Sportifs : comment la vue influence la performance

Sportifs : comment la vue influence la performance

Dans le monde du sport de haut niveau, où chaque détail compte, la vision joue un rôle crucial souvent sous-estimé. Brigitte Ekpe, orthoptiste, nous plonge dans l’univers de l’orthoptie sportive, où la précision visuelle devient un atout compétitif. Découvrez comment l’expertise de Brigitte en électrophysiologie et en rééducation de la vue aide aujourd’hui les sportifs à affiner leur réactivité et à exceller dans leurs disciplines respectives.

Parlez-nous un peu de vous et racontez-nous votre parcours professionnel …

Brigitte Ekpe : Je suis née et j’ai passé mon enfance en région parisienne. Ma famille est d’origine ouest-africaine, à la fois francophone et anglophone. D’ailleurs, nous travaillons tous dans le secteur de la santé. Mes sœurs et frères sont devenus médecins, tandis que moi, je suis devenue orthoptiste. En effet, le monde de la vision m’a toujours attirée et fascinée. Je ne connaissais pas vraiment ce métier avant de m’y engager, mais je le trouvais mystérieux et attrayant.

Après mes études, j’ai eu différentes expériences professionnelles. J’ai notamment exercé dans un dispensaire géré par des religieuses avec un objectif social. J’ai également travaillé pour le service de santé des armées. Cela m’a permis de me familiariser avec divers aspects de la vision. En effet, nous avions des pilotes de chasse à examiner et à évaluer, ce qui était à la fois exigeant et enrichissant.

Qu’est ce qui vous intéresse dans la vision ?

Brigitte Ekpe : Notre vision est un sens très important, car elle englobe la majorité des informations que nous recevons du monde, c’est notre perception visuelle principale. 
Un orthoptiste est un spécialiste de la fonction visuelle. C’est un rééducateur qui prend en charge les déficits moteurs, sensoriels et fonctionnels liés à la vision.  Il réalise tous les examens nécessaires pour comprendre ce que l’on voit et comment on le voit. Le métier d’orthoptiste est en constante évolution et a beaucoup changé au cours des 25 dernières années. 

D’ailleurs, lorsque j’étais à Paris, j’ai voulu aller plus loin et j’ai suivi une formation spécialisée « Exploration fonctionnelle de la vision, électrophysiologie”. Cela nous a amené à examiner comment l’information circule de l’œil au cerveau. 
Durant cette période de formation, j’ai été contactée par une amie ophtalmologue. Un de ses collègues cherchait une orthoptiste pour diriger l’école d’orthoptie de Clermont-Ferrand. C’est alors que je suis arrivée à Clermont-Ferrand pour prendre ce poste. Je suis également enseignante universitaire depuis 2015.

Quand est-ce que vous vous spécialisez dans l’accompagnement de la vision des sportifs ?

Brigitte Ekpe : On a commencé à me solliciter dès 2018 sur les questions d’évaluation de la vision des sportifs. En effet, certains collègues, en Auvergne, avaient des sportifs dans leur patientèle. Par ailleurs, j’ai également des sportifs dans ma famille, notamment dans le basket, qui me posaient des questions sur l’impact de la vision dans leur performance. 

En 2020, avec la crise du COVID, j’ai eu envie d’explorer une nouvelle manière d’exercer mon métier. J’ai quitté la faculté et j’ai commencé à travailler plus en profondeur le lien entre l’électrophysiologie et la performance sportive.

En 2021, j’ai proposé d’évaluer les sportifs pour comprendre leurs besoins spécifiques en fonction de leur discipline et du poste qu’ils occupent. Par exemple, un demi d’ouverture au rugby a besoin d’une très large attention dans son champ périphérique, tandis qu’un joueur de tennis a besoin d’une bonne perception de la profondeur. Je me suis donc dit qu’on pourrait entraîner ces besoins visuels spécifiques, car c’est précisément mon travail. Ainsi, j’ai commencé à transposer mes compétences en orthoptie vers le domaine sportif.

Quelles typologies de sportifs accompagnez-vous ?

Brigitte Ekpe : J’accompagne tout type de profils sportifs en Auvergne et ailleurs. Il peut s’agir de sportifs ayant des problèmes de vision de départ, mais également ceux qui veulent simplement passer à un niveau supérieur. Avec eux, nous cherchons l’excellence dans leur performance. Je n’ai pas inventé de nouvelles techniques mais une nouvelle méthodologie; j’ai simplement affiné et adapté des techniques existantes pour les rendre plus pertinentes.

