Caricatures de presse : peut-on rire de tout ?

Caricatures de presse : peut-on rire de tout ?

La première édition du festival Média Social Club amenait le sujet de la caricature et du dessin de presse en plein coeur du temple du Droit. Mykaïa, dessinateur et Evan Raschel, professeur de Droit, débattait autour de la question emprunté à Pierre Desproges « Peut on rire de tout ? ». Et sans spoiler le débat passionnant qui a suivi, il semble qu’ils arrivent à la même conclusion que le célèbre humoriste.

Mykaïa est dessinateur de presse. Né en Tunisie, c’est là qu’il a commencé sa carrière au sein de La Presse de Tunisie, l’équivalent du Monde. Il raconte. « Pour m’accueillir, mon rédac chef m’avait dit « Tu es un enfant du pays, tu sais donc que la Tunisie est un pays libre. Tu pourras donc parler de tout ce que tu veux. Sauf de sexe, de religion et de politique ». Durant les deux ans que j’ai passé là-bas, j’ai toujours joué avec les limites de cet exercice, en prenant les sujets de biais, au second degré … Il fait partie de l’association Cartooning for Peace créée en réaction aux … réactions justement, post attentat de Charlie Hebdo, en 2005. Elle est le fruit d’une rencontre entre Cabu et Kofi Annan qui disait alors  « Les dessins de presse nous font rire. Sans eux, nos vies seraient bien tristes. Mais c’est aussi une chose sérieuse: ils ont le pouvoir d’informer mais aussi d’offenser. » L’association mène des actions pédagogiques en France et à l’étranger et agit pour la défense de liberté d’expression. Parce que le danger le plus menaçant, c’est celui de l’autocensure.

 

Alors, on peut ou pas ?

Mykaïa insiste sur les nuances entre dessin de presse et caricature. Le métier de dessinateur de presse se nourrit de l’actualité. Un dessin de presse, qui parfois inclut une caricature, lui ajoute message et parti pris.  C’est la vision de l’actualité du dessinateur, avec son style, son univers, son humour. C’est une opinion. Tout à fait subjective donc.  Et donc, par essence, il ne peut pas plaire à tout le monde.

 

C’est d’ailleurs pour cette raison que les dessins de presse sont protégés au titre de la liberté d’expression. La Cour de Justice, qui défend cette liberté, a rendu un arrêt qui définit la « liberté vaut pour les informations et idées accueillies avec faveur mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction de la population. » Ca paraît clair. Ca l’est mais il y a aussi des zones de flou, notamment pour ce qui concerne l’humour et son interprétation. Dans certains cas, les juges estiment que c’est drôle et parfois que cela ne l’est pas. Et condamner en fonction. Cette appréciation suscite souvent l’incompréhension

Evan Raschel rappelle que si la liberté d’expression est renforcée en matière d’expression satirique, elle n’est pas absolue toutefois. C’est aux juges d’établir la frontière entre le licite et l’illicite. Ce qui est clairement illicite, c’est l’atteinte à la dignité humaine ou l’incitation à la haine raciale par exemple.  Seule la loi peut décider. Est légitime pour décider. C’est la seule limite admissible. 

Caricature, la loi, la seule limite 

Mais là encore, un dessinateur a été condamné en première instance pour un dessin représentant Marine Lepen comme un tas d’excréments accompagné de la mention « votez pour la candidate qui vous ressemble ».  Atteinte à la dignité. Pour être relaxé en deuxième instance. Subtil donc, voire subjectif. Mais pour Evan Raschel toujours, la Justice interprète un dessin pour ce qu’il est : une image qui force à réfléchir, à réagir, quitte à choquer,  pour faire passer un message. Et pour autant, l’application de la loi est plus subtile. Elle juge aussi de l’intentionnalité.

Tout l’enjeu est bien là. On ne partage pas les mêmes cultures, les mêmes sensibilités, le même humour non plus. C’est normal. Voire largement souhaitable.

Réanimer la culture du débat

Et pourtant, ce que le dessin de presse cherche à alimenter et à raviver, c’est une culture commune de la réflexion et du débat. Or, l’ambiance a changé. La pression monte sur les dessinateurs. Les réseaux sociaux ont largement élargi l’audience des dessins. En première ligne, puisque lié à l’actualité, ils sont soumis aux insultes et depuis les attentats aux menaces … La culture du débat d’idées a du plomb dans l’aile.

La réaction à la caricature, c’est aussi un symptôme d’un état social global. Un rapport devenu très narcissique aux choses, qui renforce l’individualisme et l’incapacité à juger indépendamment de soi… « Ce qui ne me plait pas, me choque, … ne doit pas exister ».

Or, pour Mykaia, il ne peut pas y avoir un code civil pour chacun: c’est la tolérance qui doit être renforcée. La capacité à écouter, comprendre, se mettre à la place de, et surtout … débattre.

Le rôle de la démocratie

C’est dans ce genre de situations que l’on voit la force de la démocratie. Soit elle faiblit en incitant les dessinateurs à lever le crayon, soit elle tient bon et protège la liberté des dessinateurs.  Et finalement, celle de tout un chacun. Faut il s’adapter à ces injonctions ? En France, la réponse est non.

La peur fait reculer, … mais le recul est délétère. Au contraire, finalement, la complexité de certains de ces sujets exige un peu plus de virtuosité dans la manière de les aborder. Plus de réflexion, plus de finesse, plus d’argumentation et de capacité à prendre avec recul. C’est la meilleure arme : elle contribue, parfois dans la douleur, à une culture commune, des clés de lecture, à une ouverture de spectre plus large pour chacun.

Il ne doit pas y avoir de sujet tabou, et c’est notamment le cas des sujets liés aux religions. La pédagogie est vraiment nécessaire, parce blasphémer, c’est se moquer du sacré. Tous les sacrés, mais sans jugement, en cherchant à montrer les décalages, les contradictions, …  Il est particulièrement important de ne pas mettre sous le tapis les sujets délicats ou complexes. Ce serait les abandonner en les sortant du débat public à un échange consensuel, militant, sans controverse  …

Gardons cette liberté de choix de rire de choses qui ne sont pas drôles !

 

A propos du Festival Média Social Club, retrouvez aussi le podcast « Femmes et média, toutes et tous biaisé.e.s ? »

[PODCAST] La place des femmes dans les médias

 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.