Entreprendre à plusieurs : L’union fait-elle vraiment la force ?

Entreprendre à plusieurs : L’union fait-elle vraiment la force ?

Arnaud Courdesses, cofondateur de Babymoov, une entreprise qu’il a dirigée pendant 25 ans avec ses associés Arnaud Thiollier et Laurent Windenberger, revient sur son parcours entrepreneurial. En 2022, ils ont passé le flambeau à une nouvelle équipe de direction. En parallèle, Arnaud s’est toujours impliqué dans des réseaux d’entrepreneurs, notamment en tant que président du réseau Entreprendre en Auvergne. Il est également vice-président de l’association 60 000 Rebonds Auvergne Rhône-Alpes, qui soutient les entrepreneurs après la liquidation de leur entreprise.

Fort de cette expérience, Arnaud et ses associés ont récemment publié L’Art de s’associer aux éditions Vuibert, un livre qui revient sur leur aventure collective. Dans cet ouvrage, ils partagent les clés pour réussir une association d’affaires sur le long terme.

Vous avez récemment publié un livre sur l’art de s’associer. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

En réalité, c’est une idée qui nous a été suggérée à plusieurs reprises. Après avoir quitté les opérations de Babymoov, on nous posait souvent des questions sur notre capacité à être restés associés aussi longtemps. Cela a suscité une réflexion sur la manière dont nous avions réussi à maintenir une collaboration aussi forte pendant 25 ans. On a donc décidé d’écrire ce livre pour partager notre expérience, et souligner que ce type d’association ne fonctionne pas par hasard. Il faut de la complémentarité, beaucoup de communication, et une gouvernance claire.

Si l’on remonte à vos débuts, comment avez-vous pris la décision d’entreprendre à plusieurs ? Et comment avez-vous réparti les rôles au sein de l’équipe ?

Nous étions trois amis d’école de commerce. On s’est associés parce qu’on sentait que nos personnalités étaient complémentaires. Nos compétences respectives se sont naturellement imposées : Laurent s’occupait du développement produit, Arnaud du commercial, et moi des finances et des RH. Ce qui est intéressant, c’est que nous avons aussi pris en compte nos appétences, c’est-à-dire ce que chacun aimait faire. Nos compétences se sont renforcées au fil du temps, mais dès le départ, nous nous sommes appuyés sur nos passions. Cela nous a permis de répartir les rôles de façon fluide. En fait, la clé n’était pas seulement nos compétences techniques, mais aussi le plaisir que chacun prenait dans son domaine.

Après 25 à entreprendre à plusieurs, comment avez-vous géré les évolutions, tant en termes de compétences que d’aspirations personnelles ? les rôles ont-ils changé avec le temps ?

Oui, bien sûr. Il est crucial de rester flexible et de s’adapter aux changements. Par exemple, lorsque nous avons commencé à nous développer à l’international, nous avons dû ajuster nos responsabilités en fonction des langues et des cultures que chacun maîtrisait. Nous avons mis en place une réunion d’alignement tous les six mois. Pendant 25 ans, nous avons pris une journée entière pour discuter des points où nous étions désalignés. C’était souvent des moments intenses, mais ils nous ont permis de résoudre nos différends avant qu’ils ne deviennent des sources de conflits majeurs. Cette méthode nous a aidés à garder le cap malgré les évolutions inévitables, qu’elles soient personnelles ou professionnelles.

Ces réunions d’alignement étaient-elles toujours nécessaires ? Comment faisiez-vous pour aborder les tensions ou les désaccords ?

Absolument, elles étaient essentielles. Nous utilisions une méthode très visuelle : des Post-it que nous collions sur les murs pour regrouper les problèmes par thème. Cela nous permettait d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui clochait. Très souvent, nos désaccords concernaient la stratégie ou les ressources humaines, deux domaines clés qui nécessitent des ajustements constants. Le simple fait d’avoir cet espace pour discuter de manière structurée nous permettait de garder l’harmonie. On finissait toujours ces journées par un bon repas, après des discussions parfois tendues mais productives. Ce genre d’alignement est indispensable si on veut maintenir une association sur le long terme.

Aviez-vous parfois besoin d’un médiateur externe, ou est-ce que tout se faisait entre vous trois ?

