisme et du libéralisme, l’innovation n’est-elle pas à la racine des problèmes environnementaux d’aujourd’hui ?

La formulation est un peu provocante mais la pensée ne l’est pas. Nous verrons à travers notre dossier thématique de novembre-décembre plusieurs points de vue et retours d’expérience d’innovatrices et innovateurs de notre territoire, qui permettront de tempérer ces propos. Même s’il n’y a évidemment pas de réponse claire à cette question, nous espérons que ces contenus vous apporteront quelques pistes de réflexion pour aller plus loin et choisir votre voie. Commençons donc par quelques considérations d’ensemble.

La tech, une grande gourmande

Nous sommes tous nés, ou nous avons grandi, entourés de technologie … et plus précisément de high tech. La haute technologie, que l’on retrouvait aussi bien dans notre environnement immédiat (surtout depuis la généralisation des ordinateurs et d’internet) qu’en filigrane dans le monde moderne (industrie, énergie, spatial, alimentation, médecine …).

Le numérique consomme de 7 à 10% de l’énergie mondiale disponible (selon les sources), et c’est le secteur économique qui connaît la plus forte croissance dans ce domaine.

Problème : cette high tech ne s’encombrait pas vraiment de considérations environnementales. Comme la quasi-totalité des acteurs socio-économiques jusqu’alors, les inventeurs, producteurs, et consommateurs, considérions que les ressources étaient infinies, que seul leur prix et leur disponibilité immédiate constituait un paramètre économique pertinent, et que ce qui se passait en amont (extraction, synthèse ou transport) comme en aval (recyclage, élimination) ne nous concernait pas.

Avec bientôt 8 puis 9 milliards d’humains biberonnés au mode de vie occidental – qu’ils le vivent ou qu’ils le désirent – l’équation n’est plus tenable à long terme. Plusieurs acteurs tels que la FING, Fondation Internet Nouvelle Génération, appellent à un modèle plus vertueux du numérique – comme lors de l’intervention de Jacques-François Marchandise à Turing22 le 3 octobre dernier, sur le programme RESET.

Mais d’autres acteurs parient sur une accélération des innovations dans plusieurs domaines, qui nous permettrait de sortir de l’ornière polluante et énergivore une tech digitale enfin mise au service de l’environnement. Ce sont les démarches transversales de la Smart City, ou celles – plus policito-économiques – du Green New Deal avancé notamment par Jérémy Rifkin, essayiste à succès et grand pourfendeur de la civilisation du pétrole.


Dans notre dossier ce mois-ci, trois contenus d’acteurs auvergnats autour de l’impact de la tech sur l’environnement :

  • Entretien avec Clément Neyrial, fondateur de CN Industrie à Brioude et un des plus fervents défenseurs de l’énergie électrique selon Tesla – publication le samedi 23 novembre à midi
  • Reportage vidéo sur PrevSem, ou la data au service de l’agriculteur connecté avec Emmanuel Ranc de YesItIs et Emmanuel Buisson de Weather Measurespublication le mardi 3 décembre au soir
  • Pastille « l’inno vue par » Jean-Anaël Gobbe de Aristys Web, l’agence qui porte haut les valeurs de l’éco-conception dans le numérique – publication le mardi 26 novembre au soir

D’un monde fini à un monde infini

C’est compliqué les ressources : certaines sont infinies quand elles tombent du ciel, d’autres stockées, extraites, brûlées ou transformées, d’autres encore renouvelables parce que recyclées indéfiniment par la nature … mais, là aussi, tout est question de point de vue.

L’eau, par exemple, fait partie d’un grand cycle. On l’a tous appris à l’école. Le problème est que ce cycle peut être grippé : l’eau peut tout à fait disparaître d’un endroit préalablement bien arrosé – comme le Sahel – ou se déverser en trombes dans des endroits qui bénéficiaient de pluies modérées.

L’unité de méthanisation de la ferme Sockeel à Somain, dans le Nord (source Wikipédia). Ces grands dômes font fermenter des « déchets verts » issus des récoltes, et le transforment en gaz aussi utile que le gaz naturel issu du pétrole.

L’énergie du soleil, celle du vent, de la marée, des entrailles de la Terre sont par nature illimitées, mais la manière de les capter, de les transformer en électricité, de stocker cette dernière ou de la diffuser peut poser problème : quel est vraiment le bilan environnemental sur toute la chaîne de valeur – de la fabrication au recyclage – d’une voiture électrique par rapport à son équivalent thermique, par exemple ?

