Et si les agriculteurs de demain venaient des quartiers ?

Et si les agriculteurs de demain venaient des quartiers ?

Sofien Habibi est un entrepreneur fervent défenseur de terroir et de la gastronomie. Son parcours atypique l’a amené à porter de multiples projets autour de ces deux univers. Le dernier en date, de TerTer au terroir rassemble sa passion et ses origines, celles des quartiers Nord de Clermont-Ferrand.

Sofien Habibi, c’est votre parcours assez unique qui vous a construit et qui explique les projets que vous portez aujourd’hui… Racontez-nous un peu …

Je suis né à Clermont et j’ai toujours vécu à Croix de Neyrat. Mon père était maître d’hôtel et ma mère travaillait à la blanchisserie du CHU et nous étions six enfants, trois frères et deux sœurs.

Pendant ma scolarité, j’ai fait le minimum requis et je dois dire que je m’ennuyais pas mal. J’ai vraiment eu beaucoup de mal en arrivant au collège. Je trouvais les horaires peu adaptés et la contrainte de rester assis toute la journée difficilement supportable. J’ai voulu faire un pré-apprentissage à 14 ans, mais ça s’est avéré trop compliqué et j’ai donc opté pour une maison familiale et rurale à Sainte-Florine dans le Cantal. On alterne des périodes en établissements scolaires avec des périodes de stages, le tout, en internat.

Comme j’avais besoin d’argent, je me suis renseigné sur les métiers qui embauchent le plus et c’est comme ça que je tombe un peu par hasard dans la cuisine.

Vous découvrez la cuisine et c’est l’ascension !

Oui. J’ai découvert que j’avais des facilités. Après un an en MFR, j’enchaîne sur un apprentissage sur Clermont-Ferrand dans le restaurant “d’ici et d’ailleurs”. Je travaillais beaucoup et j’ai pu prendre des responsabilités. A ce moment-là, j’ai un peu délaissé le quartier pour me consacrer entièrement à la cuisine. J’avais découvert le monde rural à Sainte-Florine et j’ai eu envie d’y retourner. J’ai intégré pour ma deuxième année d’apprentissage, un établissement familial, l’auberge de la petite ferme à Besse. En saison, le rythme était intense et hors-saison le propriétaire de l’Auberge me permettait d’utiliser la cuisine pour me perfectionner.

Pendant cette année-là, j’ai totalement décroché du quartier et j’ai tissé des nouveaux liens. J’ai rencontré des agriculteurs, j’ai sympathisé avec un curé, j’allais pêcher ou à la cueillette aux champignons. C’était un tout nouvel univers pour moi.

Vous  continuez à vous  nourrir avec d’autres expériences professionnelles bien au-delà de l’Auvergne….

Je refais un passage à Clermont-Ferrand, avant de saisir une opportunité qui me permet d’aller travailler dans un des restaurants du Hilton, l’Hibiscus, à Londres. Après un an, j’ai intégré l’étoilé Michelin, La Palme d’Or à Cannes, puis je suis rentré à Clermont où j’ai pris un poste au Chardonnay.

J’avais 20 ans, et l’envie d’entreprendre a commencé à se faire ressentir. Mon parcours avait fait des émules dans le quartier et des jeunes me demandaient des conseils sur leur orientation sur les métiers de bouche. J’ai commencé à animer des ateliers de cuisine dans les maisons de quartiers….

Et c’est à ce moment que vous basculez et devenez entrepreneur avec plusieurs projets en tête….

Après mon mariage en 2012, je lance une activité de traiteur et de cuisine à domicile à destination des habitants du quartier. Je suis lauréat du concours Talents des Cités et c’est là que j’ai l’opportunité de rencontrer le président de la République de l’époque, François Hollande. C’est une vraie forme de reconnaissance pour moi et ça me donne envie d’aller plus loin.

Vous vous formez, vous devenez  formateur professionnel pour adultes et vous découvrez le monde de l’insertion professionnelle.

Oui, je fais une alternance et je mets en place des actions de formation pour les jeunes en insertion. On me propose de porter un projet de brasserie d’insertion à côté de l’Hôtel de région à Montferrand. Je fais une contre-proposition avec l’idée d’investir dans un foodtruck et que l’on tourne avec 4 autres restaurateurs ambulants sur le spot de Montferrand du lundi au vendredi. Par ailleurs, je décide d’ouvrir mon propre restaurant en ville.

Sur le volet réinsertion, c’est plutôt positif, le taux de retour à l’emploi est bon, sur le plan entrepreneurial, je réalise que les foodtrucks et le restaurant, c’est trop pour seule personne. La société de foodtrucks finit en liquidation judiciaire. C’est mon premier échec et c’est très violent.

