« Les femmes se mettent elles-mêmes des freins », Femmes Chefs d’Entreprise

« Les femmes se mettent elles-mêmes des freins »,  Femmes Chefs d’Entreprise

Dominique Lery est présidente du réseau Femmes Chefs d’Entreprise dans le Puy-de-Dôme. Ce réseau, un des plus anciens en France, encourage notamment les entrepreneuses à prendre des responsabilités dans la vie socio-économique. Dominique Lery ne se considère pas comme une féministe. Elle se bat depuis presque 20 ans pour que les femmes puissent prétendre aux mêmes places que les hommes. Non pas parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles sont compétentes.

Avant de parler d’égalité femmes-hommes du réseau Femmes chefs d’entreprise, est-ce que vous pouvez nous raconter votre parcours de cheffe d’entreprise.

Je suis née près de Riom, dans la campagne, au bord de la Limagne, et j’ai toujours vécu en Auvergne. Après le bac, je me suis orientée vers une formation en gestion à Clermont-Ferrand. Suite à ce cursus, je ne suis pas tout de suite devenue, une « Femme Chefs d’Entreprise ». D’abord, j’ai découvert le monde des personnes âgées en intégrant l’équipe d’une maison de retraite. Cette expérience m’a beaucoup marquée.

Il faut dire qu’au départ, je voulais être assistante sociale. J’ai même fait une année en psychologie pour me préparer au concours. Malheureusement, je ne l’ai pas eu, et ce qui m’a amenée à me réorienter en gestion. En revanche, j’ai toujours gardé cette fibre sociale.

Pendant plusieurs années, j’ai évolué professionnellement sur différents types de postes et dans des secteurs d’activités variés. L’idée de créer mon entreprise a germé progressivement. Grâce à mes différentes fonctions, j’avais les compétences principales pour me lancer dans un projet entrepreneurial.

Vous avez créé ADHAP SERVICES, racontez-nous cette aventure.

J’ai créé ADHAP SERVICES en 1998. C’était une des toutes premières entreprises de services à la personne agréées en France. Jusqu’en 1996, il y a avait un monopole du secteur associatif. Quand j’ai débuté, ce domaine d’activités venait de s’ouvrir au privé. Il y avait encore très peu d’acteurs, d’ailleurs, les associations ne nous ont pas accueilli à bras ouverts.

J’ai vite réalisé que si je ne grossissais pas, ça allait être très compliqué d’exister. En 2001, j’ai décidé de créer un réseau de franchise. ADHAP SERVICES a été une des premières franchises dans le secteur de l’accompagnement spécialisé des personnes âgées et des personnes handicapées. Le développement a été assez rapide. En l’espace de trois ans, nous avions 25 franchisés sur toute la France.

C’est une croissance digne d’une start-up !

Nous sommes devenus leaders sur le marché, puis, d’autres réseaux se sont créés suite à la mise en œuvre de la loi Borloo en 2006. Ce plan visait à développer les services d’aide ménagère, de garde-malade, d’aide aux personnes âgées, de soutien scolaire et de garde d’enfants.

La concurrence est arrivée massivement, et c’est à ce moment-là que les grands groupes se sont intéressés au secteur. J’ai eu l’opportunité de vendre le réseau au groupe AXA en 2008. Je suis restée présidente jusqu’en 2014, au moment où AXA décide de revendre la franchise.

C’est souvent compliqué pour les fondateurs de rester dans une entreprise après l’avoir revendue. De mon côté, j’ai eu de la chance, la collaboration a été une réussite. J’avais presque la même autonomie et une grande confiance de la part d’AXA.

À quel moment et pourquoi avez-vous décidé d’intégrer Femmes Chefs d’Entreprise ?

Je me sentais un peu seule dans ma vie de cheffe d’entreprise. J’avais envie de partager mes problématiques et mes visions avec d’autres personnes. On m’a parlé du réseau FCE. J’ai adhéré à la philosophie et je l’ai intégré en 2004. J’ai été élue Présidente de la délégation du Puy-de-Dôme en 2019 pour deux ans. Cette confiance a été renouvelée pour un second mandat que je terminerai fin 2022 avant de passer la main.

Est-ce que vous pouvez nous présenter FCE, Femmes Chefs d’Entreprise? 

Le réseau FCE a été créé en 1945 par Yvonne-Edmond Foinant. Comme beaucoup de femmes, elle avait dû reprendre les rênes de l’entreprise dirigée par son mari parti au front.

À la fin de la guerre, ceux qui ont eu la chance de revenir, ont repris les rênes. En revanche, de nombreuses femmes ayant perdu leur mari sont restées à la tête de ces entreprises. Yvonne en faisait partie, et elle a rencontré de nombreuses difficultés à se faire accepter dans un monde redevenu très masculin. 

C’est fort de ce constat qu’elle a décidé de créer FCE. C’était un réseau pour que les femmes chefs d’entreprise se retrouvent et puissent s’épauler. L’objectif était de les faire admettre et reconnaître dans le monde économique. Ce fut d’ailleurs la première femme à avoir un mandat a la CCI de Paris.

Cette association s’est ensuite déclinée en délégations départementales. Il existe 60 délégations en France, qui comptent 2000 membres. Nous avons des partenariats dans 70 pays pour un total de 500 000 membres regroupées sous le nom FCEM. Chaque délégation bénéficie des actions développées au niveau national et régional. D’ailleurs, je suis également vice-présidente de la région AURA qui regroupe 13 délégations.