Comme disait ma grand-mère, « on va pas pousser mémé dans les orties », ni jeter le bébé avec l’eau du bain … bref, toute techno a un impact sur l’environnement, la clé étant dans les usages et le cycle de vie des produits. C’est là que les notions de recyclage, de réemploi, voire de non-emploi prennent toute leur valeur. Sans parler des questions sur les matériaux d’une part, et sur les processus parfois à l’échelle territoriale pour faire « circuler » l’économie, d’autre part.


Dans notre dossier ce mois-ci, trois contenus d’acteurs auvergnats autour de l’économie circulaire et des matériaux :

  • Reportage vidéo dans les coulisses du Valtom, où les déchets du tout Clermont se transforment en compost, mâchefer ou biogaz au pôle Vernéa, près de Lempdes – publication le mardi 10 décembre au soir
  • Entretien vidéo avec Rémi Munier de RemixGlass, incubé Cocoshaker 2018-2019 et promoteur d’une approche valorisante de nos ressources – publication le jeudi 21 novembre au soir
  • Pastille « ma première fois » avec Vincent André, charismatique dirigeant de Picture Organic qui fait le pari du « zéro pétrole dans ma veste » – publication le jeudi 5 décembre au soir

Vers un nouveau paradigme

Alors, quitte ou double ? D’un côté, ceux – et ils sont nombreux – qui parient sur l’amélioration du système existant, sans le changer fondamentalement. L’innovation, la tech, la prise de conscience, et le jeu du marché finiront par faire pencher la balance en faveur d’une véritable « croissance verte », respectueuse de la nature mais toujours basée sur les mêmes présupposés globalement libéraux.

Et il y a les autres, ceux qui – comme les « collapsologues », mais pas seulement – craignent que l’effondrement des écosystèmes ne se produise trop vite pour qu’on ait le temps de verdir nos modes de vie et de production. Ceux-là insistent beaucoup sur la nécessité de travailler dès à présent à l’invention d’un nouveau modèle sociétal, qui soit distinct du capitalisme libéral que nous connaissons aujourd’hui.

Difficile de dire qui aura tort ou raison. La notion d’effondrement est un fait historique, avéré pour plusieurs sociétés dans le passé et même au présent – étudié notamment par Jared Diamond dans « Collapse ». Mais il ne s’agirait pas forcément d’un arrêt brutal de l’énergie et des approvisionnements, plutôt une dégradation plus ou moins rapide des conditions de vie (moins d’eau, moins d’électricité …) … et à moduler selon les pays, les cultures, les territoires.

Pablo Servigne, le plus connu des « collapsologues » français, fait débat. Mais il a le mérite de faire bouger les lignes et de nous faire poser les bonnes questions – quelle que soit la réponse que l’on souhaite y apporter.

En clair, rien n’est certain, même si les statistiques du GIEC sur le climat ou d’autres acteurs sur la biodiversité sont assez effrayantes, et pires que prévu. Cela fait dire à plusieurs acteurs des territoires, dont du nôtre, qu’il est de toute façon nécessaire de remettre en cause le paradigme actuel, notre mode de société, pour imaginer d’autres directions à prendre. Des acteurs privés – comme les tiers-lieux, les associations de proximité, et certaines entreprises – et des acteurs institutionnels – comme les grandes écoles, les Parcs Naturels – commencent à prendre de telles initiatives.


Dans notre dossier ce mois-ci, trois contenus d’acteurs auvergnats autour de la transformation environnementale des territoires :

  • Reportage avec les acteurs du Festival des Naissances, initiative portée par les habitants du Livradois-Forez pour une reconquête sociale et écologique de leur territoirepublication le samedi 7 décembre à midi
  • Entretien avec Marie-Pierre Demarty, qui sera présidente d’Epicentre Factory (à partir du 25 novembre) et qui oriente le tiers-lieu historique de Clermont vers la transfo environnementale des territoires – publication le samedi 14 décembre à midi
  • Reportage sur l’initiative autour de l’anthropocène portée par Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin de l’ESC Clermont, pour sensibiliser les étudiants au low-tech et au design thinking par la pratique – publication le samedi 30 novembre à midi

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On ne va pas se mentir, la planète va vraiment mal, et nous en sommes la cause principale. Notre seule arme est notre intelligence et notre adaptabilité. Si l’on considère que l’innovation est justement la capacité à trouver de nouvelles solutions face à l’adversité – que ce soit par la technologie, l’organisation, l’humain … – et si nous prenons conscience des limites – naturelles comme humaines – de notre environnement, alors cette innovation-là ne pourra que nous aider. Quoi qu’il arrive demain, avançons dans cette voie.

Les liens vers les articles mentionnés dans les encadrés seront mis à jour au fur et à mesure de leur publication.

 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.