Vincent Blot est un entrepreneur qui sait où il va. Comment beaucoup d’entre nous, son parcours professionnel pavé d’expériences variées et inspirantes l’ont conduit à porter aujourd’hui un projet qui fait sens pour lui et pour le territoire. Initiative unique en Auvergne, il est en train de développer la première Coopérative d’Activités et d’Emplois autour de l’alimentation. Un projet ambitieux que nous avons décortiqué avec lui.
Nous étions à la recherche d’un projet en émergence autour de l’alimentation et on nous dit mais il faut rencontrer Vincent Blot et son projet de CAE. Nous voilà donc aujourd’hui. CAE, c’est un acronyme mystérieux. Qu’est-ce qui se cache derrière ?
C’est un projet qui s’inspire d’un modèle qui est proposé par une coopérative de l’ancienne région Rhône-Alpes qui s’appelle le GRAP : “Groupement Régional Alimentaire de Proximité”. L’idée est de créer une coopérative qui puisse rassembler des acteurs du secteur alimentaire principalement sur les aspects de distribution et de transformation de produits alimentaires bio et locaux. Nous souhaitons que ces acteurs puissent mutualiser un certain nombre de services, notamment au niveau comptabilité, gestion, gestion de la paie, l’administratif et pourquoi pas de la logistique.
L’enjeu est aussi de proposer de la formation et de l’accompagnement pour des porteurs de projets. Dans ce modèle, chacun gère son activité et mutualise au sein de cette coopérative des services qui lui sont utiles et auxquels il est coassocié.
L’idée est de créer une coopérative qui puisse rassembler des acteurs du secteur alimentaire principalement sur les aspects de distribution et de transformation de produits alimentaires bio et locaux.
Pourquoi te lancer dans cette aventure ? Pourquoi tu t’es dit « Tiens c’est intéressant et je pense que ça pourrait fonctionner en Auvergne » ? A quel problème cela répond-il ?
Ça vient de mon histoire personnelle puisque j’ai repris l’épicerie de mon village à Saint-Bonnet Près Orcival, en créant une SCOP en 2012 avec une autre associée salariée et une association. J’ai eu cette expérience concrète d’épicier. Au final, on était quand même assez isolés sur ce genre de projets un peu alternatifs par rapport aux projets proposés par des franchises habituelles.
Nous avons eu un accompagnement, mais les conseillers bien que très sympas n’étaient pas forcément spécialisés dans les métiers de l’alimentaire. Nous n’avions pas d’outils dédiés et il existe une véritable fragilité économique d’un projet d’épicerie en milieu rural. À peu près au même moment en 2012, se créait le GRAP à Lyon. En 2016, nous avons dû fermer l’épicerie pour des raisons économiques. Après cette expérience, j’ai fait différentes choses et puis l’idée de créer une structure similaire au GRAP de Lyon a germé dans mon esprit.
Tu dis que tu as fait différentes choses. Qu’est ce que cela signifie ? Parle nous un peu de ton parcours.
J’ai 41 ans et j’ai une formation d’ingénieur en agriculture avec une entrée développement rural et développement territorial. Après mes études j’ai travaillé sur du développement rural en Afrique, en République Centrafricaine notamment. Après quelques années sur le terrain, je suis revenu en Auvergne d’où je suis originaire. Un peu, par hasard, j’ai travaillé à la CRESS, ce qui m’a permis de découvrir le milieu de l’ESS et le secteur coopératif. Ensuite, il y a eu l’épicerie pendant quatre ans.
Après cette expérience, j’ai travaillé au Biau Jardin dans l’insertion professionnelle et le maraîchage bio, encore une coopérative, puis à Auvergne Bio Distribution, encore et toujours une coopérative dans le secteur de l’alimentation bio. Et c’est comme cela, que graduellement je suis arrivé à cette idée de coopérative alimentaire en Auvergne.
Après quelques années sur le terrain, je suis revenu en Auvergne d’où je suis originaire. Un peu, par hasard, j’ai travaillé à la CRESS, ce qui m’a permis de découvrir le milieu de l’ESS et le secteur coopératif.
On entend de belles histoires sur les success stories des coopératives. Quand on débute un projet de ce type. Quelles sont les premières étapes ?
C’est la première phase qui a comme objectif de mettre autour de la table les personnes intéressées par le projet afin de constituer le noyau dur du collectif. Il faut que chacun partage une vision, des besoins, et qu’ils soient prêts à se faire confiance pour mettre en commun une partie de leurs activités.
J’ai rencontré individuellement pas mal d’entrepreneurs, sur des activités d’épicerie, de magasin de producteurs, de conserveries…
Une vision ? Et quelle est la vision ?
Au cours de mes échanges certains aspects reviennent : un attachement à l’agriculture biologique, plus ou moins fort en fonction des acteurs, une importance accordée aux modes de production, au savoir-faire artisanal en opposition avec ce qui est proposé aujourd’hui par la grande distribution comme le bio-industriel par exemple. Il y a un vrai attachement aux territoires avec une forte volonté de travailler avec les producteurs locaux. La question d’une vision « humaine » de l’entreprise est centrale aussi.
Par rapport à d’autres territoires et notamment l’ex Rhône-Alpes, comment se situe l’Auvergne sur ces questions d’entrepreneuriat alternatif ?
J’ai l’impression que la région Rhône-Alpes est quand même plus dynamique sur ce sujet-là ou du moins qu’elle s’y intéresse depuis plus longtemps. Pourtant, on voit aussi une évolution sur le territoire auvergnat. De plus en plus de magasins de producteurs voient le jour, j’ai un ressenti personnel sur le fait que les démarches collectives ont l’oreille attentive des partenaires potentiels.
