Entretien / Jean-David Olekhnovitch tisse la toile clermontoise

Entretien / Jean-David Olekhnovitch tisse la toile clermontoise

Interview par Damien Caillard
Rédaction par Cindy Pappalardo-Roy


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Jean-David Olekhnovitch est l’un des fondateurs d’Épicentre Factory et l’initiateur de Canevas, le nouveau “startup builder” sur la place clermontoise. Cet infatigable créateur d’entreprise revient sur son expérience du travail et sur la façon dont son envie de découverte et sa force de proposition d’idées l’ont influencées tout au long de son parcours, des débuts d’Internet jusqu’aux premiers sites de coworking.

Comment te décrirais-tu ?

Mon parcours est fait de plein de zigzag. J’adore lancer les idées, initier les projets. J’aime beaucoup la découverte, l’enjeu, la création. J’ai tellement d’envies, j’aurais besoin de douze vies pour les explorer ! Cela a beaucoup marqué ma carrière d’avoir toutes ces envies, ces projets … Je n’ai pas un parcours en ligne droite.

Avec un premier marqueur : les “nouvelles technologies de l’information”

J’avais 12 ans en 1986. À ce moment, j’ai lancé un micro serveur minitel pour diffuser ce qui ressemblait à un site web mais au format minitel. Mon URL, c’était ma ligne téléphonique, et il ne pouvait y avoir qu’un seul visiteur à la fois ! C’était un blog où je parlais de tout, de critiques de livres, de ciné … J’ai le souvenir de l’ordinateur qui s’allumait tout seul la nuit, quand quelqu’un se connectait sur le site. Ce n’était pas Internet, mais c’est dans ces montages techniques très rudimentaires que j’ai découvert le frisson de pouvoir communiquer, s’ouvrir aux autres, en utilisant la technique.

Tu étais le seul, à Clermont ?

Il y a toujours eu une petite bande de passionnés d’informatique. Dans les années 1980, les Clubs informatique existaient pour mutualiser du matériel et des bons plans. Ce qui manquait, c’était l’aide à l’entrepreneuriat, savoir comment faire un business model. On était tous conscients que ça allait être important avec la naissance de Linux, du Net … même si à l’époque on n’avait pas les outils pour bien faire ça.

Jean-David à 12 ans, lors de la création de son « service » sur Minitel.

Je n’avais pourtant pas la conscience d’une carrière dans l’informatique. Xavier Niel, qui bidouillait dans le même contexte à cette époque, avait lui su en tirer parti, mais pour moi c’était juste un jeu. L’étape d’après, ce fut la découverte d’internet vers 1992. Cela voulait dire pour moi qu’on pouvait se connecter à plusieurs ! A 19-20 ans, je commençais à imaginer les perspectives de business derrière : j’avais sérieusement pensé créer un fournisseur d’accès, j’aurais peut être dû le faire !

Rapidement, tu as commencé à créer des entreprises

Je suis sorti de l’ISIMA en 1999, et la l’ambiance dans les boîtes était à l’euphorie : je me souviens avoir été invité à déjeuner par une boîte qui cherchait à me recruter, alors que mon CV quasiment vierge ! Il y avait déjà une pénurie de développeurs. Ça apprend au moins que ces trucs là vont par vague. Ma première grande rencontre pro a été un collègue de mon premier job, qui m’a débauché pour monter sa startup, Style de France. La boîte s’est crashée en août 2001, à cause de la bulle, mais ça a été une expérience incroyable. Entre temps, j’étais passé d’informaticien débutant à directeur technique, gérant une équipe de près de 10 personnes. Je me souviens avoir été très surpris par la naïveté de certains investisseurs : « Ne cherchez pas à être rentable, grandissez vite et on verra plus tard ». Ils ont vite changé d’avis !

Une coupure de presse de la première entreprise de Jean-David, Style de France. La grande époque du cathodique.

