Damien Caillard fait partie des ‘historiques’ du Connecteur (lire son portrait). Depuis un an, il a créé Tikographie (lire l’article), un nouveau média consacré aux sujets de la résilience et de la transition écologique. Le Connecteur ouvrant ses « colonnes » à l’expression des points de vue, Damien a eu envie de partager ses réflexions sur le sens qu’il voudrait voir à l’innovation…
La Clermont Innovation Week, c’était la fête de l’innovation. Donc, en hommage à Jean-Pierre Bacri, j’aimerais parler du sens de l’innovation.
Et je m’en vais vous donner une définition un peu personnelle de l’innovation : prendre du recul et se poser des questions que JAMAIS personne ne s’était posée. Comme Steve Jobs qui s’est dit “et si j’utilisais mon doigt au lieu de ce stylet pas pratique”, mais pas que.
Juste faire mieux
Cela est d’autant plus vrai dans le cadre du dérèglement climatique que je suis avec une certaine attention sur Tikographie. Il y a urgence. Il faut réagir vite (vite = moins de 10 ans, donc pas 2050 ou 2080), et il faut des mesures efficaces. L’enjeu est suffisamment existentiel pour y consacrer tous nos efforts, explorer des directions très variées … et faire preuve d’innovation.
Or, j’ai l’impression que beaucoup d’entreprises se contentent d’y répondre en voulant faire “mieux” ce qu’elles font déjà. Utiliser moins de ressources et d’énergie. Economiser l’eau. Générer moins de gaz à effet de serre … Mais pour toujours fabriquer le même produit ou rendre le même service. Simplement, il sera plus “durable” selon leurs propos.
Les innovations recherchées vont, pour la plupart, dans ce sens. Améliorer le process ou la composition du produit. Pour parler de grands groupes locaux, c’est l’histoire du pneu vert Michelin ou de la bouteille 100% recyclable Volvic … jusqu’à, en élargissant un peu, la voiture électrique. En d’autres termes, même objet, même fonctionnalité, mais en plus écolo.
Du moins est-ce le discours officiel, que j’ai notamment entendu durant la Clermont Innovation Week.
Voir plus large
Donc là, j’émets quelques doutes. Attention, retenez vos chevaux, je ne veux pas la mort des entreprises ni la disparition de tous ces produits. Je suis personnellement convaincu que l’on n’arrivera pas à opérer la transition écologique dont nous avons besoin sans les entreprises, et en particulier les grands groupes. Mais à condition qu’ils voient l’innovation de manière plus large que ce qui semble convenu à ce jour, et qu’ils acceptent le principe d’une possible remise en cause de pans d’activité. Ce qui, certes, risque de confronter la logique économique à la logique écologique.
Je pense en effet qu’il y a plusieurs “oeillères” qu’il faudrait faire sauter pour envisager d’autres directions innovantes :
Prendre en compte l’intégralité de la chaîne de valeur d’un produit/service,
… Et pas juste son usage en conditions normales. Si la voiture électrique fait tant débat, ce n’est pas parce qu’elle n’émet pas de gaz à effet de serre en roulant, mais notamment parce que sa construction est très énergivore (sans parler des matériaux employés) et que le recyclage des batteries en fin de vie reste problématique.
Prendre en compte l’ensemble des externalités, négatives comme positives, écologiques comme sociétales.
Pour reprendre l’exemple de la voiture électrique qui est assez parlant, il y a un poids généralement plus lourd à cause des batteries, donc plus d’usure des routes, donc plus d’entretien … et davantage de particules fines émises par le freinage (en cas de disques) et par l’usure des pneus. Au-delà de ces impacts “directs”, restent le fait qu’il s’agit d’un bête “transfert” d’énergie (du pétrole à l’électrique), et que cela élude la question de la place de la voiture en ville notamment (vitesse et dangerosité, occupation de l’espace) quand la majorité des déplacements pourraient se faire en mobilité douce ou en transports en commun
Arrêter de se focaliser sur le CO2 !
Tout le monde parle de bilan carbone, de décarbonation, de transition énergétique … c’est bien mais ce n’est qu’une facette du problème environnemental. Le dérèglement climatique a des impacts monstrueux sur la biodiversité, la ressource en eau, ou la chimie des sols, pour ne citer que ces aspects. Sans parler de la pollution locale et de la nutrition, sans lien direct avec le climat mais qui nous coûte à tous plusieurs années d’espérance de vie en bonne santé.
Accepter la contrainte et l’arbitrage.
Je sais que l’écologie “punitive”, c’est mal, qu’il faut de l’acceptabilité sociale, que la fin du mois est aussi importante que la fin du monde … c’est vrai. Mais il faut aussi être pragmatique : la dégradation du climat et des écosystèmes se poursuit et s’accélère, pendant que l’on débat de la manière de nous sensibiliser correctement à l’écologie. Peut-être faudra-t-il accepter d’être un peu plus “bousculés” que prévu dans nos habitudes. Améliorer son bilan carbone, ce n’est pas QUE changer l’isolation de son grenier, c’est aussi se poser la question de la nécessité de pratiques très émettrices comme les vols en avion, le streaming numérique en haute définition, la consommation fréquente de viande rouge, sans forcément tout arrêter, mais en faisant des efforts.
Accepter d’être bousculé
Si on accepte de faire sauter ces verrous, l’innovation ira beaucoup, beaucoup plus loin que ce qui nous est proposé aujourd’hui. Et on parlera vraiment d’économie “à impact”. Je suis persuadé que l’homme peut changer beaucoup de choses dans son mode de vie, et en bien ! à condition qu’il le veuille … mais ce n’est “que” une question de volonté. Le climat et la nature sont bien moins flexibles que l’emploi et l’économie : des changements de carrières, des réorientations d’activité, ce n’est pas simple mais ça se gère avec de la préparation et des moyens (et l’Etat en a, cf Covid). A nous de nous adapter, et d’innover en ce sens.