Tikographie. Un nouveau média local qui s’empare de la question épineuse de la transition écologique ?
Damien Caillard est un acteur engagé pour son territoire depuis des années. A travers ses portraits, il met en lumière des femmes et des hommes inspirants. Rencontre avec un homme passionné et passionnant. Celui que nous appelons en privé « le cyborg » pour sa capacité à mener de front de multiples projets.
Tu es un peu comme Obelix, tu es tombé dans la marmite du monde de la presse quand tu étais petit. Avant de parler de Tikographie, est-ce que tu peux nous faire ta petite bio ?
Oui, c’est vrai, j’ai infusé dans l’univers de la presse pendant toute ma jeunesse. Mon père a débuté comme journaliste, puis il a monté les échelons, rédacteur en chef, et enfin Président du Groupe la Montagne Centre France. Par ailleurs, je suis d’un naturel curieux et touche-à-tout. J’ai toujours beaucoup aimé écrire. Cette notion, de raconter des histoires se retrouve tout au long de mon parcours.
Après avoir fait Science Po avec une majeure médias, j’ai intégré le Point en tant que stagiaire. Je participais à la rubrique « .com ». Pour remettre les choses dans leur contexte, nous étions dans les années 2000, parler du numérique dans un média national ce n’était vraiment pas courant.
Après une expérience entrepreneuriale dans la production vidéo à Paris, je suis revenu en terres auvergnates et j’ai intégré La Montagne, non pas comme journaliste, mais sur les sujets de stratégie numérique, puis d’innovation. C’est là que j’ai découvert l’écosystème local, les start-ups, les tiers lieux, etc.. Ce bouillonnement m’a fasciné et, avec quelques amis issus de cet univers, nous avons décidé de monter le Connecteur.
Très bien, donc là, on est en 2015. Tu crées le Connecteur, tu le développes… Qu’est-ce qui fait qu’un jour, tu te dis, je veux monter un autre média autour de la résilience. Quel est le déclic ?
Comme je te le disais, je suis d’un naturel curieux. En créant le Connecteur, je voulais faire quelque chose pour le territoire. Le déclic pour Tikographie, je l’ai eu un matin de 2018, en écoutant France Inter et en apprenant en direct la démission de Nicolas Hulot du gouvernement. Ça a été un vrai électrochoc.
C’est à ce moment-là que je me suis dit, : « ok il y a un vrai problème, qu’est-ce que je peux faire à mon niveau pour répondre à cet enjeu majeur de transition écologique ». Assez rapidement l’idée de monter un nouveau média local autour de ces questions a émergé.
Ces questions ? Quelles sont-elles, quelle est la ligne éditoriale de Tikographie ?
Mon sujet, c’est la transition écologique sur les territoires, en particulier sur le territoire du Puy de Dôme. Je suis très attaché à cette notion de proximité.
Tikographie traite des enjeux environnementaux par le prisme de la résilience des territoires. Je suis conscient que ces termes sont galvaudés aujourd’hui. Dans mon esprit, résilience et transition font référence à notre capacité à imaginer un autre modèle socio-économique afin d’être plus en accord avec les limites naturelles de la Terre.
D’ailleurs Tikographie, ça veut dire quoi ?
Alors -graphie, c’est le côté graphique. Derrière ce suffixe, il y a la capacité à raconter une histoire qui ne fait pas que décrire les problèmes, mais qui donne des pistes pour celles et ceux qui auraient envie de faire bouger les lignes.
Quant à la notion de Tiko, cela évoque le cas de Tikopia, une île isolée du Pacifique qui a fait face à un effondrement sociétal résultant de causes environnementales. Elle est parvenue à survivre en se réinventant et en acceptant de changer de modèle de développement.
Jared Diamond dans son ouvrage « Collapse » publié en 2004 détaille précisément la disparition de certaines sociétés comme celle des Mayas suite à la surexploitation de leurs ressources naturelles.
C’est donc une orientation plutôt militante. À qui est-ce que tu t’adresses, mais surtout comment est-ce que tu choisis de t’adresser à eux ?
Tikographie s’adresse à celles et ceux qui s’intéressent aux enjeux environnementaux. Je n’ai pas la prétention de croire que je vais pouvoir faire basculer des climatosceptiques avec les articles que je rédige. Pourtant, je pense qu’il est tout de même possible de sensibiliser plus largement. Il existe de multiples portes d’entrée. Si je prends l’exemple du vélo, en Auvergne, les cyclistes représentent une communauté très importante. En traitant de mobilité durable, on peut parvenir à toucher le grand public.
Le format interview que j’affectionne particulièrement me semble idéal pour faire passer des nouvelles idées. En mettant en lumière des hommes et des femmes, on incarne le propos. La proximité rend l’échange possible, ça humanise le message.
Les sujets environnementaux sont très clivants aujourd’hui. On assiste à un combat d’idées avec deux camps qui s’affrontent. Comment est-ce que tu analyses ça ?
Le dérèglement climatique va avoir des impacts sur nos vies, c’est inéluctable. Une partie de la population est dans le déni, peut-être inconsciemment d’ailleurs. Derrière ce déni, il y a cette peur de devoir sacrifier son bien-être d’aujourd’hui pour des résultats positifs qui ne seront pas forcément visibles dans un futur proche.