Suite à cette expérience, je me suis dit que cela m’apportait le bagage suffisant pour lancer ma première structure en indépendant : eComs, qui faisait du développement et du conseil en informatique. Ce qui m’intéressait restait d’expérimenter techniquement, même si j’avais des éléments pour commercialiser. J’ai créé plusieurs autres projets en parallèle, dont Octolys (joint-venture entre eComs et l’agence Amplitude) qui s’est centré sur Thelia, une solution d’e-commerce sortie avant même Prestashop ! Je revois toujours avec plaisir les anciens de cette période, dont certains ont fondé l’agence Scopika dans laquelle je suis toujours associé.

Que retiens-tu de cette période ?

J’en retiens que l’informatique n’est qu’un outil, et que mettre en lien un expert métier et un expert technique pouvait générer de très beaux projets. L’autre tendance de mes recherches a été l’organisation d’entreprise, et les prémices de ce qu’on appelle maintenant l’agilité. Pourtant, toute la période de l’après-bulle a rendu internet très mal vu, dans le monde du business. De plus en plus je cherchais à mettre la technique en perspective avec d’autres dimensions, humaines ou métiers.

Comment es-tu arrivé chez Prizee ?

J’avais envie de craquer pour un projet super motivant. J’ai accepté l’offre de Tristan [Colombet] pour travailler chez Prizee en 2008. Quelle rencontre ! C’était une boîte extra-terrestre, lancée en plein creux de la net-économie, ce qui lui a permis d’avoir un démarrage extraordinaire. Je faisais de l’archi technique, puis je suis rapidement devenu directeur de production. Pourtant, ce n’était pas vécu comme une pépite mais comme un truc incompréhensible ! Les gens ne comprenaient pas pourquoi la boîte grandissait de cette façon. À l’époque, beaucoup de choses arrivaient par accident. Mais quel projet ! Et des équipes épatantes.

Lors d’une soirée « web auvergnat » en 2008

J’y suis resté 2 ans et demi. J’en ai retiré la découverte de la vraie puissance d’une start-up qui scale. Avec aussi l’énorme difficulté de reproduire rationnellement ce qui est apparu de manière fortuite. Et le vertige de se retrouver devant une base de plus de dix millions d’utilisateurs, ce qui est finalement très abstrait quand on y est confronté. Au final, je suis reparti de Prizee avec l’envie de me centrer avant tout sur l’humain et l’expérimentation, en ouvrant un incubateur d’idées et un espace de coworking à Clermont.

Comment as-tu concrétisé ces deux projets ?

[Pour le coworking], j’ai créé le WAI, Web Auvergnat Indépendant. C’était un lieu négocié avec ClerCo dans Pascalis. Le projet n’a pas duré longtemps car il était dédié aux informaticiens, et je me suis aperçu que mettre des informaticiens entre eux devenait très vite stérile : ils avaient tous le casque sur leurs oreilles et bombardaient du code sur leur écran. J’en ai retiré une chose : si l’on se limite à un seul corps de métier dans un espace de coworking, on aura quelque chose de trop faible en termes de richesse et d’échanges.

« Mettre en lien un expert métier et un expert technique pouvait générer de très beaux projets »

J’ai coupé court à l’expérience, et quelques mois plus tard j’ai rencontré Ema [Emmanuelle Perrone] et Clémentine [Auburtin, cofondatrices d’Epicentre Factory]. Au départ, c’était juste pour faire un retour d’expérience. Elles m’ont dit : « T’es pas de notre milieu … donc, rejoins notre aventure ! ». Et l’idée de bosser avec des gens d’un univers complètement différent du mien m’a fait marrer. C’est pourquoi j’ai compté au nombre des fondateurs d’Epicentre.

La clé, c’est de générer d’abord la communauté puis de développer le lieu sur cette base. Beaucoup d’espaces de coworking font l’erreur de ne pas commencer par ça. En même temps, j’ai toujours vu le coworking comme une possibilité de papillonner. Un espace de coworking refermé sur lui même n’a pas beaucoup de sens. Quand je voyage dans une ville en France ou ailleurs, j’essaye toujours de passer une demi-journée dans l’espace de coworking du coin, c’est très enrichissant ! Si tu savais le nombre de projets qui sont nés à Epicentre simplement par la magie d’une rencontre improbable et d’un échange autour d’un verre…

Cela t’a notamment permis de comprendre l’importance du télé-travail…

Les aspects coworking et télé-travail sont deux sujets qui s’entremêlent, et qui sont de mon point de vue très maltraités. Alors que c’est une opportunité géniale de structurer la façon de travailler dans une entreprise ! Bosser à distance ne pardonne pas, tu es obligé de documenter et de structurer. Le télé-travail, c’est une chance de se remettre en question si on le voit par la globalité.

