Par Damien Caillard
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De son petit bureau de la Pardieu, il a permis le lancement de dizaines d’entreprises et de startups en Auvergne. Henri Talamy a supervisé le déploiement de dispositifs d’accompagnement tels que la Résidence Entrepreneurs ou le New Deal. Son credo : aider les repreneurs et les créateurs, fonctionner à l’affect, être humain et humble … pour, au final, participer au développement économique de l’Auvergne.
Quelle est ta vision du développement économique ?
Le « dev éco », ça se passe à la fois au niveau du territoire et au niveau des entreprises. Globalement, cela reste bien plus facile de développer en milieu urbain pur et dur qu’en milieu rural, même si le numérique a apporté beaucoup à ces derniers. Ici, le point clé est la synergie entre les acteurs. Un peu comme une équipe sportive : tu as les avants, la charnière, les trois-quarts … chacun a un rôle à jouer. Dans le cas présent, ce sont les consulaires, les structures dédiées à l’accompagnement des créateurs (comme Auvergne Active, la Boutique de Gestion, Appuy Créateurs, Auvergne Initiatives, le Crefad …), et les acteurs qui relèvent d’une collectivité publique (les communautés de communes, …)
Pour jouer le rôle que tu tiens à l’ARDTA, quels sont tes valeurs cardinales ?
Le facteur essentiel est la proximité humaine. Et ce, même si le numérique contribue à apporter un relationnel différent. Pour moi, ce facteur humain a commencé avec le sport et l’école républicaine. J’étais à Nestor Perret à Clermont, il y avait le prix de maths, de français … et le prix de camaraderie, que j’ai remporté ! J’ai toujours été convaincu qu’il faut être empathique, curieux et ouvert d’esprit. Et savoir rester humble. Côté sport, c’était rugby, tennis, foot … et un record de natation au 100 mètres nage libre à 15 ou 16 ans.
« J’ai toujours été convaincu qu’il faut être empathique, curieux et ouvert d’esprit. Et savoir rester humble. »
Par la suite, l’humain a toujours été un fil conducteur pour moi. Par exemple, donner le goût des bonnes choses aux plus petits : en 1990, j’étais directeur des cantines scolaires à Riom. Je voulais proposer des choses nouvelles aux enfants. On a donc adapté la Semaine du Goût qui avait été parrainée par le journaliste Jean-Luc Petitrenaud, et on était les premiers en France à le faire. Je travaillais avec cinq cuisiniers, épaulés par les chefs étoilés du coin. Le principe était d’offrir aux enfants des mets, qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion de consommer. Comme une terrine maison avec une confiture d’oignon : ce fut un vrai succès, il n’y en avait jamais eu assez !
Quelle est pour toi l’importance de la prise de risque ?
De 2000 à 2007, j’étais directeur général du circuit de Charade. Quand je suis arrivé, je me suis d’abord dit qu’un concert de Pink Floyd y aurait de la gueule ! Mais ça ne s’est pas fait, le groupe étant extrêmement cher. Le changement à opérer – le risque à prendre – était de faire du circuit de Charade un outil de communication pour la région, 90% des clients étant non-Auvergnats.
La question était : si on a le droit de faire dix jours de bruit par an, que fait on du reste du temps ? L’offre que j’ai mise en place était principalement événementielle : présentation de la Seat Leon Diesel 130 chevaux, opérations avec Toyota Europe, Mercedes poids lourds, et même Evobus qui a présenté son bus sans chauffeur en 2005 ! Mais aussi la finale de championnat d’Europe des chiens de traîneaux, ou du championnat du monde de trial.
Tu as ensuite commencé à accompagner le développement économique
Après Charade, je suis arrivé à l’ARDTA* pour remplacer durant 2 mois, Christian Daures, un ami responsable de la MRCE**. Finalement le sort (le décès de Christian) fera que Pascal Guittard [directeur de l’ARDTA] me demandera si je voulais rester. J’aimais bien l’équipe, la dynamique, la mission consistant à développer les entreprises de tous les territoires d’Auvergne.
« J’en avais marre que l’Auvergne soit identifiée à un pays de vaches et de fromage. »
Je sais d’où je viens. Et je me suis rendu compte d’une volonté altruiste, je souhaitais aider les autres pour le bien-être commun. Je cite toujours l’exemple du forfait de ski entre Super-Besse et le Mont-Dore : il a fallu plus de trente ans pour qu’on ait un forfait unique. C’est fou ! Alors que, dans les Alpes, tu as un forfait commun à toute une vallée, voire tout un massif. Et puis, j’en avais marre que l’Auvergne soit identifiée à un pays de vaches et de fromage.
