Cadrage : Mobilités en campagne, mode d’emploi

Cadrage : Mobilités en campagne, mode d’emploi
 Par Pauline Riviere
Alors que le projet de la Loi d’Orientation des mobilités (LOM) doit être examiné par la commission développement durable de l’Assemblée Nationale cette semaine, le 16 mai dernier à Clermont-Ferrand a eu lieu un séminaire pour réfléchir aux « mobilités  pérennes en zones peu denses ». Organisé par le think tank « Nouvelles ruralités » il a permis de rassembler le temps d’une journée nombre d’experts et d’acteurs de la mobilité.

Retrouvez l’intervention complète (vidéo et résumé texte) de Laurent Rieutort, Directeur de l’IADT pour introduire le cadre du débat  « mobilités pérennes en zones peu denses.

Accéder au résumé/sommaire de cet article

Les 15 mesures clés de LOM

source : www.ecologique-solidaire.gouv.fr

En octobre 2018, le gouvernement a présenté ses 15 mesures clés pour entamer une transformation profonde et « améliorer concrètement la mobilité au quotidien, de tous les citoyens et dans tous les territoires, grâce à des solutions de transports plus efficaces, plus propres et accessibles », mais quelle place est faite aux mobilités dans les campagnes ?

un modèle de mobilités à inventer

Comment parvenir à des mobilités pérennes dans des territoires ruraux en conciliant les impératifs économiques avec les enjeux environnementaux et sociétaux ?
C’est ce sur quoi les experts ont débattu pendant ce colloque. Des interventions, des débats et des tables rondes pour présenter un éventail d’initiatives et d’innovations portées par les forces vives des territoires.

On parvient à visualiser à quoi ressemblera la ville de demain, une ville sans voiture qui fait la part belle aux mobilités douces. A l’inverse, nous avons un peu plus de peine  à imaginer à quoi ressemblera la campagne de demain.
Pourtant un consensus tend à s’imposer. Demain dans les campagnes, il y aura toujours des voitures. « Même si les modes de vies évoluent dans les campagnes, il n’y aura pas dans un avenir proche de remise en cause complète du modèle de déplacement »explique Laurent Rieutort, directeur de l’IADT et fil rouge de cette journée.

La voiture semble encore avoir de beaux jours devant elle. Un certain nombre de spécialistes considère que son usage devra nécessairement évoluer. Pour Delphine Pelletier, Responsable affaires pour la startup Clem’, spécialiste de l’écomobilité pour les collectivités, l’objectif à atteindre « c’est un véhicule par foyer, et en remplacement du second, une mobilité partagée sur des temporalités courtes. »
D’autres défendent des voitures plus propres, électriques ou hybrides pour répondre à l’urgence environnementale.
Enfin certains prônent « un nécessaire  basculement culturel pour flécher les investissements vers de la R&D favorisant les mobilités actives. »

Table ronde covoiturage, Colloque 16/05/19 Vetagrosup

Table ronde covoiturage, Colloque 16/05/19 Vetagrosup

Ce foisonnement de propositions rend les orientations stratégiques peu lisibles. Les enjeux de mobilités représentent une des premières revendications du mouvement social des gilets jaunes, souvent associé à cette France dite périphérique et qui englobe ces espaces de vies peu denses.

Une atomisation des expérimentations

Quand on parle de mobilités, nous avons en tête les sujets qui font la une de l’actualité, l’invasion des villes par des trottinettes en free-floating, la question des transports publics gratuits en zone urbaines etc…
On n’entend peu -ou pas- parler des innovations en zones rurales. Pourtant il existe un nombre considérable d’expérimentations sur tous les territoires.

Et c’est bien là le nœud du problème. C’est d’ailleurs ce que le séminaire du 16 mai met en lumière, des mobilités pérennes, cela signifie qu’elles doivent durer dans le temps.
Une expérimentation, un POC (Proof Of Concept) terme utilisé dans la startup nation à une durée déterminée. Bien souvent on ne passe à l’étape ultérieure.  
« C’est très bien d’expérimenter, mais ensuite il faut évaluer. Si l’idée est bonne il faut se donner les moyens de la généraliser. Il est essentiel d’avoir une décision politique au niveau de l’Etat pour accompagner le déploiement. Il ne faut pas laisser les élus locaux se débrouiller tout seul » martèle René Souchon, ancien ministre de l’Agriculture, Ancien Président du Conseil Régional d’Auvergne.

