Laurent Laporte – Braincube, le territoire, un écosystème à l’équilibre fragile.

Laurent Laporte – Braincube, le territoire, un écosystème à l’équilibre fragile.

Le Connecteur est un média associatif. Son conseil d’administration est donc le creuset du projet global. Une série de portraits pour comprendre ce qui rassemble ceux qui ont eu envie de rejoindre – ou poursuivre – l’aventure. Chacun a répondu aux mêmes questions: son lien au territoire, le sens de l’innovation, ses envies, ses valeurs, … avec sa sensibilité. Cette semaine c’est au tour de Laurent Laporte.

Laurent Laporte est le cofondateur de Braincube. Une belle PME du secteur de l’industrie 4.0. installée à Issoire.

Laurent, quelle est ta relation au territoire ?

Laurent Laporte : Je suis très sensible à la notion de village. Un territoire, c’est un grand village, dans le sens où l’interdépendance de l’ensemble des acteurs est une évidence.  S’il en manque, cela crée un déséquilibre. Comme dans un système biologique. J’aime bien faire le parallèle avec le loup chassé de YellowStone qui a entraîné la disparition du castor… qui est réapparu à la réintroduction du loup! 

Un territoire, c’est un écosystème à l’équilibre fragile. 

La cellule de base, c’est le village. Je suis – logiquement- très décentralisateur. Il me semble qu’en dehors des biens communs, pour lesquels une vision globale est indispensable (climat, ressources naturelles,…) parce qu’il y a une situation d’interactivité au niveau de la planète, le reste devrait se gérer à l’échelle des territoires, qui sont les bons niveaux pour agir. Il n’y a pas assez de décentralisation: trop de choses sont  gérées « en moyenne », vues par des parisiens, donc très éloignés de nos préoccupations.

Les com com, c’est une échelle qui fait sens. Il y a une vraie cohérence sur son étendue. C’est un maillon intéressant pour agir sur les plans culturel, politique, sportif, … on peut proposer des choses, être écouté, ça peut aller vite.  Ceci étant, ça génère aussi de la complexité, cela suppose d’améliorer encore nos organisations. Un peu comme pour l’Europe, on est parti sur une belle idée mais on est resté au milieu du gué, on a laissé des inégalités entre les parties d’un tout.

Je suis citoyen et chef d’entreprise, j’ai été élu … Cette dimension territoriale m’importe beaucoup, c’est ce qui m’intéresse dans le Connecteur : un média dédié au territoire, local.

L’innovation, ça devrait servir à …

Mon analyse concernant l’innovation, c’est que chaque nouvelle innovation majeure (voiture, électricité, nucléaire) … a toujours un impact  dans 3 domaines : celui du contrôle des libertés (nucléaire = dissuader), celui du libre arbitre (IA = t’influencer, te faire acheter plus, te suivre dans tes déplacements, … ) et enfin celui du progrès (nucléaire > techno pour diagnostic médical par exemple). Evidemment l’enjeu est de réduire les impacts négatifs et de maximiser les positifs.

Pour les réduire, à mon avis, il faut être plus radical, plus clair. Par exemple, je pense qu’on devrait afficher clairement aux utilisateurs le coût des posts Instagram ou Facebook, cela sensibiliserait plus efficacement au coût écologique ! Même chose, à propos de l’ambiance délétère sur les réseaux sociaux. Je pense qu’il faut privilégier la loi plus que l’éthique. En rendant obligatoire la justification de l’identité pour une inscription sur un réseau social, on pourrait analyser avec une IA et mettre un carton jaune en fonction des propos hors la loi. J’aimais bien le RGPD mais on n’a pas été au bout là non plus. Je suis en phase avec l’approche de  Gaspard Koenig : on devrait renverser la charge,  pas donner un accord général mais dire à quoi on donne droit.

Je préfère la régulation à l’interdiction.