On entend beaucoup parler du terme d’écologie punitive, mais il faut faire preuve d’honnêteté intellectuelle : Il est illusoire de penser que les hommes et les femmes vont majoritairement choisir de laisser tomber leur confort personnel. Les concessions sont vécues comme des retours en arrière.
Aujourd’hui nous n’avons pas encore trouvé l’équilibre entre la carotte et le bâton.
Fin du mois, fin du monde. Certains diront que le quotidien est déjà assez compliqué comme ça sans vouloir y ajouter de nouvelles contraintes dans nos libertés individuelles.
La vie en société est faite de contraintes. Aujourd’hui, si quelqu’un m’énerve, je n’ai pas le droit de le tuer. C’est moralement et juridiquement interdit. Il y a un cadre, et par définition, un cadre, ça limite.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les sociétés occidentales ont l’impression qu’elles peuvent tout maîtriser et tout dominer. Il y a une forme de refus de toute contrainte supplémentaire. Regardez les réactions épidermiques autour de la limitation de vitesse à 110km/h.
Peut-être que les réactions épidermiques viennent de l’impression que l’on décide d’en haut sans prendre en considération le quotidien des habitants de certains territoires qui dépendent majoritairement de la voiture ?
C’est vrai. D’ailleurs, lorsque j’étais à la Montagne, j’avais ce rêve un peu fou d’imaginer que l’on pourrait devenir le premier quotidien régional à accompagner les acteurs et les citoyens du territoire dans une meilleure compréhension des enjeux environnementaux.
Je me souviens d’un titre du Parisien, il y a 5 ou 6 ans : “Marre de cet hiver qui n’en finit pas”. Je me suis dit “mais c’est quoi ce truc” : la neige et le froid en hiver, c’est normal et c’est tant mieux. Ce genre d’article, c’est presque du populisme. Voir un papier comme ça dans un journal de cet acabit, c’est vraiment inquiétant.
D’ailleurs, je ne suis pas très confiant dans les médias traditionnels pour traiter des sujets environnementaux. Il y a des enjeux économiques tellement forts derrière….
Comment sensibiliser plus largement alors ?
Tikographie n’est qu’une des branches d’un projet plus large. Parallèlement au média, je développe aussi Sens9. Nous souhaitons sensibiliser aux questions environnementales en entreprises à travers le coaching.
On passe par une mise en condition psychologique. Il faut d’abord identifier nos propres biais cognitifs pour permettre la prise de conscience.
Par exemple, nous avons tous tendance à choisir des sources d’information qui vont confirmer ce que l’on sait ou ce que l’on croit. Quand on réalise que l’on est peut-être prisonnier de nos propres croyances, on peut à ce moment là prendre du recul et analyser nos réactions « épidermiques » sur certains sujets.
Et comment est-ce que tu fais pour ne pas rester enfermé dans ta bulle de filtre ? Comment est-ce que tu appliques ce que tu préconises ?
Lorsque j’écris pour Tikographie, j’essaye d’aller à la rencontre de femmes et d’hommes qui ont des approches différentes d’un sujet. J’essaye de me confronter à la divergence d’opinions.
Par ailleurs, dans le cadre de Sens9, nous sommes en train d’écrire un livre qui regroupe une série d’entretiens d’acteurs engagés sur le territoire, mais, avec des profils vraiment très hétérogènes.
Sortir de sa bulle, ça demande un effort, c’est une démarche proactive.
Et pour conclure cet entretien, quels sont tes projets pour 2021 ?
J’ai mentionné les deux branches du projet global, à savoir Sens9 et Tikographie. Nous avons aussi monté une association “Par ici la Résilience” qui organise des événements pour rencontrer des acteurs locaux du changement.
Le challenge pour 2021, c’est d’arriver à trouver le juste équilibre entre les trois branches qui participent chacune à l’objectif final.
Je suis aussi à la recherche d’un format plus narratif pour raconter le territoire et les défis qu’il va devoir relever dans les prochaines années. Je ne veux pas jouer sur la peur, mais je ne veux pas non plus encourager le déni. Encore une fois, il faut trouver le juste équilibre.
Par exemple, dans le cadre de « Par ici la résilience », j’anime des fresques du climat. Je trouve ce format très intéressant puisqu’il permet une prise de conscience itérative des conséquences de l’action humaine sur tous les écosystèmes.
C’est l’instant carte blanche. Quelque chose à ajouter ?
J’ai deux filles. Chaque jour, je pense à elles et je pense à leur futur. Il faut préparer nos enfants au monde de demain. Ce que je veux dire, c’est que si les adultes d’aujourd’hui sont dans le déni, ils n’ont pas le droit de laisser les jeunes dans l’ignorance. Parce que ce sont eux qui vont être confrontés aux conséquences de nos actions et il faut les armer pour qu’ils soient assez résilients pour y faire face.
Dans la tête de Damien Caillard
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Un vœu pour 2021 : que les acteurs du territoire parviennent à se rassembler autour d’un projet environnemental commun.