Peux-tu nous décrire ta mission à l’ARDTA entre 2007 et aujourd’hui ?
Mon job consiste à accompagner des créateurs et des repreneurs, qu’ils soient particuliers ou petits groupes qui démarrent. Ça a pu donner de belles réussites : par exemple, les Cycles Victoire, qui ont commencé à trois et qui sont dix maintenant. Globalement, je fonctionne beaucoup à l’affect. En 2010, des Néerlandais venaient prendre un gîte en gérance, mais n’arrivaient pas à faire immatriculer leur Toyota en France. J’avais gardé de bonnes relations avec le directeur Europe de Toyota sur Paris [de l’époque de Charade], et j’ai pu les aider ! Trois semaines plus tard, ils avaient obtenu leur plaque française.
Tu as notamment piloté une initiative unique, la Résidence Entrepreneurs …
C’est un dispositif qui a été inventé par Christian Daures. Il a pour but de mettre le créateur ou repreneur le plus à l’aise possible pour lancer son activité en Auvergne. Avec deux versions : la « courte », tout d’abord, est réservée aux non-résidents. On prend en charge les frais de déplacement et d’hébergement, ponctuellement, pour qu’ils viennent travailler sur la reprise d’une boîte – comme rencontrer les cédants, étudier les bilans, ou chercher un collège pour leurs enfants. Ces démarches sont faites avec deux accompagnants : un référent du territoire, qui connaît le contexte local, et un référent métier (par exemple de la CCI, de la Chambre d’Agriculture …). Cela représente une enveloppe d’environ 1000 €, qui pouvaient être étendus – le principe étant que le dispositif s’adapte au projet.
La deuxième version est la Résidence « longue », pour les créateurs – Auvergnats ou non. On est ici sur de l’anté-création, toujours avec deux parrains. On peut te donner un salaire sur plusieurs mois, initialement de 1 à 6, en portage salarial. Ou bien (voire « et ») prendre en charge une étude de marché, de faisabilité, juridique … Je me souviens d’un couple non-Auvergnat qui est venu fabriquer des glaces artisanales à la Tour d’Auvergne, avec quatre enfants en bas âge. C’était un vrai pari ! Ils ont bénéficié d’une Résidence de six mois et en plus de la prise en charge d’une étude de validation produit/process alimentaire. Aujourd’hui, c’est devenu Sancy Glaces … et ça marche très bien. Les autres réussites auxquelles je pense, ont été le Bus 26, Riot House, Equimov, Whisperies … et même ABGX, qui développe un logiciel de calcul et de contrôle de l’exposition aux radiations pour l’industrie ou les centres anti-cancer : ils sont arrivés à quatre en juin 2015 grâce au New Deal, et ils sont vingt maintenant ! L’objectif, c’est de créer de l’activité et de l’emploi.
Le New Deal a fait beaucoup parler de lui. Quel en était le principe ?
Cette opération voulait principalement répondre aux besoins d’embauche des entreprises auvergnates qui ne trouvaient pas chaussure à leur pied en local. Par exemple, des ouvriers très spécialisés. Si je trouve une personne avec une telle compétence sur Paris, comment la faire venir à Gerzat ? Nous, en plus de l’accompagnement humain, on proposait de prendre en charge les frais de logement pendant les trois premiers mois, ce qui correspond à la période d’essai et permet de se rendre compte. Le New Deal initial avait été lancé il y a quatre ans, puis a été décliné en New Deal Numérique, et en Biotech plus récemment. A la clé, un an de salaire plus un logement !
Mon ressenti sur tous ces dispositifs d’accompagnement est que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Par exemple, Riot House a ouvert une agence à Annecy, et en envisagerait une autre à New York. Personnellement, je pense qu’il faut cinq ans pour bien lancer une boîte. Mais, au-delà du temps d’accompagnement officiel, je reste en contact avec pas mal de monde ! Charles et Mélina du Bus 26, Julien Leyreloup des Cycles Victoire, Arthur Vernes de A-Bsolument 63 … j’essaye toujours de les aider quand je peux.
Que va-t-il se passer en 2018 ?