Pour revenir à la question du sens de l’innovation, elle a un rôle important localement : on n’a pas toujours des inventeurs mais innover c’est un état d’esprit. On peut faire différemment la même chose, un même produit avec moins d’impact … Faire mieux avec ce qu’on à.

Cette intention d’innover, c’est une dynamique, une posture, une forme de  réflexion permanente pour trouver comment on vit mieux ensemble, comment faire mieux ensemble.

C’est ce qui soude une équipe, qui crée un mouvement, qui donne du sens et rend fier… 

Innover, c’est une bonne cause pour moi !

Replay / Intervention lors du déjeuner Open Inno, sur le concept d’Inno Lab et le management.

Les valeurs à défendre ?

Laurent Laporte : Pour moi, les valeurs, c’est avant tout une histoire d’équilibre entre  « Je fais l’effort de » et « je reçois ». ça ne peut pas marcher en sens unique.

Le respect de l’autre et une attitude correcte d’une part, et l’exigence, la demande du mieux d’autre part. La bienveillance, c’est le vivre ensemble, ça va avec la capacité d’être empathique et donc respectueux.

De la même façon, l’exigence doit aller avec l’exemplarité.

Dans ce cadre, on  a le droit d’identifier des choses imparfaites et de vouloir les améliorer, c’est l’exigence. Mais l’expression d’un désaccord, c’est avec respect et exemplarité. Equilibré !

Une action collective à laquelle tu participes et dont tu es fier ?

Laurent Laporte : Je suis attaché à la notion de village, d’écosystème biologique interdépendant. En tant qu’acteur économique, Braincube est sponsor de la Comédie de Clermont, de l’Asm et d’Europavox, ça, c’est pour les équipes. 

Sur Issoire, on sponsorise plein de choses, on participe financièrement, en temps homme ou même en techno, parce qu’il est normal de contribuer à l’attractivité du territoire qui nous a accueillis.  Par culture d’entreprise, nous sommes plutôt proches des sports collectifs.  Au départ on soutenait les assos dans lesquelles nos salariés étaient engagés. Après on a commencé à s’investir un peu plus et maintenant, nous passons une troisième étape: on va choisir des causes un peu plus transversales et qui font sens : femmes, handicaps, … qui rejoindront un axe d’engagement de notre entreprise. Et cette logique transversale, on la réfléchit actuellement avec les autres grosses entreprises du territoire (Aubert et Duval, Constellim, Issoire aviation, Rouchy,…) pour coordonner nos efforts et avoir un impact réel.

Pour la petite histoire, chez Braincube, nous avons constaté un écart de salaire entre femmes et hommes : la rémunération des femmes, c’est 3,7% de plus ! Ce n’est bien sûr pas une volonté, c’est un fait.

Je suis plutôt équitariste qu’égalitariste 😉

Concernant Le Connecteur, sur quoi aurais-tu envie de t’investir ?

Laurent Laporte : Ce qui me motive dans le Connecteur, c’est ce que porte son nom. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup : nous sommes dans une petite communauté, dans laquelle les gens sont facilement accessibles et très réactifs, à condition d’avoir la chance de les rencontrer. C’est là toute la difficulté : comment rencontrer facilement, tout en restant non invasif.

J’aimerais participer à la création d’un réseau social de territoire, par cooptation. On pourrait inscrire les gens, avec leur fonction, la boite dans laquelle il travaille. Une sorte de Slack territorial, avec les contacts, des channels publics thématiques sur différents sujets. 

L’objet serait de partager connaissances et compétences, par intérêt mutuel. De faire sauter les barrières. Cela suppose bien sûr de fixer des règles : pas de démarchage commercial, par exemple.

Par rapport à Linkedin ? L’idée n’est pas de se valoriser en publiant régulièrement des contenus d’auto promotion mais juste d’avoir accès aux acteurs du territoire et de pouvoir les rencontrer pour développer des projets en  commun.

C’est cette capacité à se croiser et à échanger qui permet d’innover.

Meilleur conseil jamais reçu ?

