Le lieu-Dit à Clermont-Ferrand, un projet d’espace culturel expérimental innovant

Le lieu-Dit à Clermont-Ferrand, un projet d’espace culturel expérimental innovant

Niché au coeur du quartier Saint-Alyre à Clermont-Ferrand, le lieu-Dit est un espace encore trop méconnu du grand public. Ce lieu culturel chargé d’histoire fera bientôt peau neuve à travers une démarche de co-construction innovante. Rencontre avec Flore Brasquies, en charge du projet.

Flore Brasquies, vous êtes en charge du projet du “Lieu-dit”, en plein coeur de Clermont-Ferrand. Votre parcours professionnel vous a conduit assez naturellement vers ce nouveau défi…

Je suis originaire d’Aurillac. Après le bac, j’ai poursuivi mes études à Sciences Po Toulouse avant de passer une dizaine d’années dans la production artistique en festival. Je me partageais entre Toulouse, Aurillac et la Belgique, notamment dans le cadre de l’organisation du Festival de Dour.

Depuis mes 15 ans, je suis investie dans le milieu associatif. J’ai participé à l’organisation de nombreux concerts et j’ai monté un certain nombre de projets culturels. Par ailleurs, à la même époque, j’ai commencé à m’intéresser aux cultures dites alternatives ou marginales. Ces espaces un peu à part, comme les friches et les squats, qui permettent de travailler, de se rassembler, et de créer ensemble. 

A 25 ans, j’ai passé les concours administratifs, et à 27 ans, j’ai intégré le département musique de la ville de Clermont-Ferrand.

Aujourd’hui, vous êtes chargée de projet pour le “Lieu-Dit”, 1300 m2 à réhabiliter en plein cœur de Clermont. J’ai utilisé le mot tiers-lieu pour le désigner et vous n’avez pas été très enthousiasmée par le choix du terme.

Le sujet des tiers lieux m’intéresse particulièrement. Néanmoins, aujourd’hui, on y associe très souvent une dimension économique. Avec le Lieu-dit, on ne veut pas commencer à imprimer une direction particulière, on préfère utiliser l’approche du design par les usages. Ce sont les utilisateurs qui vont orienter le scénario final. A ce stade, Le Lieu-Dit, c’est un lieu d’expérimentation.

Est-ce que vous pouvez nous parler  de l’histoire un peu folle de ce lieu ?

Ce lieu existe depuis 1900. En effet, ce fut d’abord un music-hall du nom de “Novelty”. Ensuite, on a pu y visionner des films muets pendant plusieurs décennies. Dans les années 60, il devient officiellement un cinéma, avec 5 salles de projection. 

La fréquentation du lieu commence à péricliter dans les années 80 avec l’ouverture du centre Jaude. Un projet de galerie commerciale a été envisagé à un moment, d’ailleurs, on y retrouve quelques marqueurs au rez-de-chaussée, avant d’être abandonné en cours de route.

A partir des années 90, c’est l’association des amis du petit vélo qui reprend la gestion du lieu et le transforme en salle de théâtre. Faute de moyens, le rez-de-chaussée est muré. Les salles de cinéma à l’étage sont transformées en salle de théâtre et club de concert, le Club Poco Loco.

La mairie est propriétaire des murs depuis 2005 et a récupéré le bâtiment en 2021, au départ de l’association. C’est suite à cela que le projet du Lieu-Dit a vu le jour.

Quel est le concept de ces espaces en transition ?

C’est un équipement de 1300 m2, en plein centre-ville de Clermont-Ferrand. 500m2 étaient murés et inconnus du public depuis 30 ans. Nous voulions laisser le temps aux acteurs locaux de s’approprier le lieu avant d’en définir les usages.

La ville a décidé de réaffecter la subvention qui était versée à l’association les amis du petit vélo, à des projets culturels expérimentaux. En 2021, nous avons lancé un premier appel à projets. L’objectif était d’avoir une programmation très ouverte. Ce qui permet de ne pas avoir à décider tout de suite de l’orientation à donner au bâtiment.

Ce faisant, avec cette approche, on pousse les limites. Il faut être dans les règles tout en essayant de les contourner. Avec cette première promotion, on a pu ouvrir des galeries et organiser des événements grand public. Les expérimentations ont beaucoup tourné autour de la création artistique.

Ce faisant, on a pu observer quels espaces les professionnels utilisaient, quels étaient les besoins non pourvus par le lieu. Ça nous permet d’avoir des éléments à transmettre aux architectes qui nous accompagnent, les Andains et Pixel 13, pour imaginer différents scénarios.

Vous venez de sélectionner la cohorte du second appel à projets. Est-ce que l’on est sur les mêmes profils ?