Tout sourire, Jean-David télétravaille au soleil de l’île de la Réunion

Cela fait des années que j’étais bien bête d’avoir un métier qui me permettais de bosser depuis n’importe où, et de n’en profiter qu’en bossant dans mon salon. En octobre 2017, j’achète mon billet pour l’île de la Réunion, j’avais un copain là-bas. J’ai pris le temps pour prendre l’ambiance de l’île, sans enquiller des visites mais pour découvrir les valeurs, la culture… J’ai toujours une frontière un peu floue entre le pro et le perso. Le travail pour moi, c’est assouvir mes envies et mes passions, et me débrouiller pour que certaines me rapportent de quoi vivre. De la Réunion, j’en retire une espèce de vertige : dans le cadre de mon métier, il suffit de sortir de son petit cocon pour découvrir des choses formidables sans impacter le business ! Au contraire, j’étais plus productif là-bas qu’à Clermont.

Ton autre grande initiative concerne un “startup builder”, le projet Canevas

Canevas ne fait que reprendre mes vieilles lubies : avoir les moyens de faire sortir des idées des cartons, faire se rencontrer des experts techniques et métiers, et faire en sorte que des petits gars sans connaissance de l’entrepreneuriat puissent réaliser leurs projets. Avec la Epicentre Touch, un fonctionnement collaboratif en créant des relations improbables. Le but n’est pas une structure d’accompagnement, mais de mutualiser un maximum de moyens pour que les projets décollent le plus vite possible. Et, pour cela, que chacun se concentre sur son métier.

« Le travail pour moi, c’est assouvir mes envies et mes passions, et me débrouiller pour que certaines me rapportent de quoi vivre »

Ce qui me surprend sur la façon de concevoir l’entrepreneuriat, c’est que quand un petit gars pitche, on va le faire entrer dans un long tunnel et apprendre toutes les phases de l’entrepreneuriat. C’est intéressant, mais c’est autant de temps qu’il ne passera pas ce temps à construire son idée. Là on cherche à faire en sorte que chacun se concentre sur ce qu’il sait faire le mieux.

Que propose donc Canevas aux porteurs de projets ?

Chronologiquement, on cherche à se concentrer sur l’idée et la faire grandir jusqu’à atteindre son marché en éliminant au maximum les tâches parasites de création d’une structure, c’est Canevas qui porte l’expérimentation. Une fois que le marché est atteint et qu’on a pu valider un modèle financier de la manière la plus concrète qui soit, c’est à dire en se frottant à ses clients, on se pose la question de l’excuber, et c’est seulement à ce moment là qu’on crée une structure pour aller chercher des financements. On s’adresse du coup à un autre public qu’un incubateur qui va être aux côtés du porteur de projet pour le soutenir, alors que Canevas s’approprie le projet et en prend les commandes.

Avec les gagnants du Startup Week-end 2017, à l’IAE Management. Jean-David arbore la couleur orange du coach, maillon indispensable pour booster un projet

Ça m’a toujours surpris de se dire que parce qu’un gars à une bonne idée, un savoir-faire métier, et le courage de monter sur une estrade pour pitcher, on le qualifie d’emblée comme étant le futur chef d’entreprise. Steve Jobs a mis des années avant d’avoir les qualités d’un boss ! Il faut parfois avoir parfois l’humilité de trouver les bons gestionnaires. L’esprit ici est de faire en sorte que chacun se concentre sur ses idées, et qu’on fasse émerger plusieurs projets de manière collaborative. On se dit parfois en riant que c’est presque un principe presque Shadock : si les projets prennent des risques et n’ont que peu de chance de survie, il faut en créer rapidement plein pour maximiser les chances que ça fonctionne.

