Christophe Rey « un nouveau parcours Game Developer à Vichy »

Christophe Rey « un nouveau parcours Game Developer à Vichy »

Christophe Rey est maître de conférences à l’IUT Clermont-Auvergne à Vichy. Il s’intéresse depuis quelques années aux opportunités qu’offre l’intelligence artificielle dans les jeux vidéo.
Aujourd’hui, il participe à la construction du tout nouveau parcours « Game Developer » que l’IUT proposera à partir de la rentrée. Une formation qu’il souhaite co-construire avec les professionnels du territoire.

Avant de parler du développement d’un nouveau BUT jeux vidéo en Auvergne, raconte-nous un peu ta vie et ton parcours ?

Christophe Rey : Je suis né en région parisienne et je me suis installé en Auvergne à 17 ans avec mes parents. J’ai toujours été fasciné par les ordinateurs. Je me souviens, je devais avoir 6 ou 7 ans, c’était en 1983, j’étais chez des voisins j’ai vu mon tout premier ordinateur.

Pourtant, j’ai dû attendre mes 12 ans avant d’avoir un premier ordinateur Atari ST. Mes parents étaient réticents, ils avaient peur que j’arrête de travailler à l’école et que je passe la plupart du temps à jouer sur l’ordinateur. En dehors des jeux, j’ai découvert quelques rudiments de programmation en réalisant une image de synthèse avec un logiciel de l’époque : une table en bois avec une boule de verre. La table se réfléchissait dans la boule en verre ! Fabuleux. 

J’ai réellement découvert l’informatique en première année de classe préparatoire mathématiques et informatique au Lycée Blaise Pascal. Ça ne m’a pas convaincu. C’était trop théorique à mon goût. J’ai arrêté la prépa et je suis entré en deuxième année à l’université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand.

C’est donc à ce moment-là que tu “tombes dans la programmation” ?

Oui. C’est là que j’ai vraiment découvert la programmation, et j’ai tout de suite accroché. Ensuite, j’ai fait toutes mes études en informatique jusqu’à ma thèse sur la représentation des connaissances et la formalisation des raisonnements. C’était de l’IA sans en avoir directement le nom.

Pour faire simple, je proposais un raisonnement logique permettant de mettre en correspondance une requête d’utilisateur et des services web.

Après la thèse, j’ai été recruté sur Vichy en tant que maître de conférences au département Métiers du Multimédia et de l’Internet (MMI) et j’ai poursuivi mes recherches au LIMOS à Clermont, une unité mixte de recherche du CNRS et de l’UCA…

On arrive donc au domaine du jeu vidéo. Tu t’es spécialisé là-dedans à un moment ?

Christophe Rey : Oui. J’ai voulu appliquer mon travail de recherche à ce domaine. J’ai toujours gardé une frustration par rapport à mes travaux de recherche qui n’avaient pas eu d’application réelle dans la société. Par exemple, dans le cadre de ma thèse, financée à travers un projet européen, je suis allé jusqu’au prototypage, mais jamais plus loin. En plus d’être un domaine d’application très riche et avec un côté « fun » assez plaisant, les jeux vidéo m’ont semblé être un terrain idéal d’expérimentations et de transfert de technologies. 

Et puis je n’ai cessé de garder un vif intérêt pour le monde du jeu vidéo. Je me suis donc dit que ce serait intéressant d’appliquer mes connaissances dans ce domaine particulier. 

Par ailleurs, en 2016, un groupement de recherche en Intelligence Artificielle s’est monté au niveau du CNRS. J’ai intégré un groupe de travail autour de l’IA et des jeux, créé par Tristan Cazenave de l’Université Paris Dauphine, et Florian Richoux qui était à l’Université de Nantes à l’époque.

Un groupement de recherche du CNRS, à quoi ça sert ?

Ça sert à fédérer la communauté. On fait en sorte que les chercheurs se rencontrent et qu’ils présentent leurs travaux pour ensuite initier des collaborations. Depuis fin 2018, j’ai repris la co-organisation avec Tristan.

On a organisé plusieurs fois des séminaires à Paris. On propose aussi régulièrement le jeudi des séminaires virtuels de 11h00 à midi.

Tu m’as dit que tu travaillais sur un secteur très particulier : les personnages non-joueurs dans les jeux vidéo. Il faut expliquer là !

Christophe Rey : Mon idée, c’est d’appliquer ce que je sais faire, c’est-à-dire, la représentation des connaissances et formalisation des raisonnements, aux personnages non-joueurs dans les jeux vidéo. 

C’est une problématique assez classique. Lorsque vous avez un personnage ou une entité interprété par la machine avec laquelle le joueur interagit, comment simuler de la manière la plus crédible possible un comportement humain pour cette entité.

C’est particulièrement important avec les jeux vidéo à histoires (comme les jeux de rôle par exemple). Quand vous jouez à un jeu et que vous rencontrez un personnage dans un environnement ouvert, il faut que son comportement soit crédible. 

Par exemple, dans une ville médiévale, vous voulez acheter un cheval. Vous allez voir le maréchal-ferrant. À quoi est-il occupé ? Est-ce qu’il y a une différence si vous le croisez à trois heures du matin ou en fin de journée ? Est-ce qu’il est d’un naturel méfiant à la vue de votre armure, etc..

Oui, c’est vrai en fonction des jeux, ces personnages sont plus ou moins réussis.

Tout ça, c’est géré par des techniques d’IA. Actuellement, les game designers recensent tous les cas de figure et les situations possibles. Ensuite, ils vont prévoir le comportement des personnages. On aboutit a une expérience de jeu qui va être intéressante au premier contact, mais répétitive et non réaliste au bout d’un certain temps. Je souhaiterais implémenter des IA plus crédibles.