Pour cette seconde édition de l’appel à projets, on a voulu ancrer la programmation dans son environnement. On est plutôt sur des propositions pour “faire quartier”, “faire communauté” et “investir les lieux”, pour “habiter”. De fait, nous souhaitons que la société civile se saisisse de ces espaces. Nous regardons avec intérêt les dynamiques collectives qui se sont créées autour du Parc Oasis, de Lieutopie, de l’hôtel des Vils, du Raymond Bar ou de la Perm à Billom.

Le faubourg Saint-Alyre où se situe le Lieu-dit est un quartier extrêmement marqué par le diocèse et l’éducation populaire. En effet, la plupart des bâtiments appartenaient à l’église, comme le Corum Saint-Jean, par exemple. Ainsi, il y avait plus de 300 logements sociaux et de nombreuses structures sociales et de santé comme Sainte-Marie, l’ESTRAN, les Augustes, les Petits Débrouillards et Peuple et Culture. 

Jusqu’en 2015, c’était un QPV, un Quartier Prioritaire de la Ville. C’est un quartier très populaire avec une certaine précarité. Pour autant, il y a également une vraie mixité avec des rues très bourgeoises et des immeubles classés.

Que pourrait devenir ce lieu dans les prochaines années ?

Ainsi, on aurait pu décider d’en faire un lieu de diffusion, parce que c’est le plus simple, mais nous souhaitons interroger les parties prenantes sur la nécessité d’un nouveau lieu de diffusion. Autrement dit, nous voulons que le lieu vienne en complémentarité du tissu associatif et culturel local.

Ce qui suscite de l’intérêt dans ce projet, c’est cette notion de page blanche. Ceux qui viennent expérimenter dans ce lieu ont déjà testé d’autres équipements de la ville. Cela permet de créer de nouvelles règles du jeu et un rapport différent avec la collectivité.

Mais concrètement, que fait-on dans ce lieu? Comment cela se gère-t-il de manière opérationnelle ?

C’est beaucoup de travail pour une personne et demi. Ludovic, chargé de l’accueil et de l’accompagnement est à temps sur le site et moi, à mi-temps, car j’ai d’autres missions. 

Le postulat de départ, c’est que tout est possible. Chaque porteur de projet peut tester quelque chose pendant une période allant de 1 à 30 jours. Nous mettons à disposition les espaces et une enveloppe budgétaire en fonction des projets. Les structures s’engagent à prendre en charge le technicien, si besoin.

Les structures résidentes sont prioritaires sur le planning de programmation. Une fois qu’elles ont déposé leurs dates, on peut ouvrir les espaces à d’autres acteurs qui souhaiteraient proposer d’autres animations ou événements.

Est-ce que vous pouvez nous donner quelques exemples de la programmation 2023 ?

Terra Preta et la malette urbaine qui vont réaménager les espaces intérieurs et extérieurs du dernier étage que l’on appelle l’appartement. Par exemple, des bacs de plantes aromatiques seront installés qui pourront servir à l’espace cuisine qui prend forme au rez-de-chaussée.

La CREFAD Auvergne souhaite recenser les envies et les besoins des habitants du quartier à travers des enquêtes sensibles, comme des ateliers d’écriture ou de dessins. Ou encore, le Portemine, un collectif de designers, avec la création d’une signalétique évolutive pour le lieu en utilisant un maximum des ressources disponibles dans les différents espaces. Cela permettra de sensibiliser le grand public au design low-tech et écologique.

Quel est le calendrier pour ce projet ? Après les expérimentations, les travaux ?

Notre prochain grand chantier pour le début de l’année est de réfléchir à la gouvernance de ce lieu. Nous voulons éviter que cela se transforme en une régie traditionnelle. Pour ce faire, nous avons mis en place différents groupes de travail. Nous allons plancher sur ces sujets en début d’année. Nous devons être vigilants sur l’implication de chacun. Ce projet est enthousiasmant pour beaucoup de personnes, mais le surinvestissement bénévole à des limites.

En mars, les cabinets vont nous présenter différents scénarios, puis viendra le temps de l’arbitrage par la ville en fonction de l’enveloppe allouée préalablement. Est-ce que l’on transforme tout, ou au contraire, faut-il conserver des espaces tels quels ? Nous espérons pouvoir programmer une fermeture échelonnée des espaces. L’objectif est que le bâtiment soit livré autour de 2026.

C’est l’instant carte blanche…quelque chose à ajouter ?

On espère fortement rester dans une dimension « expérimentation » sur le long cours. Nous sommes très attachés à cette dimension collective d’écoute et de prise de décision. Nous avons une ambition assez forte de générer des communs. Finalement, c’est peut-être retourner à l’état d’esprit des MJC, avec un devoir d’accessibilité pour les habitants et les associations du quartier.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.