Laurent Laporte : J’étais jeune ingénieur, super motivé et passionné, et je travaillais dur dans un atelier de production de cartes électroniques. Je cumulais les fonctions, les heures et les problèmes à régler. Un jour, un vieux contremaitre a été nommé pour venir travailler avec moi. Il avait une réputation sulfureuse. Un gars soi disant difficile, gros caractère. J’ai vite compris que c’était sa façon de se protéger, d’une certaine pudeur ou timidité originelle. Il m’a observé pendant plusieurs jours. Puis il est venu me voir, et m’a dit : « ce que tu fais est assez extraordinaire, tu mènes plein de projets de front, tu fais grandir ton organisation, tu vas dans le bon sens. Mais je ne travaillerai face toi qu’à une seule condition : que tu parles mieux aux gens ». On est parti au restaurant, et on y est resté plusieurs heures. Je l’ai écouté. Et ce conseil a changé beaucoup de choses. Plutôt que de passer en force, je me suis mis à construire des équipes. J’ai écouté les gens. Tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense. Je reste souvent en position de décisionnaire, mais qui sait déléguer quand le gens sont prêts à assumer.

Ton plus bel échec ?

Laurent Laporte : Il existe des concepts humains auxquels je ne crois pas vraiment. Succès, bonheur par exemple… Echec aussi. On fait mieux ou moins bien qu’espéré. L’important c’est d’apprendre de l’expérience vécue et d’utiliser son savoir à bon escient.

Même si je ne crois à l’échec, j’en comprends l’idée.

Je vais raconter la situation professionnelle la plus délicate que j’ai vécu. J’avais 29 ans et j’ai été nommé Directeur de Production d’une société que le groupe pour lequel je travaillais avait racheté. Cette société allait très mal. Grosses pertes, plus de banques, au bord de la rupture. Une aubaine d’avoir été racheté je me disais. Et je suis arrivé pleins de certitudes sur ce qu’il fallait faire. Mais j’ai mal appréhendé la psychologie locale de mon staff.

J’étais le plus jeune ingénieur de l’équipe, et j’étais le chef de tous. Et j’ai mis au point un plan de bataille pour redresser au plus vite la situation. J’étais pressé, mon management me mettait sous pression, alors je me suis engagé dans la démarche 18h par jour. Le chevalier blanc.
En essayant de convertir mes collègues, de relancer des initiatives productives. Et j’y ai laissé un peu de ma santé. J’avais trop centralisé. Trop contrôlé. Au bout d’un an, j’étais fatigué et pas forcément très heureux de nos résultats pourtant spectaculaires. Ce n’était pas mon ambition.

J’ai été sauvé de cette situation pas très enjoué par une promotion aux USA, dans une usine en danger de mort mais cette fois là le plan de sauvetage a été enthousiasmant. Je n’ai pas reproduit le même schéma, et avec un peu plus de patience, j’ai probablement fait beaucoup mieux grâce à un collectif très efficace. On ne doit pas laisser sa santé au travail.

Ton épitaphe ?

Laurent Laporte : Je n’ai pas de réponse. Je ne serai plus là pour écouter ou lire ce que les autres diront de moi. J’espère juste qu’ils me regretteront sincèrement.

Tes respirations- inspirations : lectures, podcasts, …

Un livre parmi bien d’autres : Winning! de Clive Woodward. Une vraie leçon de management, d’innovation et d’excellence dans le monde du sport. Une aventure que j’aurai vraiment aimé vivre.

Un podcast : La librairie de l’éco sur BFM business. Beaucoup d’ouvrages de qualité, et des débats sur les enjeux actuels chaque semaine. Le meilleur de cette chaine.

Après j’ai hésité avec pas mal de podcast de France Culture : De cause à effet, La méthode scientifique, Affaires étrangères, Répliques, Soft power, etc… du solide.

Un dernier pour la route : Dans la tête d’un CEO. Inégal mais le format me plait, et certaines ITW sont vraiment passionnantes.

 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.