J’ai choisi de me concentrer sur des sports nécessitant une réactivité visuelle accrue. Il y a une plus grande demande dans les sports comme le basketball, le football, le rugby, le tennis, les sports de combat, et l’athlétisme.  En ce moment, j’accompagne deux athlètes de rugby fauteuil pour les prochains Jeux Olympiques. Cette épreuve requiert des mouvements et des orientations spécifiques tout en surveillant ses concurrents.

Comment se déroule concrètement votre accompagnement autour des problèmes de vue des sportifs ?

Brigitte Ekpe : Nous commençons par réaliser un audit pour comprendre les besoins visuels spécifiques du sportif. Par exemple, certains disent être sensibles à la lumière, comme si c’était une fatalité. En fait, cette sensibilité est liée aux mouvements de la pupille, et c’est un point sur lequel nous pouvons travailler. 

Lors de mes séances, je me déplace avec mes outils, qui incluent à la fois des dispositifs  orthoptiques et numériques, comme l’eye tracking, par exemple. Ainsi, nous cartographions leurs capacités visuelles et nous identifions les points forts et les faiblesses. Ensuite, j’adapte mes interventions en fonction de leur discipline et de leurs besoins.

Je travaille à leur faire prendre conscience de leurs mouvements oculaires : la focalisation interne, les directions haut, bas, droite, gauche. Nous effectuons également des mesures des temps de réaction pour évaluer le délai nécessaire à un athlète pour percevoir un objet entrant dans son champ de vision, l’identifier et y réagir de manière efficace. Cette démarche vise à optimiser leur capacité de réponse et à améliorer leurs performances sportives.

J’ai remarqué un intérêt croissant de la part des athlètes pour ce que je propose. Certains d’entre eux envisagent d’intégrer un travail sur leur vision dans leur entraînement pour améliorer leurs résultats futurs. 

Vous avez parlé d’outils que vous utilisez pour faire travailler la vue des sportifs ?

Brigitte Ekpe : Nous transposons ce qui existe déjà pour l’adapter à nos utilisations spécifiques. Par exemple, les pods lumineux, comme les Reflex Care de  Reflex Time pour l’alternative auvergnate. Au lieu de travailler uniquement sur la coordination œil-main, nous nous concentrons sur la prise d’information visuelle. « Je leur explique, par exemple, que lorsqu’ils perçoivent deux lumières, ils doivent regarder à gauche et à droite et identifier une lumière bleue. »

Nous sommes aussi en train de développer des outils de réalité virtuelle pour créer des expériences immersives. Nous voulons recréer le même encombrement visuel sur le terrain avec les spectateurs. Lors des entraînements, les sportifs ne sont pas souvent en conditions réelles. Nous travaillons donc sur les temps de réaction sous stress, exposant les athlètes à différentes situations qui simulent les pressions réelles.

Quelle est votre plus grande fierté aujourd’hui ?

Brigitte Ekpe : Nous travaillons par sessions avec les sportifs, en explorant jusqu’où nous pouvons pousser leurs capacités visuelles. Nous faisons des pauses, puis nous reprenons là où nous nous sommes arrêtés. Je me souviens d’une grande satisfaction lorsqu’un athlète m’a dit : « Maintenant, en regardant le mouvement de hanches de mon adversaire, je sais où il va aller. Je comprends mieux les mouvements et j’ai l’impression que tout se déroule plus lentement, même si je sais que la vitesse est la même”

En outre, je suis particulièrement fière de faire partie du consortium NeuroSport en collaboration avec le laboratoire de STAPS, AME2P, l’ASM Omnisports.  Ici en Auvergne, nous voulons être pionniers dans l’étude des capacités visuelles et cognitives. Nous avons lancé une étude en 2022 qui vient juste de se terminer. Nous avons analysé une large cohorte de jeunes pour voir comment leurs capacités visuelles se développent. Nous cherchons à savoir si un entraînement visuel précoce a plus de chances d’améliorer ces capacités. C’est une exploration passionnante. Nous espérons qu’elle apportera de nouvelles compréhensions sur la manière dont la vision peut influencer la performance sportive globale.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter sur le thème de la vue et des sportifs ?

Brigitte Ekpe : Je pense que la performance sportive est un puzzle complexe composé de nombreuses pièces importantes. Parmi elles, la vision est souvent une pièce négligée. On se dit que c’est une capacité qui est simplement là, mais en réalité, elle peut être travaillée et développée. c’est ce que j’essaye de faire au quotidien !

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.