2018 sera une année de transition. L’ARDTA devrait intégrer Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, l’agence de dév éco de la Région, dont le siège social est à Lyon. L’antenne Puy-de-Dôme sera positionnée sur l’attractivité, domaine pour lequel nous avons une certaine expertise. En principe, on intègrera en juin 2018 les locaux de l’hôtel de Région à Clermont.
Comment vois-tu l’avenir de notre écosystème dans ce contexte de rapprochement lyonnais ?
Dans notre écosystème, on n’a pas de millefeuille administratif mais une salade de fruits : les acteurs y sont complémentaires, dans une certaine mesure. Parce que le montage de projets est globalement le même, les points principaux étant les clients et les financements.
« Il restera toujours un tropisme local pour le développement économique des territoires. »
Je pense que l’opérationnel ne peut qu’être décentralisé. Il restera toujours un tropisme local pour le dev éco. La réalité, c’est que ce sont des petites, des moyennes et des grandes entreprises qui font ce développement économique. Il ne faut oublier personne.
*Agence Régionale de Développement des Territoires Auvergnats
**Maison Régionale de la Création d’Entreprise
Pour en savoir plus :
le site de l’ARDTA
le site de Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises
Propos recueillis à l’ARDTA le 19 novembre 2017, mis en forme pour plus de lisibilté, relus et corrigés par Henri.
Crédits photos: Henri Talamy
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #DevEco / La vision du développement économique (« dev éco ») des territoires passe, selon Henri, par une vraie synergie entre acteurs. A l’image d’une équipe de rugby où chacun joue son rôle, la clé est dans la coordination. En particulier pour les territoires ruraux, bien plus fragiles que les villes.
- #Valeurs / formé à l’école du sport et de la République, Henri a développé très tôt un sens aigu de l’empathie, du service et de l’humilité. Il a pratiqué de nombreuses activités sportives dans sa jeunesse. Dans les années 90, il était responsable des cantines scolaires de Riom, et voulait faire découvrir de la bonne cuisine aux enfants : c’est devenu la Semaine du Goût, encore en vigueur aujourd’hui.
- #PriseDeRisque / En 2000, arrivée comme directeur du circuit de Charade. Son objectif était d’exploiter au mieux l’infrastructure, même en dehors des courses, et de faire de Charade un outil promotionnel pour l’Auvergne. Cette nouvelle activité très événementielle et partenariale a été vécue comme une prise de risque, avec succès.
- #ARDTA / Henri arrive en 2007 à l’ARDTA en remplacement temporaire d’un de ses amis, Christian Daures. On lui propose finalement un poste fixe, en charge de l’accompagnement du dev éco des territoires. Il suit les repreneurs et créateurs d’entreprises, qu’ils soient auvergnats ou non.
- #RésidenceEntrepreneurs / le principal dispositif utilisé est la Résidence Entrepreneurs : en version « courte », elle se destine aux repreneurs, notamment non-Auvergnats, afin de leur faciliter les démarches et de leur financer déplacements et hébergements pour venir étudier le dossier de reprise. En version « longue », elle est pensée pour les créateurs, à travers la prise en charge de plusieurs mois de salaires et/ou d’études préalables. Exemples d’entreprises aidées par Henri : Bus26, Cycles Victoire, Riot House …
- #NewDeal / dans cette logique, le New Deal est une opération de marketing territorial spécialement destinée aux non-Auvergnats, mais en lien avec les besoins des entreprises auvergnates (pour des recrutements pointus). L’ARDTA peut aussi prendre en charge tous les frais de déplacement et de présence pendant le temps de la période d’essai. Le New Deal a été depuis décliné sur le numérique, les biotech ou encore l’industrie.
- #2018 / en 2018, l’ARDTA va fusionner avec l’agence de dev éco régionale, Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises. A l’instar de la douzaine d’autres agences départementales, la future branche du Puy-de-Dôme aura une thématique propre, en l’occurrence l’attractivité. Un déménagement à l’hôtel de Région est prévu pour juin.
- #Ecosystème / « l’écosystème est une salade de fruits, pas un millefeuille » : les acteurs ont tous, historiquement, un périmètre spécifique, souvent complémentaire. Et on a tendance à se retrouver sur les mêmes dossiers, puisque l’accompagnement revient souvent à des notions de business. Quel que soit le degré de centralisation, il existera toujours un tropisme local pour le dev éco.