À part la toute première fois où nous avons eu l’aide d’un conseil, nous avons toujours géré cela nous-mêmes. Nous avions cette capacité à discuter ouvertement et à visualiser les problèmes avec notre méthode des Post-it. Cela permettait de clarifier les choses sans que les discussions ne deviennent trop personnelles. Ce qui nous a aidés, c’était la confiance mutuelle et la volonté de trouver des solutions pour le bien de l’entreprise. Parfois, chacun de nous devait faire un pas en arrière, accepter que son idée ne soit pas retenue. C’est cette capacité à faire des compromis qui a fait la force de notre association.

Vous parlez de compromis. Est-ce que cela signifie qu’il y a des sacrifices à faire lorsqu’on décide d’entreprendre à plusieurs?

Oui, il y a des sacrifices, surtout en termes d’ego. Dans une association, il faut souvent mettre son ego de côté pour privilégier l’intérêt collectif. Nous avons réussi à créer un « ego collectif », et cela nous a permis de parler à l’extérieur d’une seule voix. Ce genre d’équilibre est fondamental pour éviter les tensions liées à la reconnaissance ou à la répartition du pouvoir. Un autre aspect important est la gouvernance. Nous avons structuré nos discussions autour de réunions dédiées, selon nos rôles : celles des actionnaires, des directeurs généraux, et des directeurs opérationnels. Cela permet de ne pas mélanger les discussions stratégiques avec celles sur l’opérationnel. C’est un autre moyen d’éviter les tensions.

Vous avez vendu Babymoov il y a trois ans. Comment avez-vous géré cette transition ? Était-ce une décision difficile à prendre ?

En fait, nous avions anticipé cette transmission très tôt. Nous savions dès le départ que nous sortirions ensemble, au moment où l’entreprise entrerait dans une nouvelle phase de croissance. C’était prévu, ce qui a permis d’éviter toute tension. Nous avions aussi cette vision commune de développer l’international de l’entreprise. Quand Babymoov a atteint un certain niveau, notamment avec plus de 50 % du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger, nous avons su que c’était le bon moment pour passer la main. Nous étions alignés sur cette décision, ce qui a rendu la transition beaucoup plus fluide.

Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur qui doute de son association actuelle ? Quelles sont les étapes à suivre selon vous pour remettre les choses en ordre ?

La première chose à faire est d’en parler. Trop souvent, les tensions restent sous la surface parce que les associés n’osent pas aborder les problèmes. Il est crucial de prendre le temps de discuter, de faire preuve de transparence et de s’ouvrir à des solutions externes, comme un conseil d’administration ou des experts indépendants. Cela permet de prendre du recul et d’obtenir des conseils objectifs. C’est une approche que je recommande vivement. La gouvernance est un point fondamental que nous avons peut-être négligé à l’époque. Aujourd’hui, je conseille fortement d’ouvrir la gouvernance dès le départ pour bénéficier de perspectives externes.

Vous accompagnez maintenant des start-ups. Quel est votre regard sur l’entrepreneuriat en solo par rapport à l’association ?

Entreprendre seul est un vrai risque. L’association permet de répartir les responsabilités et d’apporter une diversité de points de vue. Nous n’investissons pas dans des entreprises où il n’y a qu’un seul fondateur. Nous croyons fermement que l’association, même si elle peut être source de tensions, est un gage de réussite à long terme. À mes yeux, entreprendre à plusieurs est une force, car on est toujours plus fort ensemble.

Si vous deviez identifier trois piliers essentiels pour qu’une association fonctionne durablement, quels seraient-ils ?

Je dirais qu’il y a trois piliers essentiels :

  1. La complémentarité : Avoir des compétences et des personnalités différentes est indispensable. Si les associés sont trop similaires, cela peut poser problème à long terme.
  2. Une vision commune : Il est crucial de partager une même vision et des valeurs. C’est ce qui permet de rester alignés sur les objectifs de l’entreprise.
  3. La communication : C’est la base de tout. Il faut constamment échanger, parler des désaccords et ne jamais laisser les tensions s’installer.

Que faites-vous aujourd’hui et quels sont vos projets pour les 25 prochaines années ? Vous allez continuer à entreprendre à plusieurs ?

Aujourd’hui, je suis très impliqué dans l’accompagnement d’entrepreneurs, notamment à travers des associations comme 60 000 Rebonds ou en investissant dans des start-ups avec notre nouvelle société, Rise Club. Mon ambition pour les années à venir est de continuer à transmettre mon expérience et d’aider les entrepreneurs à s’épanouir dans leur activité, tout en jouant un rôle positif dans la société. L’entrepreneur est un véritable acteur de changement dans son territoire, et je crois qu’il a un rôle à jouer pour faire évoluer la société dans le bon sens.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.