Dans l’arène sportive où prédomine le physique, l’importance croissante du mental est mise en lumière dans cet entretien. Marion Lorblanchet est une ancienne athlète de haut niveau devenue spécialiste en préparation mentale. Elle explique comment la maîtrise de soi, la gestion des émotions et la remise en question des croyances limitantes peuvent transformer la performance des dirigeants, bien au-delà du monde sportif.
Pourriez-vous nous retracer votre parcours ?
Marion Lorblanchet : Je suis un pur produit auvergnat. Mon enfance a été à la fois insouciante et compliquée, car je suis dyslexique et HPE (Haut Potentiel Émotionnel), ce qui a rendu difficile mon adaptation à ce monde. J’ai commencé le sport en CE2, c’est là que j’ai eu un déclic. Ayant du mal à m’exprimer et étant introvertie, le sport est devenu un moyen d’expression non verbal. Cela m’a permis de prendre confiance en moi et de me créer une bulle personnelle.
Au collège, mon rêve était de devenir athlète professionnelle. Je faisais de la natation, du cross et de la course à pied avec de bons résultats, alors j’ai tenté le triathlon en ajoutant le vélo. J’ai passé mon bac à Cournon et je suis partie rejoindre le Pôle France à Montpellier pour avancer dans le sport.
Très jeune, j’ai obtenu d’excellents résultats. J’ai eu ma première sélection en équipe de France olympique pour les Jeux de 2004 et je suis devenue championne du monde junior. Tout allait bien jusqu’à ce que je fasse un burn-out en 2005 juste après les JO.
À ce moment-là, trois solutions se présentaient à moi : soit j’arrêtais, soit je me suicidais, soit je reprenais ma passion en cherchant à performer différemment. C’est alors que j’ai mis le pied dans la préparation mentale.
En 2005, la préparation mentale était perçue comme quelque chose de très marginal. Pourtant c’est un élément essentiel. La préparation mentale s’intéresse à trois grands sujets : la connaissance de soi, l’accès aux émotions et la déconstruction des croyances limitantes.
Vous entamez une seconde carrière d’athlète de haut niveau avec une approche différente de la performance ?
Marion Lorblanchet : Oui. En ce qui concerne la connaissance de soi, j’ai réalisé que je répondais souvent aux attentes des autres sans questionner ce que je voulais vraiment. Concernant les émotions, à l’époque, on nous disait de les gérer, alors qu’en réalité, elles peuvent décupler notre potentiel si elles sont mieux appréhendées. J’ai aussi appris à décortiquer les croyances limitantes qui freinent notre potentiel.
Je suis revenue à Clermont-Ferrand et j’ai créé ma propre structure. Je voulais un environnement qui me correspondait. J’ai redémarré sur une belle carrière, avec les JO de Pékin, puis ensuite en off-road, où j’ai atteint le top 3 mondial.
En 2013, on m’a diagnostiqué une tumeur au cerveau. Bien que ce soit un arrêt brutal de carrière, sur le moment, on ne pense pas à cela. On se concentre sur les traitements et, fort heureusement, ils ont bien répondu. On m’a dit que j’allais m’en sortir. J’ai suivi un traitement pendant huit mois et je l’ai appréhendé un peu comme une compétition.
Après cet arrêt brutal, comment rebondissez-vous ?
Marion Lorblanchet : La descente aux enfers est inévitable pour beaucoup. Dans le sport de haut niveau, on parle souvent de « petite mort » à la fin d’une carrière. Je savais que dans le monde du sport on est vite oubliée et qu’il fallait continuer à avancer. Je me suis demandée : qu’est-ce qui va me faire vibrer ?
En reliant les points de mon parcours, je me suis rendue compte que l’humain m’intéressait énormément. J’avais déjà fait des études en neurobiologie, alors j’ai décidé de reprendre des études en psychologie. Mon objectif est d’adapter la préparation mentale des sportifs à tout un chacun pour tirer le meilleur de lui-même.
En quoi consiste la préparation mentale des sportifs ?
Marion Lorblanchet : La plupart des sportifs estiment que la performance est avant tout une histoire de mental. Pourtant, moins de la moitié de l’entraînement est consacré au mental. Il fallait donc intégrer cette dimension.
Lorsque je parle de préparation mentale, je parle de l’acquisition d’outils pour optimiser son propre potentiel et faire basculer la chance de son côté. Il y a un aspect très pragmatique : gestion du stress, visualisation, techniques de concentration. Mais pour performer, on a aussi besoin d’un écosystème favorable. Un pingouin dans le désert, ça ne fonctionne pas. Et c’est notre histoire qui détermine le bon écosystème.
La préparation mentale prend aujourd’hui une place de plus en plus importante. Les athlètes ont presque tous les mêmes paramètres physiologiques, les mêmes données techniques, tactiques et d’innovation. La différence, c’est le mental.
