La Semaine de la santé sexuelle 2025 qui se déroule du 2 au 8 juin ambitionne de mieux informer et prévenir. Partout en France, on parle d’IST, de consentement, de grossesses non désirées. Mais un sujet reste toujours en marge : la contraception masculine. Peu de formation des professionnels, et une éducation sexuelle qui oublie les garçons.
Résultat : les femmes portent encore l’essentiel de la responsabilité contraceptive, pendant que les hommes naviguent à vue, entre tabou, méconnaissance et absence d’alternatives validées.
Julian, artiste clermontois, s’est lancé dans une démarche volontaire. Pas pour faire modèle, mais pour montrer que d’autres voies existent. À condition de lever le voile.
Julien, raconte-nous ta vie depuis la crèche ?
J’ai grandi à la campagne et la musique a très vite pris une place énorme dans ma vie. À huit ans, j’avais déjà mes premiers groupes, des tournées, des projets humanitaires. La musique a été un fil rouge : loisirs, sociabilité, passion, travail.
Je suis monté à Clermont-Ferrand pour faire des études d’art du spectacle, parcours arts de la scène. J’ai beaucoup navigué entre les projets : gospel, théâtre, comédies musicales, rock, musique de rue… En parallèle, j’ai aussi travaillé dans l’animation avec les enfants, fait du périscolaire, des colonies, et été professeur de musique en collège, en tant que vacataire.
Après le Covid, j’ai cofondé Lips Challenge, une association de spectacles de lipsync qui mélange danse, playback, maquillage, mise en scène.
C’est finalement un événement personnel – accompagner une partenaire pour une IVG – qui m’a fait basculer sur les questions de contraception masculine. Pour la première fois, je me suis senti pleinement responsable de ma fertilité. C’est là que tout a commencé.
Pourquoi la contraception reste-t-elle aujourd’hui majoritairement une affaire féminine, et quelles conséquences cela a-t-il sur notre manière de penser la sexualité et la responsabilité ?
Historiquement, la contraception a toujours été pensée du côté des femmes. C’est leur corps qu’on a médicalisé avec la pilule, les dispositifs intra-utérins, les implants, et c’est leur charge mentale qu’on a alourdie. Pour les hommes, il n’existe presque rien : ni méthodes reconnues, ni vraie éducation à la fertilité. Résultat, pendant très longtemps, la contraception a été invisible pour nous. On se sent peu concernés, comme si ça ne relevait pas de notre responsabilité.
Même dans l’éducation sexuelle à l’école, on parle surtout aux filles : rendez-vous gynéco, suivi, effets secondaires… alors que les garçons n’ont souvent jamais vu un urologue de leur vie. Ça façonne notre rapport au corps. On croit que la fertilité masculine, c’est abstrait, presque sans conséquence.
En réalité, cette absence d’alternative fiable pour les hommes renforce un modèle : celui d’une sexualité où la femme doit anticiper, contrôler, réparer. Et ça crée un énorme déséquilibre dans la charge mentale liée à la sexualité.
Pourquoi, selon toi, la fertilité masculine reste-t-elle un sujet aussi tabou, et qu’est-ce que cela révèle sur notre rapport à la virilité ?
Toucher à la fertilité masculine, c’est toucher à un imaginaire très fort autour de la virilité. Beaucoup d’hommes associent encore, consciemment ou non, leur capacité à procréer à leur identité masculine. Alors quand on parle de contraception pour les hommes, certains le vivent comme une atteinte à leur virilité.
En réalité, la méthode thermique ou d’autres formes de contraception masculine n’empêchent rien : ni l’éjaculation, ni le plaisir, ni la libido. Mais le simple fait d’en parler soulève des résistances. On se rend compte que la plupart des mecs ne connaissent pas vraiment leur corps reproductif. Ils n’ont jamais été invités à se poser la question de leur propre fertilité, là où les femmes passent très tôt par cette étape avec les premières consultations gynécologiques.
Ce tabou autour du corps masculin, il est culturel. Il nous déconnecte de la compréhension de notre propre fonctionnement. C’est aussi pour ça que la contraception masculine reste aujourd’hui largement marginale.
As-tu le sentiment que les mentalités commencent à évoluer sur la contraception masculine, et si oui, comment cela se manifeste-t-il ?
Oui, clairement, même si ça avance doucement. Depuis que je me suis engagé sur ce sujet, j’ai vu émerger de plus en plus de collectifs en France autour de la contraception masculine, notamment thermique. Ça reste discret, mais il y a beaucoup plus de visibilité aujourd’hui qu’il y a cinq ou six ans. Des médias grand public comme Konbini ou Brut ont commencé à en parler.
Et surtout, on voit un changement générationnel. À nos ateliers, il y a parfois des jeunes de 18 ou 20 ans qui viennent avec leurs partenaires. Ils se posent des questions très tôt, ils veulent partager la responsabilité contraceptive dès le début de leur vie sexuelle. C’est nouveau. Avant, c’était surtout des trentenaires ou des quarantenaires qui venaient après des expériences difficiles.
Même si ça reste une démarche marginale, on sent qu’il y a une vraie demande. Les gens veulent des alternatives, ils veulent pouvoir choisir. C’est encore lent et ce n’est pas institutionnalisé, mais ça bouge, petit à petit.
À ton avis, quels seraient les leviers les plus importants pour que la contraception masculine devienne une option connue et accessible à tous ?
Déjà, il faudrait en parler beaucoup plus tôt. Dès l’éducation sexuelle au collège, on devrait expliquer que la contraception peut aussi être masculine, et pas juste présenter trois méthodes pour les filles et rien pour les garçons. Ensuite, il faut que les professionnels de santé soient mieux formés. Aujourd’hui, très peu d’urologues ou de généralistes connaissent vraiment la contraception thermique ou soutiennent la vasectomie pour des jeunes sans enfants.
Cette absence de connaissance rend les démarches militantes plus fragiles. Tant que ça reste “hors-circuit”, certains les voient comme bricolées ou peu sérieuses, même si elles sont fondées, rigoureuses, et portées par des collectifs très engagés.
Mon but, ce n’est pas de dire ce qu’il faudrait faire, mais de montrer où on en est. Et d’expliquer ce que cette situation implique : un accès inégal, une légitimité contestée, et une responsabilité contraceptive encore largement déséquilibrée entre les genres.
Et plus largement, je pense que ça ouvre un chemin pour d’autres discussions : sur le genre, sur la place des hommes dans l’intime, sur la manière dont on construit nos identités sexuelles. Ce n’est pas juste porter un anneau ou se faire opérer. C’est changer la place qu’on accepte de prendre – ou de partager – dans la vie affective et sexuelle.