On n’est pas sur de l’entrepreneuriat classique, peux-tu nous parler de ton environnement ? C’est quoi ton écosystème, tes partenaires ?
L’Union régionale des SCOP et SCIC AURA est un acteur incontournable qui nous aide sur les aspects juridiques, statutaires, réglementaires. Je me suis rapproché du GRAP qui est un partenaire technique, avec un transfert de savoir-faire et de l’accompagnement.
Plus localement, je suis en lien avec Nicolas Duraka du CISCA. Il a une entrée « recherche » sur l’innovation sociale dans le domaine de l’alimentation durable notamment. Le CISCA va porter juridiquement mon poste pendant quelques mois afin de réaliser l’étude de préfiguration de ce projet.
France Active est un partenaire financier dédié aux projets de l’ESS. C’est d’ailleurs grâce à France Active que j’ai pu bénéficier du financement de cette étude dans le cadre de leur dispositif “Place de l’émergence”. En travaillant dans les locaux de l’Estran, je suis également en contact avec des associations qui travaillent sur les questions rurales et agricoles comme le CREFAD, Terre de liens Auvergne, Ilôts paysans, la couveuse des espaces tests agricoles, Bio 63, etc.
Derrière une coopérative, est-ce qu’il y a une approche militante ?
Dans une Scop il y a déjà l’idée d’une double qualité. Les salariés sont aussi les associés de l’entreprise. Il y a une gouvernance démocratique derrière. Un homme égale une voix et peu importe le nombre de parts sociales qu’il a dans l’entreprise. C’est la vision de l’entreprise partagée entre les différentes parties prenantes. Et derrière, il y a aussi des règles dans la distribution des bénéfices qui vont prioritairement aux réserves de la coopérative, qui reste une réserve impartageable. Les bénéfices ne vont pas enrichir les actionnaires, mais vont en priorité renforcer la solidité économique de l’entreprise.
Comment peut-on intégrer une coopérative ? Est-ce destiné au porteurs de projets ? Aux entreprises déjà existantes ?
On a deux possibilités, soit, ce sont des créateurs d’activités qui ne souhaitent pas créer d’entreprise. Dans ce cas-là, on est vraiment sur le concept d’une coopérative d’activités et d’emplois. Ces porteurs de projets peuvent intégrer directement la coopérative et exercer leur activité sous son numéro SIRET. De cette manière, ils bénéficient du statut d’entrepreneur-salarié et donc d’une couverture sociale, d’un contrat de travail et de la possibilité de cotiser pour la retraite, Pôle emploi, etc.
La seconde possibilité, c’est d’avoir des activités associées à la coopérative. Dans ce cas, ces activités gardent leur entité juridique propre, mais il y a un échange de parts sociales entre la coopérative et ces entreprises. Par exemple, le GRAP prend 10 % du capital de la structure associée et la structure associé prend du capital dans la coopérative. Et donc ça crée un regroupement d’entreprises qui permet de bénéficier des services mutualisés de la coopérative. C’est donc une opportunité de rejoindre la démarche sans bouleverser leur modèle.
Je pense que la question de l’alimentation durable ne peut pas être déconnectée des questions sociales et territoriales, le bio n’est pas qu’un marché !
Tu es dans la phase “émergence”, quelles sont les prochaines étapes ?
Je suis encore au démarrage, l’objectif, c’est de pouvoir créer cette coopérative fin 2020. Aujourd’hui, le projet prend une tournure un peu plus formelle grâce au financement de France Active. Maintenant, c’est le temps de travailler et d’échanger collectivement avec ces entrepreneurs de l’alimentation pour constituer un collectif qui sera le futur noyau dur d’associés. En ce moment, nous discutons avec une douzaine d’entreprises existantes, mais si on reprend l’exemple du GRAP, créé en 2013, elle compte aujourd’hui 150 entrepreneurs-salariés pour 50 activités.
Parallèlement, nous devons travailler à être identifiés par tous les organismes qui font de l’accompagnement à création d’activité en Auvergne : les chargés de mission de développement économique au sein des collectivités, le CREFAD, les boutiques de gestion, etc. Toutes ces structures qui sont amenées à croiser des porteurs de projets dans le domaine de la distribution et de la transformation de produits alimentaires pour qu’ils puissent nous mettre en lien avec eux et que l’on puisse les accompagner pour qu’ils puissent intégrer la coopérative à terme. L’objectif, c’est d’offrir un cadre facilitant et sécurisant au porteur de projet.
Si on parle utopie. À quoi ressemblerait un territoire autosuffisant dans un monde idéal ?
Je suis quand même attaché à une idée de territoires, de démocratie locale. Ca ne signifie pas forcément du repli sur soi, mais plutôt un modèle un peu fédéraliste. Un territoire qui permet de proposer des produits de qualité aux consommateurs à un prix raisonnable tout en maintenant un certain niveau de rémunération pour les producteurs.
Dystopie, la pire chose qui pourrait arriver ?
La pire alternative serait que la thématique de l’alimentation durable ne soit traitée et reprise que selon un modèle industriel, celui de l’agro-alimentaire et de la grande distribution.
Je pense que la question de l’alimentation durable ne peut pas être déconnectée des questions sociales et territoriales, le bio n’est pas qu’un marché !
C’est l’instant carte blanche, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Si vous avez un projet dans le secteur de l’alimentation bio et locale : épicerie, boulangerie, brasseur, traiteur, restauration, conserveries, boissons végétales, torréfacteurs, cavistes… vous pouvez me contacter. C’est une super aventure humaine alors n’hésitez pas à venir pour co-construire la charte de valeur partagée… Et si vous êtes financeur, on va avoir besoin de vous aussi.
Plus d’informations ? Contacter Vincent : coop.alimentaire-auvergne@mailo.com
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