Réné Souchon, Colloque 16/05/19 Vetagrosup

C’est très bien d’expérimenter, mais ensuite il faut évaluer et si l’idée est bonne il faut se donner les moyens de la généraliser. René Souchon

Cependant les choses évoluent. Alors que ces initiatives étaient encore considérées il y a peu  comme alternatives, « on voit apparaître un début de solutions tangibles. On sort des incantations et on commence à travailler sur une logique d’universalité » précise Olivier Jacquin, sénateur de Meurthe et Moselle.

L’innovation en creux

D’où part l’innovation en zones rurales ? Pour Delphine Pelletier « Ce sont les besoins qui vont faire émerger les innovations. Si on va sur un territoire avec un projet de mobilité qui n’est pas souhaité, on peut être sûr que cela va échouer » .
C’est une distinction notable avec ce qui se passe en zone urbaine dense. Y avait-il un réel besoin de trottinettes électriques en libre-service ?
En zones peu denses c’est l’émergence d’uns situation chronique et non souhaitée qui va mettre les acteurs publics et privés autour de la table.

On ne peut pas avoir une approche unique sur les questions liées à la mobilité. Les enjeux et les besoins sont complexes. Il existe sur les territoires ruraux des publics faisant face à des problématiques différentes ; des ménages assignés à la ruralité car peu ou pas mobiles, vulnérables, du fait du coût de la mobilité, et d’autres satisfaits de leurs pratiques. Sans oublier deux publics particulièrement sensibles, les jeunes et les personnes âgées.
« 1/3 des plus de 75 ans dans les ruralités ont une immobilité chronique (une difficulté de déplacement) » note Laurent Rieutort.
« Pour répondre à ces multiples défis il faut une complémentarité dans l’offre : covoiturage, auto-stop, transports à la demandes ou collectifs, et modes doux. Il y a aussi la place pour des améliorations techniques, technologiques ou organisationnelles ».

Face à l’isolement des personnes âgées, la Communauté de Communes de Creuse Confluence propose à des auxiliaires de vie une aide financière pour l’acquisition d’un véhicule propre, assortie d’une rémunération supplémentaire pour le transport des personnes âgées.
« Les auxiliaires de vie sont essentielles pour le maintien à domicile des seniors et elles maillent le territoire. C’est un métier en tension car peu rémunérateur. Cette initiative c’est du gagnant-gagnant »  plaide Vincent Turpinat, Président de la Communauté de Communes.

Un écosystème centré autour de l’humainLexique sur les mobilités

Le modèle métropolitain de l’émergence des innovations par des startups ne peut pas s’appliquer tel quel sur les territoires ruraux.
On ne parle pas d’écosystème mais de collaboration humaine. Souvent  ce sont quelques élus, des associations, des services publics et des citoyens qui vont porter le projet. On trouve des réseaux d’acteurs forts et très impliqués dans les choix des mobilités.
« On entend souvent dire que le cœur de la Métropole facilite les rapports et les échanges. Aujourd’hui grâce au numérique les connexions peuvent se faire même sur un territoire où la population est éparpillée »  Laurent Rieutort.

Il y a tout de même un point de vigilance à ne pas omettre d’après le SMTC « les innovations en milieu rural ont besoin d’être liées pour plus d’efficacité. Elles ont besoin d‘un support. Ce support est souvent apporté par des villes car c’est là que se trouvent les pôles de compétitivité ».
Il n’est pas question ici que ce soit les villes qui façonnent les mobilités des campagnes. L’écosystème urbain serait un facilitateur pour l’émergence des innovations en zones rurales.

Les néo-ruraux premiers consommateurs d’innovations.

Il est possible qu’au départ certains projets aient été mis en place par des collectivités pour séduire les « bobos ».  L’accueil de nouvelles populations est un enjeu majeur pour les communes depuis une dizaine d’années.
Aujourd’hui ce n’est plus le cas, le covoiturage, par exemple, est devenu  une alternative crédible à l’autosolisme même en territoire peu dense.