Pourtant, l’échec fait partie de la vie d’un entrepreneur…enfin en théorie.

Au départ, c’est compliqué, pourtant, je rebondis et j’ouvre le refuge gourmand à Croix Neyrat. C’est à ce moment-là qu’émerge l’idée du Terter au terroir

Ce projet naît grâce à une rencontre avec la journaliste Aïda Touhiri…. 

Pour faire simple, je décide de préparer une truffade pour l’équipe féminine cadette de Neyrat Basket car elles ne connaissent pas. À ce moment-là, Aïda fait un reportage sur Clermont-Ferrand et une équipe de tournage décide de filmer la préparation et la dégustation. C’est là que je leur parle de mon projet de chaîne youtube du Terter au terroir. Suite à ça, nous sommes invités avec l’équipe féminine de basket à Touche pas à mon poste, Aïda me fait rencontrer des gens à Paris. On tourne un teaser avec l’humoriste Djamil le Shlag. France 4 me contacte et on fait évoluer l’émission, plutôt que Djamil, on va faire ça avec les jeunes du quartier. Tout semble aller pour le mieux, on a un deal avec France 4. 

Et là, c’est un concours de circonstances malheureux qui vous coupe les ailes.

Oui. Le gouvernement décide de supprimer France 4 et le projet s’enlise. Par ailleurs, le foodtruck, le refuge gourmand est liquidé. C’est un second échec, mais celui-ci me met dans de vraies difficultés financières. Je trouve un job dans un restaurant, et arrive le confinement. Honnêtement, il tombait à pic, j’avais besoin de me reposer et de prendre le temps de réfléchir à la suite. Je sens bien que du côté parisien, je vais avoir du mal à remobiliser autour du projet du Terter au Terroir. Comme j’ai le temps, je me dis que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même et je décide de me former au montage vidéo. 

Vous êtes plein de ressources… Et c’est comme ça qu’en mai 2020, vous tournez le premier épisode autour de la production de lait vers le Puy en Velay…

Oui avec l’aide d’un ami cadreur, j’embarque les jeunes et c’est une révélation. Ça matche super bien avec les agriculteurs. Je décide de poursuivre autour du lait avec un pâtissier et la fromagerie Laqueuille. Comme ça se passe très bien, de plus en plus de jeunes ont envie de venir, ça crée un vrai engouement au niveau local. Sans promotion, les vidéos atteignent 2000 vues. Ces vues-là, ce sont celles des gens du quartier, celles et ceux que je croise tous les jours. Ça me rend vraiment heureux. Florian On Air, un influenceur culinaire, me contacte et on tourne le dernier épisode de la série “lait cru” avec lui. 

Mais concrètement, c’est quoi du Terter au terroir ?

C’est une émission où les jeunes des quartiers vont à la rencontre du monde agricole. La recette, c’est un tiers de vulgarisation, un tiers de rencontre et un tiers de fous rires. Les épisodes durent une dizaine de minutes, mais les rencontres, elles, se passent sur plusieurs heures, on prend le temps.

Ça a tellement bien fonctionné que les jeunes ne veulent plus s’arrêter. J’ai donc décidé de mettre en place des promos de jeunes. À partir de janvier, je vais travailler avec un nouveau groupe de collégiens.

Au-delà de la production audiovisuelle, il y a un message militant que tu essaies de faire passer sur le lien entre les quartiers, la ruralité et l’alimentation.

Oui, par exemple, on a fait une émission spéciale au Sommet de l’élevage avec des jeunes et des agriculteurs. On a parlé des circuits-courts, de la vache charolaise, de Halal, mais par le prisme de la spontanéité de ces jeunes. 

Les jeunes qui ont fait partie de la première saison, ça a un impact sur leur alimentation. Ils se posent plus de questions sur la grande distribution. Ils essayent de manger moins, mais mieux. C’est une logique qu’ils ont comprise et qu’ils essayent de mettre en pratique. D’ailleurs, maintenant, il achète du Bleu de Laqueuille ! 

J’ai aussi décidé d’installer un petit studio avec une cuisine pour continuer à monter des projets audiovisuels pour promouvoir le bien manger !

C’est l’instant carte blanche

Je crois fermement que l’on peut orienter un certain nombre de jeunes vers des métiers agricoles. On a trop longtemps été perçus comme un vivier d’ouvriers agricoles, je veux changer cela. 

On va avoir besoin de nouveaux porteurs de projet dans le monde rural, il faut que les jeunes des quartiers aient leur place là-dedans. 

Mon rêve, c’est que dans les dix prochaines années, on voit naître des petites exploitations agricoles avec des entrepreneurs des quartiers à leur tête et pourquoi pas une fromagerie à Croix de Neyrat !

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.