La liberté de la presse ?  Oui, mais jusqu’où ? 

La liberté de la presse ?  Oui, mais jusqu’où ? 

Droit fondamental de notre pays, la liberté de la presse représente un élément important de la démocratie. Inexistante dans l’autoritarisme, force est de constater qu’elle tend à se limiter. Mais, doit-on vraiment s’en inquiéter ? C’est ce que tentent de répondre Taha Siddiqui et Georges Malbrunot dans cette conférence organisée par la fondation Varenne à Clermont-Ferrand, le mercredi 8 janvier 2025. Figures éminentes du journalisme, les deux journalistes ont des parcours des plus atypiques. 

Des profils qui s’opposent

Reporter de guerre pour le Figaro et spécialiste du Moyen-Orient, Georges Malbrunot est pris en otage avec l’un de ses confrères en août 2004 par l’armée islamique en Irak. Relâché quatre mois plus tard, il continue encore aujourd’hui de couvrir des sujets d’actualités dans la région. 

Taha Siddiqui lui est un journaliste pakistanais, lauréat du prix Albert Londres pour son reportage intitulé “ la guerre de la polio”, il sera par la suite considéré comme un traître dans son propre pays. En effet, dévoilant une réalité du Pakistan peu flatteuse, il est dans l’obligation de s’exiler à Paris en janvier 2018 à la suite d’une tentative d’enlèvement par des hommes armées. Inarrêtable, Siddiqui continu son combat pour la liberté de la presse avec la création d’un lieu de rencontre pour exilé politique. Les deux s’interrogent sur la limite d’une liberté qu’ils exercent au quotidien

Un journalisme bridé sans exception.

Tout d’abord, Malbrunot démontre que cette liberté est aussi menacée en France. Il évoque entre autres l’ingérence des services de renseignement  qu’il a lui-même subi sur des sujets sensibles “ En 2011, j’ai été mis sur écoute, parce que j’ai déplu (à l’Etat), je l’ai appris un an après. “ . Selon lui, la pression exercée par les industriels sur la ligne éditoriale des médias est une menace réelle; “ une presse pauvre fait le jeu des politiques parce qu’elles peuvent faire passer leurs messages, la presse ça coûte cher”  Pour rappel, ceux-ci sont en proie constant au rachat 

S’ensuit une anecdote où il explique avoir subi des pressions à la suite d’une enquête sur les Emirats Arabes Unis. En effet, celui-ci dévoile en 2011 dans un article que le pays achète des armes en secret aux israéliens. Cette révélation fait l’effet d’une bombe. Les Emirats décident de geler les négociations avec la France sur l’achat de rafales et Malbrunot est menacé de licenciement. Selon lui sa notoriété l’a sauvé. Dans ce principe, il considère que les médias pour se protéger doivent réfléchir dans l’avenir à se doter d’un contre pouvoir pour que les journalistes puissent travailler librement.

Siddiqi, quant à lui aborde le sujet sous un autre angle. La France fait figure de bon modèle sur la scène internationale mais n’empêche pas assez l’ingérence de pays étrangers. Il parle d’une problématique peu connue mais pourtant bien réelle, la répression transnationale. Cette répression consiste pour un État de traquer un dissident exilé sur le territoire du pays d’accueil. Ils s’en prennent aux journalistes soit officiellement (consulat, ambassade) soit officieusement. Le journaliste pakistanais considère que malgré les améliorations qui pourraient y avoir en France, le vrai combat est d’arriver à doter d’une liberté de la presse des pays qui n’en ont pas ; “ quand j’étais au Pakistan, j’ai rêvé d’un Charlie Hebdo version pakistanais”. Après un état des lieux plus ou moins flatteur,  les deux interlocuteurs expriment des avis divergents sur cette liberté. 

Des points de vue discordants sur la liberté de la presse.

 Le sujet se poursuit par un commentaire de Georges Malbrunot sur un sondage IFOP. “ Dans ce sondage ce qui est le plus important c’est que 31 % des jeunes de 18 à 24 ans estiment que Charlie Hebdo n’aurait pas dû publier cette caricature de Mahomet en 2006 et 46% s’estiment choqué par la une de Cabu”.

Note de la rédaction.

( Dans un souci d’éthique envers nos lecteurs, nous avons décidé de nuancer les propos de M. Malbrunot concernant le sondage réalisé par l’IFOP. Ce sondage, datant du 7 janvier 2025, interrogeait les participants sur une caricature de Mahomet. Celle ayant été publiée en 2006 par Charlie Hebdo. Selon M. Malbrunot, 46 % des personnes interrogées auraient été choquées par cette caricature. Toutefois, cette affirmation nécessite des précisions. Sur un échantillon de 250 personnes, seules 24 ont jugé le dessin choquant. Parmi ces 24 individus, 46 % étaient des jeunes âgés de 18 à 24 ans. Ce qui fait environ 11 personnes. Il convient également de relativiser une autre déclaration de M. Malbrunot, selon laquelle 31 % des jeunes estiment que cette caricature n’aurait pas dû être publiée. En réalité, seulement 24 % des sondés partagent cet avis. Parmi eux, 31 % sont des jeunes de 18 à 24 ans.)

La laïcité, c’est quoi ? 

Sur le site du gouvernement, on peut trouver cette définition plus ou moins explicite. “ La laïcité garantit la liberté de conscience. De celle-ci découle la liberté de manifester ses croyances ou convictions dans les limites du respect de l’ordre public. La laïcité implique la neutralité de l’Etat. Elle impose l’égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction.”

On peut donc en conclure que la laïcité permet à tous d’être libre de croire ou de ne pas croire. Mais aussi, d’exercer sa religion dans le respect de l’ordre public. Néanmoins, on voit que cette définition n’est pas forcément connue ou comprise. C’est ce que les échanges avec la salle vont illustrer. En effet, les avis divergent sur la limite de la liberté de la presse. Certains s’interrogent sur le danger de cette limite en mentionnant la laïcité quand d’autres parlent de laïcité comme une excuse à l’intolérance. Dans son cas, Malbrunot reprend ses propos précédents en précisant que la laïcité est une notion qui n’existe pas partout, notamment dans l’islam. On s’écarte beaucoup du concept de base qui repose sur un esprit d’ouverture à toutes les religions. Siddiqui rajoute que pour lui, la laïcité n’est pas un concept occidental mais universel qui peut s’appliquer partout.

Mais qu’en est il de la liberté de la presse, de base le sujet de la conférence ? Pourquoi ce lien naturel est fait avec la religion et la laïcité ? 

Et la liberté de la presse dans tout ça ? 

La liberté de la presse instaurée par la loi du 29 juillet 1881 est le droit de publier et de diffuser des informations et des opinions sans censure préalable avec pour seule limite de ne pas nuire volontairement à l’autre (diffamation, incitation à la haine, discrimination). Le lien naturel entre cette liberté et la laïcité revient régulièrement parce que beaucoup de personnes confondent laïcité et droit au blasphème qui n’est pas une notion juridique. Il est essentiel de rappeler que la laïcité est le droit à tous d’exercer sa religion dans le respect de chacun; alors que le blasphème est le droit de critiquer, caricaturer, se moquer d’un dogme, d’une religion bien entendu toujours dans le respect de la loi (incitation à la haine, discrimination). Ce droit est directement lié à la liberté d’expression

La conférence nous interroge individuellement et collectivement sur le rôle indispensable de la liberté de la presse dans nos sociétés démocratiques, mais aussi sur comment nous la concevons. En résumé, il s’agit de savoir si nous sommes prêts à défendre aveuglément une liberté essentielle à notre souveraineté citoyenne.