Comment rendre l’IA plus sobre ? Les pistes à explorer

Comment rendre l’IA plus sobre ? Les pistes à explorer

Céline Patissier est responsable éditorial pour OpenStudio, entreprise spécialisée dans les services numériques. Elle a co-écrit l’ouvrage « IA et environnement : Alliance ou nuisance. Dans cet entretien, nous explorons comment aborder l’IA de manière responsable et durable. Comment éviter une approche techno-solutionniste et encourager la collaboration et l’ouverture dans le développement de l’IA.

Bonjour Céline, pouvez-vous nous parler de votre parcours. Comment êtes-vous arrivée chez OpenStudio ? 

Céline Patissier : Je suis originaire de Thiers où j’ai fait toute ma scolarité avant de rejoindre l’Ouest de la France pour mes études supérieures. J’ai intégré une école de journalisme (qui n’existe plus aujourd’hui) en Vendée. Pendant ma formation, j’ai pu découvrir de nombreux métiers à travers différents stages, notamment à France Bleu et dans des journaux locaux. Mon dernier stage au sein d’une radio associative nantaise a débouché sur un emploi en tant qu’animatrice et journaliste pour l’émission “le 17-19”. C’est là que j’ai tout appris du métier,dans l’associatif on touche à tout,on doit être un véritable couteau suisse.

Vous revenez en Auvergne après quelques années…

Oui, pendant un certain temps, j’ai collaboré avec la radio RVA, le magazine Zap, et j’ai été correspondante de presse. A un moment, j’ai décidé de me réorienter et j’ai travaillé pendant trois ans dans l’immobilier. Je ne m’y suis pas forcément retrouvée et j’ai donc décidé de reprendre une formation de community management pour compléter mes compétences rédactionnelles.

Je me suis mise à mon compte dans la rédaction web, et c’est grâce à des connaissances communes que j’ai rencontré les fondateurs d’OpenStudio. J’ai commencé par des missions en freelance et un jour, Arnault Pachot m’a parlé de son envie d’écrire un livre sur l’IA et l’environnement.

Pourquoi avoir décidé d’écrire un livre sur l’IA et l’environnement ?

Céline Patissier: Arnault Pachot a commencé une thèse sur ce sujet en 2019. En s’interrogeant sur le développement rapide de l’IA, il s’est vite rendu compte des opportunités que permettait l’IA, mais également de son potentiel nocif pour l’environnement. Déjà très attaché au numérique responsable, il a voulu l’appliquer au domaine de l’intelligence artificielle.

J’ai rejoint l’équipe d’OpenStudio en tant que responsable éditoriale et avec Arnault nous avons coécrit “IA et environnement : Alliance ou nuisance” qui est paru chez Dunod en 2022.

Est-ce que vous pouvez nous pitcher OpenStudio en quelques mots?

OpenStudio est une entreprise de services numériques. Nous fabriquons des logiciels, et nous développons des sites sur mesure et des solutions pour le e-commerce. Par exemple, nous éditons en open-source depuis 2005, un CMS e-commerce.

Pour nous, l’open-source et le numérique responsable font partie des valeurs fondamentales de l’entreprise.

Nous sommes implantés à Toulouse, Lyon, le Puy-en-Velay, Paris et Clermont-Ferrand, mais nos origines sont 100% auvergnates. Trois de nos fondateurs viennent du Puy-en-Velay et le quatrième dirige l’agence de Clermont-Ferrand.

Nous allons parler des défis de l’IA, mais avant d’entrer dans le vif du sujet, est ce que vous pouvez balayer les aspects positifs de l’IA ?

Tout d’abord, je tiens à préciser que nous ne sommes pas techno-solutionnistes. Nous ne pensons pas que la technologie va nous sauver. En revanche, il nous paraît difficile de se passer d’outils puissants pour aller plus vite et répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux.

Dans le livre, je prends l’exemple de Félix Michaud un doctorant qui a réalisé des recherches au MIT. Au départ, il travaillait sur un projet de “bio-acoustique” où l’IA n’était absolument pas présente. C’est-à-dire qu’il a placé des capteurs dans une friche industrielle abandonnée pour capter les sons et analyser, entre autres, la temporalité du retour des espèces animales. A quel rythme le “ré-ensauvagement” avait lieu.

Au bout de quelques mois, ils se sont retrouvés avec des milliers d’heures d’enregistrements audio. Les traiter manuellement aurait été impossible, car trop coûteux et extrêmement chronophage !

Ils ont entraîné un modèle d’ IA leur permettant de distinguer les différents sons et cris d’animaux, et donc de trier cette donnée massive. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, c’est bien l’IA qui va permettre de faire aboutir ces travaux de recherches.

Alors l’IA permet d’aller plus vite, mais y a-t-il des secteurs d’activités où elle joue ou pourrait jouer un rôle essentiel ?