À haut niveau, tu réalises que le mental est crucial. Il vaut mieux être moins bon techniquement avec un bon mental que l’inverse. La gestion du stress est essentielle. À chaque course, tu mets ta tête sur la table ; tous les jours, les gens veulent prendre ta place. Tu vis dans un monde incertain, même si tu es bon, les autres peuvent être meilleurs et tu te retrouves derrière. Dans la vraie vie, c’est pareil.
Qui sont ceux qui font appel à la préparation mentale ?
Marion Lorblanchet : J’accompagne toute personne qui souhaite passer à un niveau supérieur dans sa vie, qui sent qu’elle pourrait y arriver mais qu’il y a un blocage. On retrouve souvent des entrepreneurs, des intrapreneurs, des cadres, des dirigeants, ainsi que des sportifs de haut niveau.
Pour les conférences et les formations en entreprise, je m’adresse principalement aux forces commerciales et aux postes à responsabilité qui vont manager des personnes.
Qu’est-ce que vous travaillez en préparation mentale avec les dirigeants ?
Le travail s’étend généralement sur une période de 3 à 6 mois et il y a trois étapes essentielles :
D’abord la clarté et la connaissance de soi. Est-ce que je sais distinguer mes propres ressources de celles que je pense que les autres attendent de moi ? Comment est-ce que je réagis en situation de stress ? Est-ce que je perds mes moyens ? Si nous sommes trop souvent dans une friction excessive ou une frustration, c’est que nous utilisons mal notre potentiel.
Il faut arrêter avec l’idée qu’il faut absolument sortir de sa zone de confort. Un sportif est capable d’aller dans ses retranchements, mais il ne s’amuse pas à aller dans la difficulté car il risque de se blesser. Beaucoup pensent que pour réussir, il faut souffrir. Il est important de faire le lien entre ses ressources et ses actions, et de voir quel est l’écart entre les deux. Les choses ne doivent pas être continuellement difficiles, au contraire, elles doivent être fluides.
Ensuite, il faut s’intéresser à nos biais cognitifs : qu’est-ce que je me raconte qui fait que je ne fais pas ce que je sais devoir faire ? S’il y a quelque chose qui te retient, nous questionnons cela, ces petits blocages.
Enfin, il faut parvenir à créer l’environnement idéal. Il s’agit de concevoir une vie qui nous ressemble, tout en tenant compte des codes sociaux. On ne fait pas toujours ce qu’on veut. Soit on adapte ses ressources à son environnement, soit on fait bouger l’environnement pour s’aligner avec ses ressources. Par exemple, si tu adores la liberté et l’autonomie, tu vas négocier pour cela. Nous évaluons les besoins professionnels et personnels sans mettre de barrière.
In fine, la préparation mentale vise à déterminer sur quoi on veut progresser et à travailler dans ce sens.
Quelle est la durée nécessaire pour une préparation mentale efficace d’un dirigeant ?
Travailler sur son mental est un processus permanent. Par exemple, tu peux aider quelqu’un à créer son entreprise, mais ensuite, il aura des salariés à gérer. Cela va nécessiter de questionner une nouvelle fois ses ressources internes. En général, huit séances suffisent pour mettre quelqu’un sur la rampe de lancement.
Le but est de compresser des décennies d’expérience en quelques années, de gagner du temps. La vie passe tellement vite. Nous restons peu de temps sur cette terre, alors c’est dommage de perdre du temps à démêler des nœuds.
Avez-vous constaté des changements dans les besoins exprimés par vos clients entre 2015 et 2024 ?
Marion Lorblanchet : Oui, les besoins ont complètement évolué. Avant 2020, la performance était le seul objectif. Mais on a fini par comprendre que l’objectif unique de la performance pouvait nous faire voler en éclats et créer un climat de tension permanente. Avec la pandémie, les gens ont pris conscience de l’importance de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Il faut désormais une approche globale.
Depuis quelque temps, les choses évoluent encore. Les gens ont cessé de se centrer uniquement sur eux-mêmes et cherchent à retravailler ensemble. De plus, les peurs et incertitudes sont beaucoup plus présentes. En effet, nous faisons face à un brouillard écologique et à de nombreux défis dans tous les domaines. L’actualité a vraiment fait évoluer les mentalités.
C’est l’instant carte blanche, avez-vous quelque chose à ajouter ?
Marion Lorblanchet : Oui, je pense que, contrairement à ce que certains peuvent croire, aucun grand leader ne réussit tout seul. Même les meilleurs se sont entourés de spécialistes. Il ne faut pas attendre d’avoir atteint un certain niveau pour se faire accompagner. Il faut plutôt se faire accompagner pour atteindre un bon niveau. On ne peut pas être compétent en tout, ni tout faire seul.
Que ce soit du coaching collectif ou individuel, il existe de nombreux spécialistes qui proposent différentes gammes de prix qui rendent ce type d’accompagnement accessible. Investir en soi est le meilleur investissement que l’on puisse faire.