C’est une problématique assez classique. Lorsque vous avez un personnage ou une entité interprété par la machine avec laquelle le joueur interagit, comment simuler de la manière la plus crédible possible un comportement humain pour cette entité.

Tu veux changer ça et rendre les personnages non-joueurs plus exaltants alors ?

Christophe Rey : En ce moment, avec un doctorant, on essaye de démontrer qu’en utilisant “la représentation des connaissances et formalisation des raisonnements”, on doit pouvoir générer de la diversité. Par extension, on espère générer une meilleure crédibilité. On n’est pas certain d’y arriver, c’est une hypothèse, et nous avons encore deux ans pour la démontrer. On a déjà créé un jeu basique et d’ici quelques semaines, on va pouvoir débuter quelques expérimentations.

Le potentiel est vraiment intéressant pour le secteur de l’industrie du jeu vidéo. Tu es en lien avec des studios et des éditeurs ?

L’industrie du jeu vidéo est probablement en attente de l’application révolutionnaire ou d’un POC suffisamment intéressant pour le financer. En attendant, il y a quelques liens entre des chercheurs et des développeurs, mais ça reste assez restreint.

Dans le cadre de la thèse, je collabore avec un studio indépendant à Nantes, Wako Factory. Je me suis également rapproché de l’association Game Only au niveau régional.

On essaye cependant de créer des ponts avec le groupement de recherche. D’ailleurs, l’AfIA, l’Association Française d’Intelligence Artificielle, propose la semaine prochaine une semaine dédiée à l’IA et appelée PFIA (PlateForme en Intelligence Artificielle) plutôt orientée académique même si tous les industriels sont les bienvenus. L’association a contacté notre groupement de recherche et nous avons co-organisé une des journées thématiques autour de l’IA et des jeux vidéo.

J’ai appris avec joie, que la première formation “jeux vidéo” fait son apparition en Auvergne à l’IUT Clermont-Auvergne. 

Le DUT Métiers du Multimédia et de l’Internet (MMI) dans lequel j’enseigne propose beaucoup de diversité dans les matières enseignées : de la programmation orientée web, toute une partie autour de la création de contenus, de la communication orale ou écrite, de l’infographie, et également un volet audiovisuel. C’est très varié. Et c’est une des très rares filières universitaires (et donc publiques) où l’on peut faire des passerelles naturellement avec le domaine des jeux vidéo puisque les étudiants ont une formation technique solide et voient leurs compétences créatives fortement sollicitées.

En devenant un BUT et plus un DUT, c’est-à-dire, en passant de deux à trois ans d’enseignements, nous avons l’opportunité de proposer des parcours d’approfondissement.

Personnellement, depuis des années, je développe déjà dans le cadre de mes cours, des projets tutorés autour des jeux vidéo. Maintenant, on va pouvoir aller plus loin. Avec d’autres professeurs, nous venons de proposer, et c’est validé, un parcours “game developer” sur 3 semestres.

Et il arrive quand ce parcours “game developer” ?

Les parcours de BUT se déroulent sur les 3 derniers semestres des 3 ans de la formation. Comme les BUT débutent en septembre 2021, le parcours game developer commencera en février 2023. Pour l’instant, nous avons les grandes lignes du programme, mais nous ne voulons pas le monter seuls. Nous allons nous rapprocher des professionnels pour avoir leurs points de vue et nous sommes preneur de tous les conseils. Nous voulons proposer une maquette qui réponde réellement aux besoins des entreprises du secteur.

Il y aura un volume horaire d’environ 700 heures. Nous devons également trouver des intervenants professionnels. Enfin, nous souhaitons tisser des liens avec les entreprises locales pour que nos étudiants trouvent des stages et des emplois en fin d’études.

C’est l’instant carte blanche. Quelque chose à ajouter ?

C’est plus ou moins ce que je disais précédemment. Que ce soit dans la recherche ou dans le cadre du BUT, j’invite tous les professionnels du secteur à nous contacter pour nous faire part de leurs besoins ou de leur envie de nous aider à construire ce parcours.

Globalement, je suis très optimiste sur l’avenir des liens entre industrie et université dans le secteur sur la Région et en Auvergne plus précisément. Il y a beaucoup de choses à construire, et c’est enthousiasmant !

Dans la tête de Christophe

Ta définition de l’innovation : Un théorème démontré, un algorithme testé, un prototype codé, un logiciel développé, et un utilisateur émerveillé.

Une belle idée de start-up : Une start-up développant un moteur d’IA symbolique logique pour les jeux vidéo.

La start-up qui monte : Wako Factory (même si ce serait plutôt le studio qui monte)

Ton jeu vidéo préféré : La série des Elder Scrolls (en joueur solo)

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info ? Les listes de diffusion académiques

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : 

– Dans le domaine des jeux, je dirais les ouvrages de jeux de rôle papier parce que ce sont eux qui nous montrent l’objectif à atteindre en terme d’immersion pour les jeux à histoires et donc qui nous posent les défis actuels de l’IA des jeux vidéo.

– Dans le domaine scientifique, le livre « Artificial Intelligence and Games » de Georgios N. Yannakakis et Julian Togelius qui fait un état des lieux des liens entre jeux (video et autres) et IA, et qui ne demande pas une culture scientifique hyper développée pour comprendre son propos.

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : La série Docteur Who, avec un humour so British, et aussi des histoires vraiment prenantes.

Une femme qui t’inspire/experte : je citerais 3 chercheuses ou enseignantes-chercheuses qui m’impressionnent (dans le domaine de la représentation des connaissances et de la formalisation des raisonnements, sans lien avec les jeux): Marie-Christine Rousset (Université Grenoble Alpes), Marie-Laure Mugnier (Université de Montpellier) et Meghyn Bienvenu (CNRS).

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Chantal Lauby

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.