Céline Patissier : Il existe tout un travail basé sur l’analyse d’images satellites qui permettent de prédire les risques d’incendies. On trouve également des applications très intéressantes du côté de l’agriculture. Il est aujourd’hui très difficile pour des agriculteurs conventionnels de basculer vers le bio. On doit prendre une multitude de paramètres à prendre en compte. 

Il existe aujourd’hui des solutions de pilotage qui analysent les données recueillies (les exploitations sont de plus en plus connectées.) grâce à des algorithmes. 

Ensuite, ces données sont traduites sous forme d’indicateurs facilement lisibles pour l’agriculteur. Grâce à l’IA, on peut planifier et surtout rationaliser l’arrosage des cultures. C’est aussi grâce à l’IA que l’on peut savoir s’il est nécessaire ou non d’ajouter des pesticides avec l’objectif derrière d’en réduire au maximum l’utilisation.

Dans une optique plus grand public, j’aime beaucoup la solution Ecojoko. C’est un petit boîtier que l’on installe chez soi et qui va nous indiquer quels sont les appareils qui sont les plus énergivores. Ils ont ajouté un côté gamification avec des conseils et astuces pour réguler au mieux sa consommation d’énergie.

Pour autant, les détracteurs de l’IA avancent son impact énergétique. D’un côté on limite certains impacts négatifs mais on en génère d’autres. C’est un peu le serpent qui se mord la queue.

Céline Patissier : numérique représente aujourd’hui 4% des émissions de CO2 et ce chiffre se développe de manière exponentiel. L’IA est une technologie très énergivore. Entraîner une IA peut consommer autant qu’un ménage en un an, et des IA il en existe un très très grand nombre.

C’est une technologie qui se développe à vitesse grand V. Derrière, ce sont des ordinateurs ultra-puissants qui tournent en continu, des serveurs et des centres de données hyper sollicités et toujours plus de terres rares et de métaux qu’il va falloir trouver pour la fabrication des terminaux (capteurs, ordinateurs…). Enfin, ce sont des déchets électroniques qui vont s’entasser dans les pays en développement.

Pour ne pas refaire les mêmes erreurs qu’avec le numérique, comment faut-il penser à l’IA du futur ?

Il ne faut pas vouloir mettre de l’IA partout et pour tout. Dans le livre, nous avons interviewé Mathieu Galle, responsable Big Data et IA chez Vitirover. Ils ont développé un robot autonome qui permet de désherber au pied de la vigne. Dès le départ, ils ont eu une approche low-tech. Ils voulaient un robot le moins énergivore possible. Ils ont plutôt cherché à éviter l’IA que le contraire, et l’ont utilisé qu’en dernier recours.

Chaque porteur de projet, doit se poser la question “Est-ce que l’iA est vraiment utile pour ma solution ?”. Il y a des travaux de recherche pour améliorer la façon de “faire de l’IA”. Le défi principal  est “comment être plus sobre dans notre manière de faire de l’IA. Peut-on faire une IA plus frugale ?”

Aujourd’hui, dans les écoles d’ingénieurs, la génération Z s’est emparée de ce sujet. Quand ils arriveront sur le marché du travail, ils seront déjà sensibilisés. L’Institut du numérique responsable, basé à la Rochelle, fait un gros travail également d’acculturation autour de ces enjeux-là. Si l’on veut continuer à utiliser ces technologies, nous allons devoir trouver de nouvelles solutions.

Enfin, il faut aussi favoriser la reproductibilité. Open AI devait ouvrir les codes de ChatGPT en open source, mais finalement pour l’instant ce n’est pas le cas, ce qui est très dommage. On sait que c’est l’entraînement de algorithmes qui utilise le plus d’énergie. L’open source évite de recommencer à zéro alors que la solution existe déjà. Cela se fait beaucoup dans le monde de la recherche, mais peu dans les labos privés des GAFAMS qui ont pourtant beaucoup plus de ressources. Les enjeux financiers sont tels, que chacun protège ses innovations.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ? 

Céline Patissier : Je pense qu’il est essentiel que toutes les parties prenantes s’emparent du sujet de l’IA et du numérique d’une manière plus large, des décideurs politiques, aux entreprises en passant par les particuliers utilisateurs. C’est un sujet transversal à tous les secteurs d’activité. Il va demander des efforts à tout le monde pour aller vers plus de sobriété.

J’aimerais aussi que l’on sorte des fantasmes qui ont été créés autour de l’IA. Il y a beaucoup d’effets d’annonces dans les médias en ce moment qui desservent la cause de l’IA, avec des titres qui font rêver ou qui font peur. Beaucoup de porteurs de projets revendiquent l’utilisation d’une IA innovante parce que c’est la tendance du moment. Ce terme est devenu très marketing. Il faut remettre l’IA a sa place d’outil mathématiques performant qui se doit de résoudre un problème, et s’ interroger à chaque fois sur son utilité pour qu’elle reste au service de l’humain. 

Gardons à l’esprit que l’IA est un outil très puissant qui peut avoir des effets très positifs, mais qui peut également se révéler très nocif. Il faut donc le manipuler avec vigilance et précaution. 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.