« Il faut parfois avoir parfois l’humilité de trouver les bons gestionnaires »

Avec ma carrière en zig-zag, je me dis que l’évolution carriériste dans une hiérarchie n’est pas le seul chemin, on peut bien se marrer en papillonnant et en sortant souvent de sa zone de confort. Et le fait de me retrouver participant du Startup Week-End Clermont [en 2017], après en avoir été coach, m’a prouvé une chose : rester dans l’opérationnel et se concentrer sur ce qu’on sait faire peut être exaltant à tout âge.

Basé sur l’entretien du 22 novembre 2017 à Epicentre, réorganisé pour des raisons de lisibilité, relu et corrigé par Jean-David.

Crédits visuels: Jean-David Olekhnovitch.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #NTIC / En 1986, Jean-David lance un micro serveur minitel pour lancer un site web, un blog dans lequel il parle de tout, livres, films… Cette expérience lui a montré la possibilité de pouvoir communiquer et s’ouvrir aux autres en utilisant la technique.
  • #RéseauClermont / Dans les années 1980, il y avait des Clubs d’informatique qui existaient pour mutualiste du matériel et des bons plans. Tous étaient conscience que ça allait devenir important, seulement à l’époque il n’y avait pas les outils nécessaires.
  • #Startups / Sa première rencontre professionnelle a été un collègue de son premier job qui l’a débauché pour monter sa propre boîte, Style de France. Suite à cette expérience, il a créé plusieurs autres projets, dont Octolys qui s’est centré sur Thelia, une solution d’e-commerce.
  • #Prizee / Jean-David rejoint l’équipe en 2008. Pour lui, c »était « une boîte extra-terrestre, lancée en plein creux de la net-économie, ce qui lui a permis d’avoir un démarrage extraordinaire ». Il est parti avec l’envie de se centrer avant tout sur l’humain et l’expérimentation, en ouvrant un incubateur d’idées et un espace de coworking à Clermont.
  • #Coworking / Jean-David a créé le WAI – Web Auvergnat Indépendant -, un lien négocié avec ClerCo dans Pascalis. Quelques mois plus tard, sa rencontre avec Emmanuelle Perrone et Clémentine Auburtin lui permet de travailler avec des personnes d’un univers complètement différent, et de faire partie des fondateurs d’Épicentre. Pour lui, la clé pour un espace de coworking est de générer d’abord la communauté, puis de développer le lieu sur cette base.
  • #Télétravail / Les aspects coworking et télé-travail sont deux sujets qui s’entremêlent, et c’est une opportunité géniale de structurer la façon de travailler dans une entreprise. Le télé-travail, c’est une chance de se remettre en question si on le voit par la globalité. Le travail à distance, Jean-David l’expérimente en partant à la Réunion en octobre 2017 ; il dit : « Dans le cadre de mon métier, il suffit de sortir de son petit cocon pour découvrir des choses formidables sans impacter le business ! Au contraire, j’étais plus productif là-bas qu’à Clermont« .
  • #PrincipeCanevas / Le but n’est pas une structure d’accompagnement, mais de mutualiser un maximum de moyens pour que les projets décollent le plus vite possible. Et, pour cela, que chacun se concentre sur son métier. Par exemple : quand un petit gars pitche, « on va le faire entrer dans un long tunnel et apprendre toutes les phases de l’entrepreneuriat. C’est intéressant, mais c’est autant de temps qu’il ne passera pas ce temps à construire son idée. Là on cherche à faire en sorte que chacun se concentre sur ce qu’il sait faire le mieux« .
  • #ProcessCanevas / Pour les porteurs de projets, il cherche chronologiquement à se concentrer sur l’idée et la faire grandir jusqu’à atteindre son marché en éliminant au maximum les tâches parasites de création d’une structure, et c’est Canevas qui porte l’expérimentation. Suivent la validation d’un modèle financier puis l’excubation. Canevas s’approprie le projet et en prend les commandes. L’esprit ici est de faire en sorte que chacun se concentre sur ses idées, et qu’on fasse émerger plusieurs projets de manière collaborative.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.