Quelle est la raison d’être de Femmes Chefs d’Entreprise ? 

Notre mission repose sur quatre piliers :

  • Faciliter l’échange d’expérience, de développement de partenariats au travers d’un solide réseau
  • Accompagner le développement personnel de nos membres
  • Accompagner le développement économique de nos entreprises par l’apport d’expertises sur des thèmes divers 
  • Promouvoir le rôle des femmes chefs d’entreprise dans la vie économique en incitant nos membres à la prise de responsabilités dans la vie socio-économique, leur représentation dans les institutions consulaires, CCI, Tribunal de Commerce, Conseil des Prud’Hommes, organisations paritaires sociales, Établissements Publics,…

source : https://www.fcefrance.com

Nous encourageons et aidons nos membres à s’impliquer sur le territoire et au national dans les instances économiques. “Encore aujourd’hui, bien que les femmes représentent 50 % de la population active et 55 % des diplômés, elles ne sont que 10 % dans la gouvernance économique” (source FCE) 

Sur le Puy-de-Dôme, sur 51 membres, nous avons une cinquantaine de mandats. Certaines de nos adhérentes ont plusieurs casquettes. 

Comment est-ce que vous animez le réseau au niveau local ?

Il y a au minimum une rencontre par mois. Chaque réunion aborde un thème relatif aux quatre piliers. Il peut s’agir d’interventions autour du juridique, du développement personnel ou de l’économie par exemple. 

Soit nous faisons appel à un intervenant extérieur, soit nous utilisons les ressources que nous avons en interne. Nous avons la chance d’avoir des membres avec des expertises particulières. 

Pour ce second mandat, j’ai décidé avec les membres de la commission d’un fil rouge pour le programme d’interventions. C’est le thème de l’économie circulaire qui a été choisi. Peu importe notre secteur d’activités, on peut mettre en œuvre des actions autour de l’économie circulaire et notamment la gestion des déchets.

Vous parlez de secteurs d’activités, à quoi ressemblent les typologies d’entreprises de vos membres ? 

Nous avons des commerçantes, des industrielles, des professions libérales. C’est très varié, tant en termes d’âge que de secteurs d’activité. Par ailleurs, nous avons toutes les tailles d’entreprises, de 0 à 3 000 salariés. J’aimerais, durant mon mandat pouvoir intégrer au moins une femme du monde agricole, de l’artisanat et du BTP.

Ce mois-ci, nous traitons du sujet de l’égalité femmes-hommes, est-ce que c’est un thème que vous abordez lors de vos réunions mensuelles ? 

Ces sujets reviennent au niveau national, mais pas forcément au local. Nous ne sommes pas un réseau féministe. Nous sommes conscientes qu’il existe des différences de traitement entre les femmes et les hommes dans de nombreux secteurs. Par exemple, nous avons une réunion nationale qui présentait une enquête de la Banque de France. Le rapport a démontré que l’on demandait beaucoup plus aux femmes de prouver la solidité de leurs projets pour les faire financer. 

Cette situation est également due au manque de confiance des femmes. Par exemple, dans un business plan, si une femme n’est pas sûre du CA prévisionnel, elle va avoir tendance à le diminuer. Les hommes auront beaucoup moins de scrupules à surévaluer le potentiel du business model. C’est ce manque d’audace qui peut nuire aux femmes.

Quelle est la vision que vous portez personnellement sur l’égalité femmes-hommes ?

Il ne faut pas être dans le discours ou dans le constat. Il faut oser. Les femmes se mettent elles-mêmes des freins, et s’empêchent d’aller là où elles le souhaitent. C’est moins le cas pour les cheffes d’entreprise parce qu’elles n’ont pas le choix. Personnellement, dans le domaine professionnel, je n’ai jamais rencontré de difficultés particulières parce que j’étais une femme. 

Pourquoi précisez-vous que Femmes Chefs d’Entreprise n’est pas un réseau féministe ? 

Dans ma vision ce n’est pas : les hommes contre les femmes. Nous revendiquons tout simplement les mêmes places que les hommes. Heureusement que les quotas ont été mis en place dans certaines instances, sinon ça n’aurait pas avancé. En revanche, je refuse l’idée que l’on mette une femme à une place parce qu’elle est femme. Si elle y est, c’est parce qu’elle est qualifiée.

Je préfère me battre pour me faire accepter pour mes compétences, plutôt que de critiquer la situation actuelle. 

C’est l’instant carte blanche. Quelque chose à ajouter ? 

Oui. Nous sommes en train d’organiser les 40 ans de la délégation du Puy-De-Dôme qui aura lieu le 24 novembre 2022. La thématique générale sera autour de l’économie circulaire et de la nécessité d’intégrer cette dimension dès la construction du projet et les processus de fabrication. Cet événement sera ouvert à toutes et à tous, ce sera l’occasion de découvrir nos membres et notre engagement.

Dans la tête de Dominique

Ta définition de l’innovation : c’est créer ou marquer une différence avec ce qui existe déja mais finalement cela tient parfois à peu de chose. Le tout c’est de l’identifier. Ce sont aussi des projets fous qu’il faut oser.

Une belle idée de start-up : AirBnB

La start-up qui monte : Picture

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : dans les rencontres diverses et variées, les publications. En étant à l’écoute des autres, on apprend plein de choses. Je ne ressors jamais d’une réunion sans en garder au moins une idée.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : Franck Ferrand.

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : La biche et le petit garçon.

une femme qui t’inspire/experte : Ellen MacARTHUR

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Fernand Reynaud

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.