Pourtant ce sont bien ces nouveaux habitants qui portent une partie du devenir des zones rurales. Sans eux point de salut. Il y aurait donc un risque d’assister à une gentrification de l’espace rural comme ce fut le cas pour certains quartiers de grandes villes.
« Je ne pense pas qu’il y ait un modèle unique de nouvel habitant qui dessinerait à lui seul la ruralité de demain. Les nouveaux arrivants sont extrêmement divers : des actifs, des retraités, des personnes en précarité» souligne Laurent Rieutort.
Il concède néanmoins que de « nombreuses innovations naissent de personnes qui ont beaucoup bougé, c’est la grande mobilité qui fait l’innovation ».

Je ne pense pas qu’il y ait un modèle unique de nouvel habitant qui dessinerait à lui seul la ruralité de demain. Laurent Rieutort

Laurent Rieutort, Colloque 16/05/19 Vetagrosup

Même constat du côté du SMTC. « Je pense par exemple que s’il y a un avenir pour le vélo en zone rurale ce sont sûrement les nouveaux habitants qui vont l’amener. Ils ont une habitude de services qu’ils vont souhaiter retrouver. »
Pour la startup Clem’ « Il est toujours plus facile de faire basculer sur un nouveau mode de transport quelqu’un qui vient d’arriver sur un territoire. C’est aussi lors de changement de vie personnelle que ces questions de mobilités surviennent. Par exemple un nouveau retraité qui devrait racheter un véhicule va se poser des questions ; calculer le coût global de l’acquisition par rapport à son usage quotidien ».  

Vers une nouvelle de vie de campagne.

Même si une gentrification généralisée est peu probable dans la prochaine
décennie, il existe un risque de voir se confronter deux modes de vie très différents. 
Ces spécificités culturelles ne doivent pas être sous-estimées. C’est tout le travail délicat des élus et des associations de faire en sorte que la greffe prenne.

Il faut repenser le vivre ensemble entre les nouveaux habitants et ceux installés de longue date, pour fabriquer une nouvelle société rurale. « Il faut retrouver la vie de village, faite de bon sens et de solidarité ». estime Vincent Turpinat.
L’innovation de demain serait donc une remontée dans le temps.

« Si l’on veut que le milieu rural soit de nouveau attractif il ne faut pas reproduire les villages de banlieues parisiennes. Il faut réinventer une campagne de proximité et de solidarité. Il y a 30 ans il était normal de demander à son voisin s’il avait besoin de quelque chose avant de partir faire des courses. C’est une question de bon sens. ».
Ces gestes simples apporteraient déjà une partie de la réponseface à une population vieillissante et souvent isolée. Il faut recréer du lien entre les habitants des zones rurales.

Le citoyen acteur et moteur

Le mouvement ville-campagne est une tendance de fond. Sept franciliens sur dix souhaitent quitter la région parisienne à la recherche d’une qualité
de vie, d’une alimentation saine et de rapports sociaux normalisés.
Alors oui la voiture à la campagne a encore de beaux jours devant elle, mais c’est toute l’organisation de la vie au quotidien qui va permettre de voir émerger des nouvelles de mobilités durables et pérennes.
La place de l’habitant est centrale dans cette réflexion. Ne pas reléguer les
citoyens ruraux comme des citoyens de secondes zones, tout en leur permettant d’être acteurs et  moteurs dans la mise en place de solutions de mobilités innovantes.

Pour aller plus loin ici

Article rédigé par Pauline Rivière

Crédit photos : Alexis Echegut

(Résumé de l’article, cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #voiture – Pas de remise en cause du modèle de la voiture en zones rurales dans la prochaine décennie. En revanche ce sont ces usages qui vont évoluer vers une mobilité partagée.
  • #Expérimentations – les innovations existent dans les territoires ruraux mais elles ont du mal à se généraliser. Le déploiement des expérimentations évaluées positivement est un enjeu politique majeur.
  • #Innovations – une complémentarité multimodale  est nécessaire car les besoins sur les territoires ruraux sont différents. Nouveaux habitants, public vulnérable, personnes âgées, jeunes.
  • #Ecosystème – les innovation émergent au niveau local grâce à un réseau d’acteurs impliqués mais nécessitent une coordination qui ne peut être effectuée que par les pôles de compétitivité.
  • #NéoRuraux – les nouveaux arrivants sont plus enclins à modifier leurs habitudes en s’installent sur le territoire. les néo-ruraux importent des usages urbains et les adaptent à la ruralité.
  • #ZeVillage – La mobilité en zone rurale doit être pensée en intégrant la proximité et la solidarité. Une tendance de fond recherchée par de plus en plus d’urbains avec un mouvement ville-campagne qui perdure.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.